Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Après la crise : L’école sans l’école ?
    http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/11/09112021Article637720384702661693.aspx

    La classe sera-t-elle renversée avant d’avoir été inversée ?" La question de Gilles Braun, ancien responsable des ressources numériques au ministère de l’Education nationale, situe les questions posées par cet ouvrage collectif (L’école sans l’école ? C&F Editions). La crise sanitaire, qui a rendu le numérique (provisoirement ?) incontournable pour l’éducation, est -elle capable de changer en profondeur l’Ecole ? Une quinzaine d’auteurs, des spécialistes du numérique mais aussi des élèves, réfléchissent à ce que la crise a fait à l’école. Davantage une mise à nu de ses difficultés qu’un renouveau ?

    L’Ecole peut-elle se passer de relations humaines ?

    Les éditions C&F publient « L’Ecole sans école » (C&F éditions) avec sous-titre « Ce que le confinement nous dit de l’éducation ». Ce livre est un ouvrage collectif qui rassemble plusieurs acteurs/auteurs connus du monde de l’éducation et du numérique. Elèves, enseignants, élus locaux, chercheurs, consultants, militants... un patchwork intéressant qui va du témoignage personnel à l’analyse plus approfondie. Ce qui marque surtout le lecteur et ce, dès l’introduction de l’ouvrage, c’est que tous les propos visent, volontairement ou non, à tenter de mettre en exergue ce que la crise a fait à l’école, avec ou sans le numérique, mais aussi ce que le numérique fait à la société dans une période incertaine. Dès le premier propos de l’éditeur, il est écrit : « Notre société est plongée dans l’écosystème numérique qui est devenu dominant. Elle est également appelée à faire face à de nombreuses crises sanitaires ou climatiques, pour lesquelles les compétences et les comportements ouverts, développant l’empathie, l’échange, le soutien mutuel se révèlent fondamentaux. ». Il fixe ainsi le cap de cet ouvrage qui va constamment osciller au coeur de ce triangle problématique : crise, numérique, humain, au coeur de nos sociétés contemporaines. Cet ouvrage est divisé en trois parties : « Participer », « Accompagner », « Connecter » qui tentent de donner une unité de surface à tous ces articles qui semblent cependant très disparates.

    Parler de l’école en tant de crise sanitaire, c’est être contraint d’évoquer la place donnée au numérique. Tous les auteurs s’en font l’écho, chacun à sa manière. L’éditeur a choisi de donner d’abord la parole à trois élèves qui rapportent leur manière de vivre pendant et après les confinements. Pour eux, la vie dans l’espace familial et sans école a d’abord déclenché un engouement, mais avec la durée et la reprise des confinements, cet espace leur est finalement devenu difficilement respirable, malgré les moyens techniques qui permettaient de garder des contacts avec des amis. En écho avec ces propos, l’article proposé par Hélène Mulot (Des masques et moi) aborde le sujet par « le masque » et ses conséquences sur l’humain. Du masque que permet l’utilisation de la visioconférence au masque que l’on est contraint de porter dans l’établissement, l’auteur nous invite à suivre son cheminement pédagogique et humain très riche. En écrivant « Le masque nous pousse à la créativité, à l’inventivité de nouvelles formes de relation, de partage. » le lecteur est incité à réfléchir à ce qui fait la communication au quotidien et ces masques (réels et virtuels) qui l’accompagne. La métaphore du masque est ici particulièrement intéressante car elle invite à une réflexion sur la relation humaine et la manière dont elle évolue.

    Peut-on changer l’Ecole ?

    Plusieurs textes sont proposés par des militants ou des consultants qui saisissent l’occasion pour porter leurs propres analyses avec le prisme de leurs activités : les logiciels libres, la résistance technique d’Internet et ses points faibles, la place des collectivités ou encore les réactions des personnels de l’éducation au travers d’une veille informationnelle sur les réseaux sociaux. On peut percevoir avec inquiétude que le numérique a fait défaut au niveau local en éducation (CNED, ENT etc.…) : que ce soit dans les infrastructures comme dans les équipements et dans la mise en synergie des politiques locales (S. Pouts Lajus). Alors que, dans le même temps l’Internet grand public (S Bortzmeyer) a lui très bien résisté à la situation de confinement et l’obligation d’utiliser le web pour continuer. Toutefois les militants du libre restent largement sur leur faim (P.Y Gosset), aussi bien sur le plan technique que sur le politique en ne voyant toujours pas la fenêtre vers des alternatives s’ouvrir.

