• Syndrome du bébé secoué, un scandale français
    https://www.blast-info.fr/articles/2021/syndrome-du-bebe-secoue-un-scandale-francais-v9a8Z06zRfG2Fm_8a9BMnA

    Régulièrement, la presse se fait l’écho d’histoires de nourrissons morts ou handicapés, toutes plus sordides les unes que les autres. Quasi automatiquement, le père, la mère ou la nounou - la dernière personne à avoir tenu l’enfant - se retrouve soupçonnée de l’avoir secoué violemment, dès que des épanchements de sang au cerveau sont constatés. En France, les cas signalés à la justice et les condamnations se multiplient, au point que certains parlent « d’épidémie de bébés secoués ». Si la maltraitance est dans certains cas avérée, il y a aussi et souvent d’autres causes, médicales, qu’on oublie de chercher ou qui sont réfutées. Un récent procès, qui vient de s’achever, illustre cette mécanique infernale.

    Pour la Haute autorité de santé (HAS), l’affaire est entendue. Lorsqu’un nourrisson présente des hémorragies rétiniennes doublées d’hématomes sous-duraux, des saignements autour du cerveau traduisant la rupture des veines ponts, ces vaisseaux sanguins qui drainent le cerveau, le diagnostic est établi : il s’agit d’un secouement violent. Le SBS (syndrome du bébé secoué) est une théorie apparue aux États-Unis dans les années 70. Elle a été importée en France une décennie plus tard, par les équipes du service de neurochirurgie pédiatrique de l’hôpital Necker.

    L’expert tout puissant
    Ce fut une hypothèse, pour la justice c’est aujourd’hui un dogme. La France est un exemple frappant d’un pays où « le culte de l’expertise » atteint des sommets. Jusqu’à l’absurde. Dans l’hexagone, les experts médico-légaux sont nommés par la magistrature. Ignorant tout ce qui relève du domaine médico-scientifique, les juges ne peuvent traduire un suspect devant un tribunal, ou le disculper, qu’à partir de leurs travaux, pierre angulaire de toute la procédure pénale dans les cas de SBS. Résultat, les experts peu à peu se substituent à eux. En dépit des progrès de la recherche scientifique, qui remettent en question leurs diagnostics, ils restent systématiquement sur la même ligne dès qu’un de ces symptômes apparait chez un nouveau-né. Pour les experts, le doute n’est pas permis : le bébé a été secoué.

    La machine infernale est lancée. Plus rien, ou presque, ne l’arrêtera.

      Sans nuances
    Première étape, l’hôpital, où tout commence. Brandissant l’incontournable principe de précaution, l’hôpital veut aller vite. Si un secouement est suspecté, le cas est signalé. Dans la foulée, l’enfant est retiré à ses parents et une enquête est ouverte.

    Dans le guide de bonne pratique https://www.has-sante.fr/jcms/c_2794425/fr/syndrome-du-bebe-secoue-ou-traumatisme-cranien-non-accidentel-par-secoueme qu’elle a rédigé, la Haute autorité de santé affirme qu’il n’existe pas « d’intervalle libre » entre le secouement et les symptômes observés. Logiquement, les experts désignent la dernière personne à avoir été en contact avec l’enfant, seule et sans témoin, avant son hospitalisation. Aussi vite soupçonnée, celle-ci se retrouve systématiquement mise en examen. Présumée coupable, elle doit démontrer son innocence, ce qui est impossible et pénalement absurde. Le verdict est ainsi posé, avant même le procès...


    Une affiche pour une campagne de sensibilisation et de prévention, pour le département de l’Eure.

    Dans ces affaires de suspicion de bébés secoués, on retrouve très souvent les noms de cinq experts judiciaires. Cosignataires des recommandations de la Haute autorité, ces cinq médecins légistes sont mandatés dans une part écrasante des dossiers de ce type, particulièrement les plus dramatiques. Ils appliquent donc dans leurs expertises leurs propres recommandations. Parmi eux, pas de neurologue pédiatre : aucun spécialiste de cette discipline, qui traite des hématomes sous-duraux des nourrissons, n’a pas ailleurs participé aux travaux de la HAS. Conséquence de cette situation, ces experts disposent d’un pouvoir exorbitant. Ils ont entre leurs mains le sort d’un parent, d’une famille, d’une nounou, déjà traumatisés par l’état de santé de l’enfant.

