• Délibéré du procès contre une action de réquisition de marchandises - La justice maximise les profits de Carrefour (par mel)

    La grande distribution fait les poches des précaires avec la complicité de la justice ! Pour avoir participé à une autoréduction dans un Carrefour parisien en janvier dernier, deux camarades doivent verser au groupe plus de 38 000 euros. Iels ont décidé de faire appel. La décision, prise par une juge unique et roupillant pendant les plaidoiries, fait le bonheur de Carrefour : 8 553, 19 euros de préjudice matériel, 18 000 euros de pertes d’exploitation et 10 000 euros de préjudice moral. 38 000 euros, une somme dérisoire pour Carrefour et ses 34 milliards de chiffre d’affaires, mais bien suffisante pour enterrer deux personnes déjà sur la paille.

    Ces charognards profitent d’un procès pour se faire plus de blé. Profiter de la pandémie ne leur suffisait pas. Entre 2019 et 2020, en pleine crise, le géant de la distribution a doublé ses bénéfices et les dividendes versés à ses actionnaires. Nous, chômeurs, travailleurs précaires, mères célibataires, étudiants en galère, avons organisé cette autoréduction le 30 janvier 2021. Les denrées récupérées ont ensuite été redistribuées grâce à des réseaux de solidarité tissés depuis le premier confinement. De quoi prendre soin de soi, se nourrir, se laver, sans se soucier du prix.

    Lors du procès, l’avocate et les deux inculpé.e.s avaient démontré les incohérences et les mensonges du directeur du Carouf’ vis-à-vis de la nature et de la quantité des produits récupérés. Le préjudice moral à l’image de la holding, c’est cette plainte et le procès qui s’en est suivi ! Pas le fait qu’elle ait été « encouragée » à partager un peu de sa marchandise. L’avocate avait aussi souligné que les militant.e.s n’avaient pas utilisé la contrainte pour s’emparer du butin. Comment expliquer sinon qu’aucun PV n’ait été noirci par un policier malgré les nombreux effectifs présents ? Arrivé.e.s aux caisses, les militant.e.s avaient négocié avec le gérant du supermarché et iels étaient parti.e.s avec l’accord du siège.

    Surtout les inculpé.e.s avaient rappelé le contexte de cette action partageuse : la précarité et la détresse alimentaire de millions de personnes, isolées par les confinements successifs, et, en miroir, une augmentation vertigineuse des profits de la grande distribution profitant de la fermeture des marchés et des commerces de proximité.

    Bizarrement, c’est la procureure qui a peut-être compris la portée politique de l’action en comparant les inculpé.e.s à des « Robins des Bois ». Elle a dit hésiter à trouver une qualification pénale, pour finalement réclamer une peine de 2 000 euros avec sursis simple qu’elle avait qualifié d’"avertissement".

    Restons mobilisé.e.s contre Carrefour pour qu’ils abandonnent les poursuites. Nous nous battons en appel pour la relaxe car c’est aussi se battre contre la criminalisation de nos luttes et pour que ce procès ne constitue pas un grave précédent.

    Carrefour doit retirer sa plainte.
    Nous appelons toutes celles et tous ceux pour qui la solidarité en actes fait sens à rejoindre et amplifier la contre-attaque.
    Écrivez à contact14octobre@riseup.net pour être tenu informé des actions en cours et à venir.

    https://seenthis.net/messages/932624
    https://seenthis.net/messages/931234

    #grande_distribution #autoréduction #justice #criminalisation_des_luttes

    • 38 000 euros d’amende pour une action de solidarité

      Une autoréduction ou un vol ? Le second, selon le tribunal. Deux militant·e·s solidaires ont été condamné·e·s pour vol en réunion. Il vont interjeter appel, affirmant avoir obtenu l’accord du directeur.

      Pour tous deux, il ne s’agissait que d’une action d’autoréduction, c’est-à-dire de récupération gratuite avec l’accord du directeur du magasin, des denrées alimentaires et des produits d’hygiène. Cela afin de les redistribuer à des associations. Pour le tribunal, c’est du vol.

      En effet, ce 18 novembre, la 24e chambre correctionnelle a condamné Fabrice et Alice*, solidairement et respectivement, à 2 000 euros et 1 500 euros d’amende avec sursis. Il et elle n’étaient pas présent·e·s au moment du verdict. Tout comme les responsables de Carrefour. Les deux parties étaient toutefois représentées par leurs avocats. Une condamnation avec sursis qui semble légère mais qui ne s’applique en réalité qu’à l’aspect pénal de l’affaire.