    Gilles Braun, inspecteur général honoraire de l’éducation, du sport et de la recherche, qui jadis fut aussi responsable des ressources numériques au sein de la sous-direction des TIC au ministère de l’éducation, puis délégué à la protection des données, propose lui un texte « d’équilibre ». En effet situé au centre de l’ouvrage cet article pose la question de la forme scolaire et rassemble en quelque sorte l’ensemble des questionnements sous-jacents à l’ensemble des articles du livre. On peut d’ailleurs le lire dans cette question « la classe sera-t-elle renversée avant d’avoir été inversée ? » qui, tout en reprenant une thématique actuelle en pédagogie, la transpose à une échelle plus large, celle qui est posée depuis longtemps au système scolaire : peut-on transformer l’école, autrement qu’en refaisant plus d’école ? En 1920, Adolphe Ferrière ne posait pas autrement cette question en portant « l’école active » au-devant de la scène. Malheureusement, la suite du XXè siècle montra que seule la marge de l’école pouvait trouver des espaces de changement, mais que fondamentalement peu de choses changent. Le pari de cet article est justement de suggérer un nouvel espoir, qui serait alors accompagné par les moyens nouveaux que propose le numérique

    Le numérique, une pandémie d’un autre genre...

    La fin de cet ouvrage abord le thème de « l’école buissonnière », dont on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un oxymore ? Éric Bruillard ("L’École buissonnière confinée") aborde par le prisme du buissonage la question du vécu du confinement. Tout dans son texte, inventaire en quelque sorte de la notion, met en avant l’idée d’une opposition radicale entre l’école et le « sans école » ou « hors l’école ». Et pourtant on continue d’associer les deux termes sans aller plus loin. C’est probablement la limite de l’exercice présenté dans cet article que l’on trouve dans ces deux phrases qui clôturent l’article : « L’école buissonnière ne serait-elle pas un modèle qui pourrait aider à repenser l’école tout court ? Ne pourrait-on pas sortir d’une dichotomie trop simple entre une école formelle et fermée et une école de la nature ouverte mais hors du monde ? ». Il rejoint en cela l’interrogation posée par Gilles Braun.

    Un patchwork, un kaléidoscope ou un inventaire à la Prévert ? A l’issue de la lecture de ces multiples articles, on peut s’interroger sur l’intention de l’éditeur et des contributeurs. En partant des propos de jeunes élèves et en allant jusqu’à celui des spécialistes ou des militants, chacun peut y trouver ce qu’il a envie d’y trouver. On peut aussi aller plus loin pour tenter de comprendre ce que ce genre d’ouvrage peut permettre : mettre en regard les uns des autres des acteurs différemment impliqués dans la situation vécue, autour de l’école et de l’écosystème numérique constitué dans la société. Car si, comme l’éditeur le précise au début, il faut aller d’abord chercher l’humain, la lecture de tous les articles révèle en fait que c’est le numérique, sous toutes ses formes, qui est désormais une pandémie d’un autre genre. Quant à l’école, ou plutôt l’Ecole, elle montre ses limites au travers de ces témoignages. Elle montre aussi ses non-dits, ses invisibilités que la situation de crise a mis au jour. Elle montre surtout qu’elle est d’abord celle des acteurs du quotidien, qu’ils soient enseignants ou personnels de cantine, personnels éducatifs, personnels d’entretien... Bref une école qui est d’abord un lieu d’humanité et d’humanisation qui n’en a pas suffisamment conscience. Et le témoignage des trois jeunes élèves invités contribue à le rappeler.

    Bruno Devauchelle

    L’école sans école. Ce que le confinement nous dit de l’éducation. C&F Editions. ISBN 978-2-37662-025-9, 20€

    #Ecole_sans_école #Pédagogie #Confinement