• TRIBUNE. 2.700 acteurs de l’éducation et des médecins dénoncent le bilan de Macron et de Blanquer à l’école
    https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-2700-acteurs-de-leducation-et-des-medecins-denoncent-le-bilan-de-macro

    À la lecture de la tribune dithyrambique parue dans le JDD concernant l’action du duo Emmanuel Macron-Jean-Michel Blanquer dans le domaine de l’éducation depuis mai 2017, nous nous sommes demandés si c’était bien de l’École française dont il était question, tant la description idéalisée faite dans ce texte est éloignée de la réalité du terrain vécue par les acteurs du monde de l’éducation. Dans tous les domaines (sanitaire, réformes, revalorisation) la gestion nous a au contraire semblé marquée par l’autoritarisme du ministre et le manque de volonté d’implication.

    Des investissements ont été refusés, y compris pendant la crise sanitaire : après avoir économisé sur le budget de l’Éducation nationale, 600 millions d’euros en 2020 et 75 millions en 2021, le gouvernement a récemment débloqué 20 millions d’euros pour aider les collectivités locales à acheter des capteurs CO2, en limitant l’information aux recteurs via une circulaire. En Europe, la plupart de nos voisins ont davantage investi : rien que pour l’aération, 29 millions au Royaume-Uni, 60 millions en Irlande, 200 millions en Allemagne, alors que pour les recrutements l’Italie a débloqué plus de 1,6 milliard dès l’été 2020.

    Pourtant l’enjeu était de taille : investir pour sécuriser les établissements scolaires et leur permettre de rester ouverts en minimisant les risques pour la santé. Depuis 2 ans, le ministre a raté le débat sur l’École ouverte et sécurisée, tant réclamée, préférant combattre un « homme de paille » qui souhaiterait selon lui « fermer les écoles ». Professionnels de l’éducation, parents, scientifiques : nombreux sont ceux qui ont régulièrement appelé à une École ouverte et sécurisée de l’été 2020 jusqu’à fin 2021.

    Les demandes répétées de sécuriser classes, cantines et salles de sport, maillons faibles reconnus de l’école, n’ont jamais été entendues. Au contraire, malgré la dégradation de la situation sanitaire, le ministre a régulièrement allégé le protocole sanitaire, exposant sciemment les personnels, élèves et familles au virus : retrait des masques dans certains départements, dégradation des conditions menant à la fermeture de classe, diminution des règles d’isolement… La vague actuelle signe l’échec d’une prévention insuffisante.

    L’absence de transparence a été un autre marqueur de la gestion sanitaire des établissements scolaires. Pourtant, selon le Jean-Michel Blanquer de 1999, la responsabilité « est le passif qui vient équilibrer l’actif de tout pouvoir », et présente une double dimension : « le droit d’agir, le devoir de rendre compte » (La responsabilité des gouvernants, Descartes et cie). Mais à aucun moment, les données scientifiques sous-jacentes au protocole ou les seuils de contaminations, d’hospitalisations, de réanimations et de décès, pédiatriques et adultes, pour passer d’un niveau à l’autre du protocole sanitaire, n’ont été communiqués, s’ils existent.

    Des objectifs clairs et évaluables par la population sont souhaitables et nécessaires. En outre, le ministre de l’Éducation nationale a la fâcheuse tendance de communiquer les évolutions de protocole les veilles de rentrée, le plus souvent dans des articles à accès payant, laissant aux parents, élèves et personnels l’embarrassante gestion de son impréparation. Un ministre ne devrait pas se défausser ainsi de ses responsabilités, en refusant le dialogue et en imposant la libre circulation virale et les dangers induits à titre individuel et collectif.

    Concernant le volet éducatif, Jean-Michel Blanquer et ses soutiens se targuent d’avoir mis la lutte contre les inégalités sociales au cœur de ce quinquennat. Hélas, les faits sont têtus. Dans le premier degré, sous couvert des évaluations nationales et internationales, le ministre a recentré les apprentissages sur le français et les mathématiques sans donner des moyens supplémentaires quant aux heures de formation. Ce recentrage a pour effet le renforcement des inégalités : priver les élèves des milieux défavorisés de culture commune n’est pas synonyme de démocratisation des savoirs.

