• Cette pandémie devient une pandémie de non-vaccinés
    Journal d’épidémie, par Christian Lehmanndossier

    https://www.liberation.fr/societe/sante/cette-pandemie-devient-une-pandemie-de-non-vaccines-20211124_KYBLHO3MBBEJ

    Cela fait maintenant près de deux ans que ce journal a débuté et je me retrouve dans une situation que j’ai déjà connue trop de fois. Celle de rechigner à écrire un article et à faire l’état des lieux. Je m’accroche à l’espoir que dans le flot de désinformation continue qui nous ensevelit quotidiennement, opposer quelques vérités basiques puisse avoir encore un sens. La cinquième vague est là, et bien là, et nous allons collectivement prendre cher. Oui, malgré la vaccination.

    Dans les territoires et pays non-vaccinés, c’est une hécatombe. En métropole, la situation est la suivante : le système de santé de ville est en extrême tension, et l’hôpital en passe d’être submergé. Oui, malgré la vaccination.

    Le variant delta est plus contagieux que ses prédécesseurs, et a rebattu les cartes depuis juillet. Etre vacciné, rappelons-le, c’est développer une immunité contre le virus, qui évite les formes graves, mais ne peut empêcher le virus de pénétrer dans l’organisme, et éventuellement d’être contagieux pendant un temps plus ou moins long. Avant le variant delta, un vacciné avait douze fois moins de risque qu’un non-vacciné de contaminer un proche. Avec le variant delta, un vacciné a « seulement » deux fois moins de risque de contaminer un proche.
    En catastrophe

    Pour des raisons de positionnement vis-à-vis de la frange vaccino-sceptique de leur électorat, de nombreux politiques d’extrême droite, Marine Le Pen, Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot, pour ne pas les citer, répètent que « le vaccin ne protège pas de la contamination mais uniquement des formes graves », ce qui est un mensonge insuffisamment dénoncé. Une protection de 50 % n’est pas négligeable pour freiner les contaminations.

    Malgré la vaccination, donc, les vaccinés peuvent être contaminants, mais deux fois moins que les non-vaccinés. Et dans leur immense majorité, ils sont protégés des formes graves, qui nécessitent une hospitalisation. Mais parmi ces vaccinés, il existe beaucoup de personnes très âgées ou immunodéprimées ou présentant des comorbidités dont l’existence fragilise leur organisme et qui à l’occasion de l’infection par le Sars-CoV-2 peuvent décompenser et nécessiter l’hospitalisation. Il reste que cette pandémie devient une pandémie de non-vaccinés, comme on peut le voir hélas dans les territoires d’outre-mer où la réticence vaccinale est grande par défiance envers l’Etat, et dans les pays d’Europe de l’Est où peu de gens sont vaccinés.

    Dans cette situation complexe, avec encore près de 13% de patients vaccinables non-vaccinés, soit 6 à 7 millions de personnes, les pouvoirs publics décident de mettre en place une dose de rappel en population générale, en se basant sur une étude récente du Lancet dans laquelle on apprend que si la protection contre les formes graves se maintient au-delà de six mois, la protection contre les contaminations baisse, et est fortement boostée par le rappel. Seul bémol, cette ré-augmentation de la protection contre les contaminations a été calculée à deux semaines. En termes clairs, cela signifie qu’on ne sait pas à l’heure actuelle si ce rappel augmente durablement, ou seulement passagèrement, la protection contre la contamination.

    Cette stratégie se heurte aussi à la décision récente de fermer de très nombreux centres de vaccination, en imaginant que les médecins, pharmaciens et infirmiers prendraient le relai dans leurs cabinets et officines. C’était, une fois encore, sous-estimer gravement l’état de délabrement du système de santé. La médecine de ville croule, les délais de consultation s’allongent, vacciner au cabinet est compliqué et chronophage. On rouvre donc en catastrophe des centres fermés, et ceux qui étaient restés ouverts augmentent leur cadence.

    J’y vois passer beaucoup de doses de rappel, justifiées par l’âge ou la comorbidité, quelques secondes doses, et quelques primo-vaccinations. Or c’est ce dernier public qu’il faudrait encore et encore, inlassablement, tenter de convaincre. Individuellement et collectivement, il vaut probablement mieux vacciner une personne non-vaccinée que proposer un rappel à dix personnes sans immunodépression ou comorbidité déjà doublement vaccinées.