    Quand on s’astreint à une lecture attentive des différents rapports qu’ils rédigent, on fait de curieuses découvertes : des éléments de langage communs, des formules répétées, des copiés-collés de leurs propres recommandations, quand ces mêmes experts... ne confondent pas un bébé avec un autre. Sur la base de ces avis, de lourdes peines sont prononcées. Des parents ou des baby-sitters se retrouvent aux assises devant un jury populaire et sont condamnés à des peines de prison pouvant aller de 5 à 15 ans, voire plus. Aux États-Unis, où le SBS a été conceptualisé, cinq personnes soupçonnées d’avoir tué leur bébé attendent actuellement dans le couloir de la mort.

    Qui cherche trouve
    Pourtant, loin de ces certitudes, il y a souvent d’autres causes aux hématomes. Pour les trouver, encore faut-il les chercher. C’est ce qu’a fait un neurologue strasbourgeois : en 2016, le professeur Christian Marescaux, qui exerce au centre hospitalier universitaire (CHU) de la préfecture du Bas-Rhin, est sollicité par un couple. Ces jeunes parents sont dans la tourmente : ils viennent de perdre Lucas, leur enfant de deux mois, et le père, accusé d’avoir secoué son bébé, est incarcéré.

    Après étude du dossier médical, le neurologue découvre une toute autre explication que celle initialement retenue : l’enfant était atteint d’hydrocéphalie externe. Cette accumulation excessive de liquide céphalo-rachidien dans le cerveau provoque l’apparition... d’hématomes sous-duraux et d’hémorragies rétiniennes – deux des éléments associés au syndrome du bébé secoué. Le CHU de Strasbourg, puis le docteur Jean-Sébastien Raul, un des cinq experts du SBS, sont passés à côté. Sans appel, les conclusions de Christian Marescaux emportent finalement la conviction des enquêteurs et le jeune papa accusé à tort est remis en liberté, après être resté plus de trois mois en prison pour rien.

    Je me pose des questions…
    Plus largement, l’intervention du professeur Marescaux a permis de mettre le doigt sur un système qui mérite d’être questionné. Alors qu’il l’entendait dans l’affaire de Strasbourg, un gendarme enquêteur a spontanément eu cette réflexion : « Professeur, vous m’avez convaincu et je me pose des questions sur les nombreux signalements de bébés secoués provenant du CHU de Strasbourg ! » Mais la justice, ce n’est pas nouveau, a du mal à reconnaître ses erreurs : à ce jour, six ans plus tard, elle n’a toujours pas innocenté le jeune papa.


    Images d’un scan de cerveau (©Adikia)

    Après ce précédent, Christian Marescaux a eu l’occasion de confirmer cette impression en travaillant sur d’autres dossiers du même type. Pour, à nouveau, démentir les expertises accusatrices. Parmi ces histoires, celle édifiante de ce couple à qui on avait retiré Luqman, leur enfant… pendant deux ans. Là encore, tout avait démarré au CHU de Strasbourg où les parents étaient venus chercher de l’aide : ils avaient immédiatement été soupçonnés, une fois repérés les fameux hématomes autour du cerveau de l’enfant.

    L’histoire aurait pu rester celle-là mais le Pr Marescaux, sollicité par les parents de Luqman, va vite trouver une autre explication. La cause de ces séquelles ? Un déficit en vitamines K qui compromet la coagulation du sang. Sans lui retirer ses mérites, le neurologue a simplement eu à ouvrir le dossier dans lequel cette information était consignée noir sur blanc de la main d’une biologiste. Sauf que nul ne s’en était soucié… Pire, au début de l’histoire, un autre élément relevant de la simple observation aurait dû au minimum mettre la puce à l’oreille : alors que le bébé se trouvait à l’hôpital en observation, d’autres hématomes étaient spontanément apparus. Pas de quoi faire douter de la thèse des violences parentales et remettre en question le long calvaire infligé à cette famille : mis en examen, les parents seront uniquement autorisés à voir leur fils au travers... d’une cloison en plexiglass.

     Si quelque chose cloche
    Le professeur Marescaux va trouver un autre élément essentiel expliquant l’apparition des hématomes : dans le dossier médical, il découvre que les parents de l’enfant sont... cousins. Or cette parentèle est justement un facteur déclencheur de maladies génétiques ! Le déficit en vitamine K, D ou E du petit Luqman s’explique par une maladie génétique extrêmement rare, identifiée très tard en raison des accusations portées sur les parents. Ce diagnostic tardif a eu des conséquences graves pour le bébé qui n’a pas reçu le traitement nécessaire, et qui présente aujourd’hui des séquelles.