      Sur l’action civile, la sentence est beaucoup plus importante. Le tribunal estime ainsi le préjudice matériel à 8 553 euros, le préjudice moral à 10 000 euros et enfin celui lié à la perte d’exploitation à 18 000 euros. En comptant les frais d’avocats (1 000 euros par personne), cela représente 38 000 euros d’amende. Une somme énorme pour les militant·e·s mais dérisoire pour Carrefour, dont le chiffre d’affaires s’élève à « 34 milliards d’euros en 2019 », rappelle un communiqué du comité de soutien, publié dans la foulée de la décision de justice.

      Une condamnation bien plus élevée que les 2 000 euros avec sursis requis par la procureure. « Surtout, les inculpé·e·s avaient rappelé le contexte de cette action partageuse : la précarité et la détresse alimentaire de millions de personnes », continue le communiqué.

      Comme il et elle avaient prévenu, la décision sera contestée en appel car « c’est aussi se battre contre la criminalisation de [leurs] luttes et pour que ce procès ne constitue pas un grave précédent », conclut finalement le communiqué.

      Mediapart vous propose de relire ci-dessous notre compte-rendu d’audience : « Autoréduction ou vol ? Deux militants parisiens en procès », publié le 15 octobre 2021.

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      « Carrefour ne daigne même pas venir ! » Mélange d’indignation et de colère dans la voix d’Alice* ce jeudi 14 octobre. Elle comparaît en tant que prévenue aux côtés de Fabrice* (tous les militants ont été anonymisés, voire notre Boîte noire), après une opération d’« autoréduction » réalisée dans un supermarché parisien. Mais seul l’avocat de l’entreprise est présent.

      « Ceux qui ont mené l’action ont fait exprès de choisir un magasin non franchisé », déclare en marge du procès Rémi*, membre du comité de soutien et présent avec une trentaine de camarades à l’audience. Les militants souhaitaient en effet porter préjudice « à l’entreprise nationale Carrefour et pas à un directeur de magasin franchisé, qui, lui, engage ses propres fonds ».

      Les faits remontent au 30 janvier. La France est encore sous le régime du couvre-feu, après le deuxième confinement, qui a duré du 30 octobre au 15 décembre. Dans un Carrefour Market du XIIIe arrondissement de Paris, des militants associatifs, membres de collectifs solidaires, arrivent, bloquent les caisses, distribuent des tracts et procèdent à une opération d’« autoréduction ».

      En d’autres termes, ils emportent sans les payer des produits, ici de première nécessité. Les participants à cette opération étaient entre 30 et 50, selon les versions. « Ces opérations font partie des principes de la lutte sociale. C’est un certain mode d’action », témoigne Alice. La présidente de la 24e chambre correctionnelle reste impassible.

      Après négociation avec le manager du magasin, qui avait lui-même discuté avec sa hiérarchie, les participants ont eu l’autorisation de se servir en biens de première nécessité, et l’assurance qu’aucune poursuite ne serait engagée. Fabrice le rappelle d’ailleurs à la présidente : « Je n’avais pas de crainte d’un point de vue judiciaire car on avait conclu un accord ! »

      Accord du directeur du magasin ?

      Un accord qui aurait été rompu en raison de la nature des produits qui ont été pris dans les rayons. « Au cours de sa deuxième audition, le directeur du magasin affirme avoir vu plusieurs sacs contenant des bouteilles d’alcool ainsi que de la hi-fi. Ce n’est pas de première nécessité », martèle la procureure.

      Un huissier avait été envoyé sur place par Carrefour pour faire les constatations. « Il a notamment remarqué que les étalages de magrets de canard étaient vides. Pareil pour les rayons boucherie et poissonnerie, et pour les denrées les plus chères... », énumère la magistrate.

      Des rires se font entendre dans la salle, et la présidente rappelle à l’ordre les personnes présentes. La procureure énonce le cœur de ce procès : « La question est celle des moyens mis en œuvre et de leur périmètre. » Malgré l’accord de la direction, cette action est-elle un vol ? Et si oui, celui-ci est-il aggravé par le fait qu’il soit commis en réunion ?

