• Le contexte, l’inscription. Bernard Aspe | La Division Politique
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    Scènes de la division politique, troisième année - Séance 1 : Le contexte, l’inscription

     

    Antiscience

    Je commencerai par rappeler la vérité de la situation : une classe, c’est-à-dire une force politique qui agit en assumant la partialité de son point de vue, cherche à gérer ce qu’elle appelle une « crise » sanitaire en faisant tout ce qu’elle peut pour que les causes de son existence ne soient pas mises en question. Par « causes », il faut entendre les plus immédiatement identifiables (la politique de santé menée en France depuis 2007 sous l’impulsion de quelques membres du gouvernement actuel) comme les plus profondes (la dévastation écologique qui accompagne comme son ombre le développement économique). Tout a été orchestré pour maintenir la rationalité de l’économie, et plus encore, pour trouver dans cette « crise » l’occasion de redéployer son espace. Maintenir l’économie comme loi, ce n’est certes pas dire qu’il y aurait chez les riches une pulsion incontrôlable (même si celle-ci existe certainement aussi par ailleurs) ; c’est dire que l’imposition de cette loi est la méthode la plus rationnelle de gouvernement mondial pour une classe qui veut à tout prix conserver son pouvoir.

    Du fait même de l’existence de cette classe, il nous a semblé nécessaire de conserver le schème de la division politique – même s’il n’y a pas deux classes qui se font face. L’une d’elle en effet, la nôtre, est difficile à identifier, surtout en une époque où les plus bienveillants, les plus proches, les plus sincèrement engagés, nous conseillent de ne pas pousser trop loin la recherche de cette identification. Il ne faut pas chercher à identifier ce qui est positivement flou, nous disent-ils, il ne faut pas figer ce qui est en mouvement, il ne faut pas cristalliser ce qui est encore métastable. En suivant ces injonctions, on est à peu près sûrs de remettre à plus tard, à toujours plus tard, le moment où une initiative politique nouvelle pourra s’énoncer en tant que telle.

    Mais c’est d’une façon très générale que la pensée politique éveille le soupçon. Le pouvoir a d’ailleurs récemment trouvé une astuce imparable pour disqualifier toute velléité de pensée politique. Si je dis par exemple qu’une classe est responsable des catastrophes en cours, je me retrouve nécessairement enfermé dans le cercle étroit et mal fréquenté des complotistes. On nous explique qu’il n’y a qu’une alternative : soit le complotisme, soit la science. Par chance, la science est constitutivement incapable de mettre en question l’autorité de l’État, ou les nécessités du capital. Si l’on veut échapper au complotisme, il faut donc accepter seulement de devenir raisonnables, commencer par suivre ce qui est établi par la science, et remettre à plus tard le moment où nous pourrons discuter du bien-fondé des décisions prises dans l’urgence, du moins dans le cadre de l’état d’urgence. (Plus tard, c’est-à-dire par exemple quand des historiens reviendront dix ou vingt ans en arrière et feront carrière en révélant les aberrations que nous sommes censés ne pas voir ou deviner ici et maintenant.)

    Je vous propose de commencer par ne pas être ainsi raisonnables, et pour cela, de ne pas relayer la fausse alternative imposée entre le complotisme et le discours de la science. (...)