    Grâce au rapport du neurologue, l’expertise initiale - elle affirmait de toute son autorité qu’il s’agissait « [d’]un exemple flagrant de secouement » - est finalement rejetée, et les parents disculpés. Happy end ? Pas totalement car la juge en charge du dossier, sans doute rétive à une remise en cause de son travail, va prendre une dernière décision aberrante en décidant que le petit Luqman devait être placé… chez ses parents ! Peu importe le caractère ubuesque de la situation, c’est une application stricte de la loi en la matière. 

    A toi, à toi, à toi…
    Comment expliquer que l’hôpital, la justice et les experts – tous - se soient ainsi fourvoyé ? La raison est aussi simple que désespérante à énoncer. Appliquée sans discernement, la thèse du secouement est tout simplement plus confortable pour tout le monde. En réalité, ces affaires dessinent un circuit dans lequel chacun s’engouffre sans jamais regarder si quelque chose cloche : les médecins ont une réponse toute simple (le secouement), alors que les cas qui leur sont soumis sont souvent beaucoup plus complexes ; la police, elle, n’a pas à reconstituer les faits - elle se contente d’obtenir les aveux d’un accusé meurtri, donc vulnérable, par autosuggestion ; et la justice suit aveuglément l’avis de l’expert médico-légal… Résultat, il devient impossible de s’extraire de ce cercle infernal.

    Dans ce schéma, peu importe si l’enfant reste sans soins adaptés, privé de l’amour de ses parents, et si ces mêmes parents, bouleversés par l’état de santé de leur bébé, doivent en plus porter sur leurs épaules une accusation infamante.

     Toutes les informations nécessaires

    En réalité, ces deux affaires de Strasbourg ne sont pas uniques et le Pr Marescaux est devenu le cauchemar des experts qui sévissent dans tous les palais de justice en France. « Mon travail est uniquement basé sur les documents qui me sont fournis, rappelle le neurologue à Blast, on trouve dans les dossiers toutes les informations nécessaires à un diagnostic. Rechercher les causes médicales à l’apparition d’hématomes devrait être la priorité des experts, mais poser comme postulat le secouement de l’enfant empêche toute recherche ultérieure. Et nombre de parents ou de nounous sont ainsi accusés à tort ».


    Le schéma versé par les experts à l’appui de leurs dossiers, quand ils sont saisis par la justice. Il représente un bébé secoué, avec les conséquences sur son cerveau

    Le constat, grave, interpelle. Il mérite vérification. En continuant à enquêter, on s’aperçoit que ces cas de dysfonctionnements ne sont pas isolés. L’histoire d’Alexandre Chacón est emblématique de cette obstination à trouver un coupable à tout prix quand des troubles graves sont relevés chez un bébé. Elle vient de donner lieu à un procès devant la cour d’assises d’appel de Melun, qui confirme tout le chemin qui reste à faire pour que ces affaires soient abordées avec la mesure et le doigté qui conviendraient.

    En octobre 2013, Alexandre Chacón et sa compagne Yoanna s’inquiètent, constatant que leur fils Eitan, âgé d’un mois, est inconfortable et refuse le biberon. Les parents se rendent à l’hôpital Trousseau à Paris, aux urgences pédiatriques, qui suspectent une méningite. Avant d’avoir le résultat d’une ponction lombaire, les médecins mettent immédiatement le bébé sous antibiotiques. Eitan est transféré à Necker pour un scanner cérébral, qui révèle un hématome sous-dural. Les médecins concluent instantanément à un secouement et arrêtent les antibiotiques. Le bébé décèdera douze jours plus tard.

    Cinq jours après l’enterrement de son fils, Alexandre Chacón subit une garde à vue, au cours de laquelle il conteste les faits : il n’a jamais secoué Eitan. Pour expliquer les lésions, les médecins lui avaient parlé d’un geste extrêmement violent et répété. Pourtant, lors de son audition, un enquêteur lui relate hors PV l’histoire d’une basketteuse qui a causé des lésions cérébrales graves à son bébé en le soulevant brusquement de son tapis d’éveil. Le policier demande à Alexandre Chacón si, par hasard, il n’a pas eu un geste analogue. C’est alors que le papa évoque une sortie de lit un peu vive au cours de la nuit, pour lui donner le biberon. L’enquête est terminée : pour la police, Alexandre Chacòn a tué son bébé. Le parquet requiert la détention provisoire.

