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récoltes et semailles

  • Édouard Baer : « En dix ans, on en est déjà à l’Iphone 15 mais il faudrait aller plus vite ? C’est quoi le but ? »
    https://www.lefigaro.fr/vox/culture/edouard-baer-le-theatre-c-est-l-exact-contraire-du-numerique-20211022

    (…) Vous craignez le règne des écrans ?

    Non, je les pratique comme tout le monde et une large partie de mon métier consiste à utiliser ce média. Mais ce qui est dingue, c’est quand le gouvernement nous annonce comme un progrès : « Nous allons accélérer la numérisation. » Parce que c’est trop lent, la numérisation ? En dix ans, on en est déjà à l’Iphone 15 mais il faudrait aller plus vite ? C’est quoi le but ? Qu’il n’y ait plus d’interface humaine dans la plupart de nos actions quotidiennes, commerciales, dans nos aides, nos conseils ? Que plus personne ne se parle en « présentiel », cette sale expression ? C’est pas mal quand même l’autre en vrai ; avec nos défauts, embarrassés de nos corps, le charme de nos contradictions. Pouvoir se dire « oui » ou « non » les yeux dans les yeux, à portée de mains, c’est quand même autre chose… Le théâtre, c’est le contraire de tout ça, de tout ce monde logique, statistique, rationnel. C’est organique, c’est vraiment ici, ensemble et maintenant, c’est pour cela qu’il y a une plus grande intensité. Et puis on est aidés… Il y a très peu d’endroits aujourd’hui où l’on demande comme rituel de ne pas allumer son portable !

    (…) Vous n’êtes pas absolument remis de cette période confinée ?

    C’est énorme un an et demi dans la vie d’une nation comme d’un individu. Ça a dû avoir des côtés bénéfiques notamment pour les gens qui travaillent au bureau. Les immeubles de bureaux ressemblent souvent à des endroits conçus spécialement pour le malheur de ceux qui sont dedans et pour la tristesse de ceux qui passent devant. Juste un hommage à la puissance de l’entreprise… Je comprends qu’on préfère travailler chez soi, dans son salon, même avec ses enfants qui viennent nous mordre les mollets ou sur son balcon quand on a la chance d’en avoir un. J’étais laminé parce que je n’ai rien compris à la fermeture de l’espace public. Les théâtres, les cinémas, c’était intelligible mais quand on a interdit les plages, les forêts, les chemins de montagne, là je ne comprenais plus rien. En tant que Parisien, je comprenais vaguement qu’on m’enferme, la densité urbaine, mais qu’on interdise aux gens du coin d’aller marcher sur un causse désert en Lozère, ça me sidérait.

    Ce fut aussi le triomphe de Netflix ?

    Oui, je crois. Des séries surtout, comme si dans une vie soudain sans agenda, on avait besoin de rendez-vous… Le cinéma, c’est difficile… Autant le spectacle vivant a l’air de bien repartir, un besoin physique, autant l’évolution du cinéma est plus compliquée… et cela date d’avant la pandémie. Le cinéma, bien entendu, ne va pas disparaître mais il y a une sorte de scission qui a l’air de s’opérer entre de très gros films, souvent américains, et un cinéma proche de l’art contemporain, qui commence à être financé en partie par des mécènes venus du monde du luxe ou de la mode. Il faut se battre pour que continue un cinéma qui donne parmi les films français ou européens les plus importants, la fameuse voie moyenne…

    Voie moyenne ?

    Pas dans le sens moyennement réussi bien sûr ! Mais un type de financement, de sens du public sans renoncer à l’indépendance d’esprit, de création. Un système de production qui a permis les films de De Broca, de Sautet… Aujourd’hui Podalydès, Salvadori, Emmanuelle Bercot… Je ne voudrais pas qu’il n’y ait plus rien entre Marvel et une pratique du cinéma qui exclurait le plus grand nombre comme le fait souvent l’art contemporain. Je ne veux pas généraliser, je n’ai d’ailleurs pas la culture suffisante, mais il me semble qu’à la Fiac, par exemple, le plus souvent, il n’y a pas ou peu d’émotions, il faut avoir les codes culturels pour comprendre, pour ressentir surtout. Devant une œuvre si on n’a pas l’explication de l’auteur, le concept, le champ de références, on n’est pas frappés, sauf parfois par le gigantisme et par le culot, par le « geste ». On peut être bouleversé par ces œuvres si on est armés pour, mais comme art populaire, c’est plus délicat… Et puis un peu de gaieté parfois, ce n’est pas si mal non ?