      Les interrogations en découlant sont vertigineuses : le fait de se servir en couches sans chlore plutôt qu’en couches premier prix correspond-il à un besoin de première nécessité ? Première nécessité, cela implique-t-il forcément moindre qualité ?

      « Si la remise est volontaire, ce n’est pas considéré comme du vol car l’infraction n’est pas caractérisée », assure à la cour Émilie Bonvarlet, avocate de la défense. L’avocat de Carrefour, seul représentant des parties civiles à l’audience, donne des éclaircissements sur l’accord passé entre les militants et le directeur du magasin, pas franchement volontaire, selon lui : « Évidemment que le directeur a accepté. Il y avait une situation de contrainte. Il voit plus de 40 personnes arriver, il craint une escalade de la violence. Il tenait à la sécurité des employés et des clients présents. »

      Des faits contestés par les prévenus : « On parlait avec les clients, on leur distribuait des tracts, on servait du café et on leur expliquait notre démarche. Et des policiers étaient de toute façon présents », explique Alice. Ce sont d’ailleurs les policiers qui ont contrôlé les identités des deux militants, permettant au manager de remonter jusqu’à eux et de les identifier comme « les meneurs ». Fabrice récuse ce terme.

      L’avocat de Carrefour continue sa démonstration. Il précise les dommages et les préjudices subis par l’entreprise qu’il représente, en se basant sur les calculs du directeur et l’expertise de l’huissier. Il reste réaliste : « Oui, cela représente 1 % du chiffre d’affaires du magasin. Ça n’a pas grande importance d’un point de vue financier, certes. Mais le préjudice matériel existe tout de même. »

      Contactée par Mediapart, la direction de Carrefour confirme ces chiffres : « Le directeur du magasin a évidemment saisi la justice car il s’agissait d’un évident vol en réunion. Carrefour a subi un préjudice financier s’élevant à plus de 16 000 euros de produits sortis du magasin sans avoir été payés. À cela s’ajoute la violence de l’opération à l’encontre de nos collaborateurs et de nos clients, sans parler de la perte d’exploitation engendrée par la fermeture du magasin pendant trois heures. »

      L’évaluation du préjudice est contestée

      Ces chiffres sont contestés par la défense. L’avocate des prévenus s’appuie notamment sur l’expertise de David Gaborieau, sociologue du travail spécialiste de la grande distribution, sollicité pour cette affaire : « Sur les 111 bouteilles d’alcool qui ont été prises, 90 seraient des bouteilles de whisky ? Ce n’est pas réaliste. » Elle demande également que le calcul du préjudice total se fasse hors taxes : « On fait payer aux prévenus les 20 % de TVA », remarque-t-elle.

      « Tous les témoignages d’associations et de groupes d’entraide qui ont reçu les produits issus de cette opération n’ont, à aucun moment, parlé d’alcool ou de matériel hi-fi », insiste l’avocate.

      Elle produit des photos montrant des bouteilles d’alcool du magasin portant un système antivol au niveau du bouchon : « Ça aurait sonné si des bouteilles d’alcool avaient été emmenées. Et il y avait des témoins ! », insiste-t-elle.

      Viennent les réquisitions. La procureure se montre compréhensive : « Sur le principe, l’idée de “Robin des Bois” est louable. Mais la justice ne fait pas de distinction, notamment car il y a d’autres moyens d’action. » Elle requiert 2 000 euros d’amende avec sursis pour chaque prévenu.

      L’avocat de Carrefour est moins clément. Il demande 18 000 euros d’amende pour le préjudice matériel. Il relève également un préjudice d’image, car « cette action a eu un effet sur la clientèle habituelle du magasin ». À ce titre, il demande 15 000 euros d’amende supplémentaires. L’avocate des prévenus plaide pour sa part la relaxe intégrale.

      La décision sera rendue le 18 novembre. La salle se vide, le comité de soutien se met à chanter au sein du palais de justice : « Face à la précarité, solidarité ! » et « De l’argent pour les précaires, pas les actionnaires ! »

      Une banderole est déployée dans les couloirs. Des agents de police interviennent et la saisissent immédiatement. Elle est redéployée dehors. « Si la relaxe n’est pas prononcée, je ferai évidemment appel », déclare Alice. Idem du côté de Fabrice. La détermination se ressent dans leurs regards et leurs voix. Les chants de soutien reprennent en chœur.
      https://www.mediapart.fr/journal/france/191121/38-000-euros-d-amende-pour-une-action-de-solidarite