    Au cours de sa garde à vue, le papa reçoit le soutien d’un avocat commis d’office. Celui-ci plaide sa remise en liberté, sous contrôle judiciaire, et l’obtient. Depuis, Me Grégoire Étrillard n’a plus lâché Alexandre Chacón. Ce sera le premier dossier de ce type pour l’avocat, qui accompagne désormais plus d’une centaine de familles poursuivies pour les mêmes raisons.

    En quête de vérité
    Depuis 2013, Alexandre Chacón s’est transformé en enquêteur de sa propre histoire. Il est devenu papa de deux petites filles. Dans sa quête de vérité sur la mort de son fils, il est bien sûr tombé sur les recommandations de 2011 de la HAS, qui semblent indiquer un consensus absolu sur le SBS. Il a aussi regardé au-delà des frontières françaises et découvert une controverse médico-scientifique qui existe depuis trente ans. Un nom revient souvent : celui de Waney Squier. Cette neuro-pathologiste pédiatrique britannique est une des plus grandes chercheuses au monde sur les mécanismes des maladies du cerveau du nourrisson.

    Alexandre Chacón lui a adressé le dossier d’Eitan et, avec l’aide d’une radio pédiatre américaine, Waney Squier a diagnostiqué une thrombose veineuse cérébrale. Au même moment, en novembre 2016, la haute autorité de santé suédoise publie un rapport consacré au SBS. Contrairement aux affirmations de leurs homologues français, les Suédois concluent qu’il est impossible d’établir avec certitude les diagnostics.

    Poursuivant son enquête, Alexandre Chacón rencontre également Christian Marescaux, qui confirme la thrombose et découvre dans le dossier médical un marqueur infectieux trente fois plus élevé que la norme, la procalcitonine (PCT), que ni les médecins de Necker, ni les experts n’avaient vu. Un de ses confrères, le Pr Echenne, transfère le dossier au plus grand spécialiste mondial de la thrombose veineuse cérébrale du nourrisson : le Pr Guillaume Sébire, neuro-pédiatre à l’université McGill, au Canada.

    La main lourde
    Plutôt qu’un secouement, les professeurs Marescaux et Sébire ont démontré l’existence indiscutable d’une maladie neurologique, à l’origine du décès d’Eitan. En octobre 2019, ils sont venus le dire devant la cour d’assises de Paris, en témoignant au procès d’Alexandre Chacón. Mais les fameux experts français du SBS – sur les cinq qui font la pluie et le mauvais temps dans les tribunaux, trois étaient présents à l’audience - ont refusé d’admettre leur erreur, affirmant d’une même voix à la barre que ce dossier était un « cas d’école du bébé secoué ». L’avocat général Philippe Courroye avait eu la main lourde en demandant 7 ans de prison ferme. Après de brèves délibérations, le jury avait infligé un affront à celui qui s’était rendu célèbre dans l’affaire Bettencourt (1), en acquittant le papa d’Eitan. Dans ses motivations, la cour a reconnu la possibilité d’une maladie neurologique d’origine infectieuse pour expliquer sa mort, tout en soulignant la qualification et l’intégrité des professeurs Marescaux et Sébire, cités par la défense.

    Le Courroye d’appel
    Pour le papa meurtri, le combat n’est pas terminé. En effet, l’avocat général Courroye a fait appel de la décision sans motiver son choix - ce que le droit lui permet. En aurait-il fait une affaire personnelle ? Quoi qu’il en soit, Alexandre Chacòn a dû comparaître à nouveau, du 15 au 19 novembre, devant la cour d’assises de Seine-et-Marne présidée par David Hill. Dans une toute autre atmosphère.

    A Melun, les débats ont débuté dans un climat infiniment plus tendu. Innocenté à Paris en 2019, Alexandre Chacòn a du se présenter à la barre du tribunal dans la peau d’un présumé coupable. Alors qu’ils avaient ignoré en première instance le marqueur infectieux et la thrombose, les experts judiciaires ont fait cette fois de ces deux éléments un facteur de culpabilité, affirmant qu’ils découlaient du secouement ! Une aberration scientifique pourtant, selon un autre expert-judiciaire, extérieur à la HAS celui-là : lors des débats, le Dr Mselati a indiqué revenir sur son diagnostic initial de secouement. Le pédiatre a admis l’hypothèse alternative soutenue par la défense.