    La « priorité au primaire » se concentre depuis quatre ans sur les seuls dédoublements de classes en Éducation prioritaire. Mais certaines notes, dont celles de la DEPP, interrogent déjà sur l’efficacité de ces dédoublements : les effets positifs que devraient produire la baisse des effectifs ne sont toujours pas prouvés, et ce dispositif consomme énormément de postes, augmentant de fait les effectifs d’autres classes. C’est en supprimant des postes de « Plus de maîtres que de classes » (dispositif pourtant plébiscité par les enseignants) mais aussi des postes de remplaçants que ces dédoublements ont pu se faire.

    La politique du ministre est également basée sur un contrôle des pratiques enseignantes avec des injonctions sur les méthodes pédagogiques des enseignants : cette caporalisation pèse sur les équipes enseignantes qui ne disposent plus de leur liberté pédagogique.

    Dans le second degré, les réformes ont été menées au pas de charge, sans considération pour les personnels, et ont aussi mis à mal l’égalité des chances. La réforme du baccalauréat a supprimé son caractère national ; désormais, une part importante de contrôle continu dessine les contours d’un bac local, moins égalitaire. La réforme du lycée a, de son côté, renforcé les inégalités de genre et les inégalités sociales. Les chiffres de la DEPP sont édifiants : par exemple, 61,4% des filles avaient choisi mathématiques en 1ère en 2019 contre 55,2% en 2020 (respectivement 77,8% et 74,3% pour les garçons). Le lycée Blanquer, c’est donc celui où les plus initiés du système scolaire font les choix d’établissements et d’options les plus à même de leur ouvrir les bonnes portes dans le supérieur.

    La réforme a également réduit le nombre d’heures de mathématiques au lycée de 20%, alors que les résultats sont réputés insuffisants dans les études PISA ou TIMSS : cette réforme apparaît à long terme comme un calcul hasardeux. Concernant le renouveau du grec et du latin dont se gargarisent Jean-Michel Blanquer et ses soutiens, la réforme imposée au lycée par le ministre a réduit les effectifs de 19 à 24%. Les suppressions de postes d’enseignants dans le second degré sont un autre marqueur évident de la volonté actuelle de réaliser des économies aux dépens de la qualité de l’éducation offerte à nos élèves.

    En 5 ans, 7.900 postes ont été supprimés dans les collèges et lycées du pays : cela revient à rayer 175 collèges de la carte ! Cette volonté de réduction de l’offre éducative est d’autant plus paradoxale que le nombre d’élèves a augmenté dans le second degré pendant la même période. Moins d’enseignants pour plus d’élèves : voilà une équation qui ne cesse d’interroger. Parallèlement, pour « mieux former les élèves de lycée professionnel », la transformation de ce dernier en 2019 a réduit leur temps de formation d’un nombre conséquent d’heures de cours. Qui peut croire qu’on forme mieux avec moins ?

    Le collège a également subi bon nombre de suppressions de postes pendant ce quinquennat, qui ont dégradé les conditions d’apprentissage des élèves, avec en particulier une augmentation du nombre d’élèves par classe. Quant au dispositif devoirs faits, il n’est qu’un palliatif incomplet et décalé par rapport aux besoins des élèves : si une aide aux devoirs peut être profitable à certains élèves, les élèves (notamment en difficulté) progressent davantage avec leur professeur, en classe et en petits groupes. Et il est pour le moins paradoxal de voir le ministre champion autoproclamé de l’École ouverte développer les « e-devoirs faits », soit des devoirs faits à distance…

    Au chapitre de l’École inclusive, nombreux sont les élèves disposant de notifications d’accompagnement qui ne peuvent être suivies d’effets, ou sinon par un accompagnement limité à quelques heures par semaine. Les Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap (AESH) vivent pour la plupart sous le seuil de pauvreté : aujourd’hui, le premier salaire d’une AESH en CDI est de 784 euros ! La maigre revalorisation annoncée récemment ne compensera même pas l’inflation et leur pouvoir d’achat est donc voué à continuer son érosion.

