Frédéric Lordon : « Quant à moi, je ne pense donc pas faire partie des personnes à convaincre en priorité de l’anti-dualisme — mais je dois compter avec les effets d’une visibilité distordue où mes interventions politiques font systématiquement oublier mes travaux philosophiques. »
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(…) Donc oui, le spinozisme aide à penser philosophiquement l’écologie. Et oui, l’attrition de nos sensibilités me préoccupe autant qu’un latourien qui piste les loutres. Maintenant la question politique, c’est : qu’est-ce qu’on fait avec tout ça ? Le délicieux Pierre Charbonnier cite Philippe Descola pour rappeler qu’on ne peut pas « être révolutionnaire politiquement et conservateur ontologiquement ». Il va pourtant falloir y arriver car, dans l’urgence extrême de l’écocide, mettre la révolution politique sous condition de la révolution ontologique est la certitude de finir grillés, noyés, suffoqués, pandémiés et tout ce que vous voulez. La révolution ontologique (désastreuse) qui a fait émerger la métaphysique du sujet et du libre-arbitre, puis l’a convertie en un imaginaire commun, a pris des siècles. Celle qui l’annulera pour (re)faire les droits de l’égalité ontologique et de l’interdépendance générale en prendra à peu près autant. Or nous n’avons pas des siècles. Donc on va laisser les universitaires (je m’y inclus) préparer la révolution ontologique, mais on ne va pas non plus se la raconter en technicolor sur les pouvoirs de la philosophie première, et on va plutôt tâcher de trouver et rapidos de quoi laisser une chance à l’humanité de continuer à habiter cette planète. Or cette chance passera par la position d’un certain nombre d’actes, à commencer par des actes de nomination, et en fait de désignation.
cc @pguilli