• Castex annonce 10 000 postes supplémentaires dans le secteur du grand âge d’ici à cinq ans : « Il faudrait dix [?] fois plus d’embauches pour assurer la dignité des fins de vie de nos âgés »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/29/marie-de-hennezel-il-faudrait-dix-fois-plus-d-embauches-pour-assurer-la-dign

    La psychologue et écrivaine Marie de Hennezel fustige, dans une tribune au « Monde », l’abandon du projet de loi grand âge par le gouvernement. Une décision qui relève, selon elle, du même « inconscient âgiste » que celui des partisans d’une loi sur le droit de mourir dans la dignité.

    Tribune. L’abandon récent du projet de loi « grand âge et autonomie », sur lequel comptaient fermement les personnes âgées en perte d’autonomie et leurs familles, les professionnels de santé, les associations et les acteurs engagés dans l’amélioration de leurs conditions de vie, est un choc. Ce ne sont pas les récentes annonces de Jean Castex (10 000 postes supplémentaires dans le secteur du grand âge d’ici à cinq ans) ni le tarif plancher pour mieux rémunérer les interventions à domicile qui peuvent les rassurer. Il faudrait dix fois plus d’embauches pour assurer la dignité des fins de vie de nos âgés.

    Si l’on rapproche cet abandon, dont les raisons restent opaques, du mouvement actuel en faveur d’une loi sur le droit de mourir dans la dignité, relancé par le film Tout s’est bien passé de François Ozon, le choc est encore plus percutant. Car il est le signe même de l’âgisme nauséabond de notre société. Comment expliquer que trois présidents de la République se soient engagés fermement sur cette loi grand âge et que trois fois de suite cette promesse ne soit pas tenue ?

    Qu’est-ce qui, dans l’inconscient de nos décideurs, explique ces promesses non tenues, sinon l’âgisme rampant qui vise en fin de compte à exclure les vieux et les vieilles de leurs arbitrages politiques, budgétaires, et même sociétaux.

    Conséquences paradoxales de l’âgisme

    On m’objectera que l’on a « sacrifié », depuis le début de la crise sanitaire, l’économie de notre pays, le travail et le bien-être des jeunes pour protéger les personnes âgées, et que les décisions sanitaires ont eu d’abord comme objectif d’empêcher un désastre dans les Ehpad. Un objectif louable, certes, car, au vu de la culpabilité collective à l’égard des âgés isolés et vulnérables, nos responsables ne pouvaient se permettre d’accepter un tsunami de décès chez nos anciens. Nous avions été marqués par la canicule de 2003. On a donc protégé nos vieux, mais on les a désespérés. Comme je l’ai dénoncé dans mon livre L’Adieu interdit (Plon, 2020), bon nombre d’entre eux, privés de ce qui leur donnait le goût de vivre, se sont laissés mourir dans la plus grande indignité. Car quoi de plus indigne que de mourir seul, sans un adieu, sans le visage, les mots, la présence d’un être aimé ?

    Le fait qu’en pleine pandémie plusieurs propositions de loi pour une aide médicalisée à mourir aient été discutées comme une urgence au Parlement doit nous interroger. Ne sommes-nous pas devant l’une des conséquences paradoxales de l’âgisme que je dénonce ici ? Il est paradoxal, en effet, de présenter aux Français une loi pour mourir dans la dignité par injection létale, au moment où plus de 100 000 familles vivent les affres d’un deuil impossible à faire, puisqu’on a privé leur proche du droit imprescriptible à l’accompagnement, à l’échange des adieux, à la présence humaine, au moment de la mort.

    Je me suis franchement demandé pourquoi les députés de tous bords qui défendent cette loi sur l’aide active à mourir n’avaient pas eu le courage, la dignité, de s’élever dans l’Hémicycle et de dénoncer le scandale de mesures sanitaires conduisant à une mort indigne. Pensent-ils vraiment qu’il est plus digne de proposer une ultime injection pour mourir que de garantir une mort douce, soulagée, respectueuse des ultimes besoins de la personne, une mort accompagnée, comme le garantit la loi Claeys-Leonetti de 2016, ce qui suppose la présence d’un être aimé ?

    Les priorités sont ailleurs

    Je me demande aussi pourquoi l’abandon de la loi grand âge a suscité de si molles réactions. Elle visait pourtant à offrir aux plus vulnérables de notre société une vie digne d’être vécue jusqu’au bout. La vérité n’est-elle pas que cela coûtera bien plus cher que de bricoler une vague amélioration des conditions de vie des âgés, avec le renforcement de la cinquième branche de la Sécurité sociale.
    Il semble bien que l’inconscient âgiste de nos décideurs politiques – j’ai bien dit « inconscient » – est à l’œuvre dans tous ces arbitrages. J’en ai, hélas, des échos quand j’entends dire que l’on a « assez fait pour les vieux » et que les priorités sont ailleurs.

    Que se passera-t-il lorsque la génération des boomeurs, plus consciente et réactive sans doute que la génération de leurs parents, arrivera dans quelques années dans les contrées fragiles de la grande vieillesse ? La plupart disent aujourd’hui qu’ils ne veulent pas terminer leur vie dans l’Ehpad tel qu’ils le connaissent. S’ils n’ont pas les moyens de vieillir dans des structures mieux adaptées, ou de rester chez eux, ils choisiront pour beaucoup de mettre un terme à leur vie. C’est ce que j’entends dans les groupes de seniors que j’anime, pour lesquels mourir dans la dignité, c’est d’abord vieillir dans la dignité. Et si cette dignité ne leur est pas possible – ce qui, je le rappelle, était un des objectifs de la loi « grand âge » –, s’ils ont le sentiment de peser sur leurs enfants et sur la société, s’ils se sentent de trop sur cette terre, ils préféreront quitter ce monde de manière anticipée. Ce sera leur dernier acte citoyen.

    La loi sur le droit de mourir dans la dignité, si elle est votée un jour, et même si elle est conçue pour les grands malades, pourra être alors aisément détournée et offrir une réponse toute trouvée. Et nous qui avons voulu éviter une hécatombe dans les Ehpad, pendant la crise sanitaire, nous aurons alors une épidémie de suicides assistés. L’inconscient âgiste aura eu le dernier mot.

    elle dit " inconscient" #agiste, je penche plutôt pour une lecture qui pointe la valeur "positive" absolument cardinale dans l’idéologie dominante actuelle, le #jeunisme.

    #vieux