    Enfin, un autre repère de l’importance réelle accordée à l’éducation est le salaire versé à ceux qui en ont la charge. Les salaires des personnels de terrain de l’Éducation nationale sont notoirement mauvais, bien en deçà des standards moyens des pays développés. Même au sein de la fonction publique d’État, les enseignants touchent 24% moins que les autres fonctionnaires de catégorie A, soit 11.556 euros nets annuels en moins (Insee, 7 juin 2021). Les annonces du Grenelle de l’Éducation sont bien insuffisantes : 46% des personnels ne sont pour l’instant pas concernés par les revalorisations.

    Pour la première fois dans l’histoire de la 5e République, le gouvernement a gelé pendant l’intégralité de son quinquennat le point d’indice, base de la rémunération des fonctionnaires et outil de maintien de leur pouvoir d’achat face à l’inflation. Le pouvoir d’achat des enseignants a ainsi chuté de 15% à 25% entre 2000 et 2019. Le nombre de candidats aux concours d’enseignement est en chute libre depuis plusieurs années : pour les concours externes du second degré général et technologique, 2.208 postes n’ont pas été pourvus et sont donc perdus depuis 2018. Le métier n’attire plus et ce gouvernement porte une lourde responsabilité dans la perte d’attractivité de nos métiers.

    En définitive, Jean-Michel Blanquer a effectivement fait évoluer notre système éducatif : il l’a profondément mis à mal, d’une part en aggravant les inégalités sociales, d’autre part en dégradant les conditions d’apprentissage et de travail de millions d’élèves et de milliers de personnels, ainsi qu’en ne sécurisant pas sanitairement les écoles, privilégiant une ouverture « quoi qu’il en coûte », afin d’éviter de mettre l’économie française « en carafe » (selon la formule du Premier ministre) avant d’opter pour une « École ouverte » plus socialement acceptable qu’une « garderie à ne pas fermer ». L’École Blanquer est celle de la reproduction sociale, d’une forme de complaisance avec le privé au détriment de l’École publique.

    Premiers signataires :

    - Michaël ROCHOY, médecin généraliste

    – Thomas GRENET, professeur agrégé, porte-parole du collectif Les Stylos Rouges

    – Laurent ZIMMERMANN, maître de conférence des universités

    – Muriel ROUYER, professeure des universités, élue du conseil local de la FCPE de Nantes

    – Stéphane DEDIEU, professeur des universités

    – Nicolas GLIERE, enseignant, porte-parole du collectif Les Stylos Rouges

    – Arnaud FABRE, enseignant, porte-parole du collectif Les Stylos Rouges

    – Matthieu CALAFIORE, médecin généraliste, maître de conférence des universités, directeur du département de médecine générale de la faculté de médecine de Lille

    – Jonathan FAVRE, médecin généraliste

    – Corinne DEPAGNE, médecin pneumologue

    – Christophe LEFEVRE, médecin généraliste

    – Anne ROLLAND, neuropédiatre

    – Gaëtan MARENGO, porte-parole du collectif Les Stylos Rouges

    – Lydia PICHOT, porte-parole du collectif Les Stylos Rouges

    – Florence LACÔTE, collectif Les Stylos Rouges

    – Christophe CAILLET, collectif Les Stylos Rouges

    – Thomas DRIEUX, collectif Les Stylos Rouges

    – Romain TEIXEIRA, collectif Les Stylos Rouges

    – Cécile GALICE, collectif Les Stylos Rouges

    – Michel RODRIGUEZ, collectif Les Stylos Rouges

    – François MINET, collectif Les Stylos Rouges

    – Adeline FLAGEUL, collectif Les Stylos Rouges

    – Laurence DE COCK, enseignante, essayiste, historienne

    – Gilles MARTINET, ATER en géographie, Université Ouverte

    – Pierre LAGNEL, journaliste, parent d’élève, collectif ReistSR

    – Laurence GIAVARINI, enseignante-chercheuse à l’Université, parent d’élève

    – Nathan WEBER, secrétaire national du Mouvement National Lycéen, apprenti

    – Lenny GRAS, co-secrétaire général du Mouvement National Lycéen, élève de terminale

    – Thierry AMOUROUX, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers

    – Arnaud SAINT-MARTIN, sociologue

    – Elsa FAUCILLON, députée PCF

    – Annie LAHMER, société civile, conseillère régionale écologiste

    – Marie-Christine VERGIAT, ancienne députée européenne