    Incroyable inconséquence

    Tout se passe comme si on écoulait des doses en pariant sur la responsabilité individuelle, sans prendre de mesures collectives. Vingt-et-un mois après le début de la pandémie, les directives sur l’aérosolisation ne sont toujours pas diffusées ou comprises. Au-delà de l’instrumentalisation politique qui peut en être faite, les vidéos du Premier ministre, Jean Castex, sans masque, serrant la louche à des dizaines de personnes dans une réunion où aucune mesure barrière n’est respectée illustrent certes la déconnexion des gouvernants par rapport à une population à laquelle ils imposent des règles dont eux-mêmes se croient dispensés, mais surtout, à mon sens, une incroyable inconséquence, et une persistante incompréhension des bases scientifiques simples que tout responsable politique devrait maîtriser à ce stade.

    En réponse aux critiques, l’entourage de Jean Castex accumule les éléments de langage qui ne convainquent personne : « Le Premier ministre a toujours été le plus précautionneux de tous sur les gestes barrières. Il a toujours porté le masque le plus possible, toujours respecté les protocoles sanitaires. » Comme le rappelle Philippe Moreau Chevrolet : « On se souvient de Jean Castex, qui annonçait déjà publiquement dans un espace fermé [en septembre dernier] qu’il était cas contact. François Bayrou, lui, assistait à la scène à un mètre de là, sans masque. »

    Dans le même temps, et alors qu’on nous explique que Jean Castex a probablement été contaminé par sa fille de 11 ans, on continue à répéter la fable selon laquelle les enfants français ne peuvent être infectés par Sars-CoV-2, ou dans tous les cas ne peuvent le transmettre aux adultes. Et en milieu scolaire, le protocole Blanquer reste une passoire. Celui qui prône l’école ouverte sans la sécuriser n’a toujours pas mis en place aération, capteurs de CO2, et politique de tests, et en est réduit à annoncer la fermeture de 6 000 classes alors que l’épidémie flambe.
    On n’avance pas. On fait du surplace.

    Avec cette impression de devoir répéter inlassablement les mêmes évidences, sur l’aérosolisation, sur la vulnérabilité des enfants, sur le respect réel des mesures barrières, sur l’importance du télétravail. On n’avance pas, en grande partie, parce que certains illuminés ou certains margoulins en mal de reconnaissance médiatique sont systématiquement invités et réinvités sur des chaînes de désinformation continue et y répandent leur purin. Il faut avoir entendu Christian Perronne chez Ivan Rioufol sur CNews pour saisir la malignité du projet Bolloré.

    Qu’importe la vérité scientifique, qu’importent les dégâts causés, le discours conspirationniste a porte ouverte dans ces médias. Il alimente l’idée nauséabonde que la vaccination est un projet génocidaire, dont les soignants dans leur immense majorité seraient, au mieux, les idiots utiles, au pire les instigateurs zélés. Créer et alimenter le chaos pour mieux affaiblir un pouvoir politique autoritaire et maladroit, quel qu’en soit le prix en vies humaines : Chaos is a ladder.

    • Pour Castex, et tant d’autres, il y a deux hypothèses, l’école (de sa fille) ou le passe non sanitaire qui autorise l’absence de masque en lieu clos. Cette possibilité là n’est nulle part souligné alors quelle est active depuis début juin 2021 et qu’elle dit ce qu’il faut savoir de ce gouvernement et de ses prétentions sanitaires.

    • Pour des raisons de positionnement vis-à-vis de la frange vaccino-sceptique de leur électorat, de nombreux politiques d’extrême droite, Marine Le Pen, Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot, pour ne pas les citer, répètent que « le vaccin ne protège pas de la contamination mais uniquement des formes graves », ce qui est un mensonge insuffisamment dénoncé. Une protection de 50 % n’est pas négligeable pour freiner les contaminations.

      Malheureusement, ce n’est pas l’« extrême-droite » seulement qui est en cause. Politiquement et médiatiquement, on n’a que deux discours omniprésents :
      – ça ne protège pas, discours de l’extrême-droite certes, mais c’est aussi répété par la France Insoumise à chaque occasion. (Corollaire : le passe sanitaire ne sert donc rigoureusement à rien.)
      – ça protège à 100%, lancé par le gouvernement. (Corollaire : pas besoin de masque si passe sanitaire. Ou encore : on devrait obliger au passe pour pouvoir manifester dehors.)

      Et pis c’est tout. L’entre-deux est totalement absent.

    • Il n’empêche que ce journal d’épidémie est la plupart du temps pertinent. Il a fait de l’aérosolisation un thème central dès le début. Libre d’accès au début de la pandémie, il est maintenant réservé aux abonnés. Merci pour le partage.