Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Tüfekçi Zeynep, Twitter et les gaz lacrymogènes. Forces et fragilités de la contestation connectée
    https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/26224

    De fait, toujours dans l’avant-propos, l’hypothèse de travail est clairement énoncée : « L’internet permet à des mouvements connectés d’atteindre rapidement une masse critique, sans pour autant leur faire acquérir en amont les capacités d’organisation ou toute autre capacité collective, formelle ou informelle, qui les préparera aux inévitables problèmes à venir et les aidera à réagir en conséquence » (p. 13). Autrement dit, la connectivité et ses affordances perturbent les certitudes qui animaient l’espace public dont « les architectures sont altérées » par les technologies (p. 46) : la sphère publique connectée est configurée différemment de l’autre : « des personnes ordinaires bénéficient de nouveaux moyens de diffusion » (p. 47).

    Chiapas, Seattle, la place Tahrir, Hong Kong, New York (Occupy Wall Street) et, bien sûr, Istanbul : T. Zeynep écrit qu’elle était « au mauvais endroit au mauvais moment » (p. 17). En fait, non : elle était au contraire au bon endroit et au bon moment pour faire avancer l’approche critique des technologies passées au crible de l’organisation des mouvements anti-autoritaires de gauche et, plus généralement, de l’action politique. Précisément, cette approche n’est pas plus possible dans le feu de l’action : « Le “clicactivisme” relève d’une action facile demandant peu d’efforts ou d’engagement » (p. 32) en mettant ensemble des « personnes qui ne sont pas unies par de véritables liens » (p. 32) : la Révolution a besoin de temps et, désormais, elle ne peut plus suspendre son vol. Après tout, cela n’est pas étonnant que cela « ne marche pas » : si « la technologie contribue à créer de nouveaux modes d’organisation et de communication » (p. 196), « les grandes plateformes logicielles qui jouent désormais un rôle central dans l’organisation des mouvements sociaux du monde entier : Facebook, Twitter, Google et autres » (p. 37) ne sont-elles pas des Gafam ? Et, face aux Gafam, les témoignages humains, casuels, qui parsèment joliment le texte finissent par être émouvants (Sana l’Égyptienne, Mohamed le Tunisien, « les blogs de cuisine qui dialoguent avec les blogs politiques » [p. 59] ou le modèle des cupcakes pour Ahmed [p. 120], les 140journos et leur maîtrise des métadonnées quand ils relayent Istanbul et que les bulldozers sont menaçants, [p. 97]) car, « la gouvernance des sans leaders », comme celle des @TahrirSupplies, ne peut fonctionner que conjoncturellement, à l’image des barricades en France en 1853 (p. 115).

    « Fourmi critique », elle multiplie les pavés qu’il est impossible de décrire dans cette note comme les mécanismes très à géométrie variable de la censure (p. 245-251), l’analyse « digitalo-émotionnelle » du Ice Bucket Challenge vs Ferguson (p. 258-263) ou YoubeMom (p. 278-280), ou encore les discordances entre affordances, capacités narratives ou disruptives, voire électorales, mises en œuvre par les mouvements sociaux et les signaux de puissance éventuels lors de Occupy Wall Street ou Tea Party (l’ensemble du chapitre viii qui, selon l’auteure, « guide » la réflexion du livre) jusqu’au nettoyage des différentes places ici et ailleurs, pour faire comme à la maison (p. 166). Sans compter aussi avec « l’armée des Trolls » (p. 366) qui occupe le terrain des affordances conduisant aux nouvelles formes de censure, voire à la paralysie tactique, « le revers de la médaille » (p. 411).

    Enfin, un ultime mot pour saluer la traduction, à la fois respectueuse du style narrativo-critique de l’auteure, de la langue et du français. L’objectif de s’adresser aussi bien à des lycéens intéressés qu’à des militants et à des chercheurs est atteint. Le livre peut alors se terminer par une dernière histoire diachronique (et une dernière rencontre à une terrasse de café à Madrid avec une Indignada) qui hante et les mouvements sociaux et les chercheurs : « Preguntando caminamos ».

    #Zeynep Tufekci #Mouvements_sociaux