    L’exposition de ces divergences méritait à l’évidence discussion. En première instance, le président Philippe Coirre avait autorisé la tenue d’un débat médical contradictoire et serein, afin de rechercher la vérité. Mais à Melun, ni le président des assises ni l’avocat général ne semblaient convaincus par ce nécessaire éclairage. Ainsi, sur les quatre médecins cités par la défense, deux n’ont pas pu témoigner. Pour faire stopper ces témoignages mettant en difficulté l’accusation, le président Hill a sorti l’artillerie lourde : il a menacé de renvoyer le procès (d’une affaire qui traîne déjà depuis 8 ans) en expliquant que les experts, qui n’étaient plus là, devaient être présents pour pouvoir répondre… Au final, tous les témoins autorisés à s’exprimer ont été interrogés presque uniquement sur les déclarations en garde à vue du couple Chacòn.

     Cousue de fil blanc
    La suite était cousue de fil blanc. Dans ses réquisitions, Philippe Courroye a rappelé qu’Anne Laurent-Vannier, présidente du groupe de travail de la HAS sur le syndrome du bébé secoué, était venue en personne défendre ses recommandations. Dès lors, pour l’avocat général, acquitter de nouveau Alexandre Chacòn revenait à condamner les experts. Inacceptable, à ses yeux : « si dans ce dossier la culpabilité n’était pas reconnue, a prévenu le représentant du ministère public, la justice ne passera plus jamais dans les affaires de bébé secoué ».

    Reconnu coupable d’avoir tué son enfant, Alexandre Chacòn a été condamné à 5 ans de prison avec sursis. Dans ses motivations, la Cour d’assises de Seine-et-Marne s’appuie uniquement sur ses déclarations faites en 2013 en garde à vue sans jamais évoquer le moindre argument médical remettant en cause le diagnostic de secouement ou les recommandations de la Haute autorité de santé. Malgré ce coup dur, toujours décidé à ce que son innocence soit définitivement reconnue, Alexandre Chacon a annoncé qu’il se pourvoyait en cassation. Déjà prêt à revivre l’épreuve d’un troisième procès, d’ici quelques années.

    Changer de paradigme
    Sur son chemin de croix, qui s’est pour le moment arrêté à l’étape de Melun, Alexandre Chacón a aussi croisé il y a quelques années la route de Cyrille Rossant. Ce docteur en neurosciences, dont la nounou du premier enfant a été accusée à tort de secouement, préside une association qui regroupe près de 500 familles - toutes dans cette situation, confrontées à une mécanique folle. Depuis 2019, l’association Adikia et Me Grégoire Etrillard ont engagé des recours administratifs pour obtenir l’abrogation des fameuses recommandations de l’autorité administrative indépendante (la HAS). Ils réclament la constitution d’un nouveau groupe de travail, intégrant aussi des professionnels compétents en neurologie pédiatrique. Le dossier est actuellement porté devant la Cour européenne des droits de l’homme.

    Par ailleurs, Adikia a répertorié plus d’une dizaine de pathologies susceptibles de provoquer les mêmes symptômes que ceux du syndrome du bébé secoué. Les violences sur un bébé se manifestent par d’autres traces sur le corps que de simples hématomes au niveau des méninges. A ce jour, la Haute autorité de santé en ignore la plupart. Pour le reste, quelques-unes d’entre elles, elle estime que « cela n’exclut pas la maltraitance surajoutée ».

    Essence politique
    S’il ne s’agit pas de nier que des faits de violence sur les enfants existent bien - et qu’il est légitime de les condamner -, ces affaires exigent une rigueur et une compétence irréprochables, ce qui n’est pas la règle aujourd’hui. Plutôt que privilégier la recherche de la vérité en orchestrant la confrontation (et les divergences) des avis médicaux, la cour d’assises de Seine-et-Marne a rendu un procès d’essence politique. Cette décision, qui fait le choix délibéré d’un camp contre un autre, est le symptôme d’un système qui marche sur la tête.

    Appliqué de manière aveugle, sans chercher d’autres causes aux symptômes relevés, le principe de précaution et de protection de l’enfant a généré trop de fausses accusations et trop de drames, dans des familles déjà endeuillées. D’autres pays, comme la Suède mais aussi le Canada, ont modifié leur approche. N’est-il pas temps que la France engage à son tour cette évolution, pour mettre un terme à une absurdité judiciaire et médicale dévastatrice ?

    La justice, la dignité et la santé des enfants le justifient pleinement.