• [Macron] représente une sorte de condensé de la circulation et du traitement des idées dans une classe politicienne où la distance entre droite et extrême droite s’amenuise à la même vitesse que celle entre la gauche et la droite.

    Jacques Rancière
    https://seenthis.net/messages/944724

    Marine Le Pen lisse son discours sur l’identité pour amadouer la « gauche républicaine »
    https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/01/19/presidentielle-2022-marine-le-pen-lisse-son-discours-sur-l-identite-pour-ama

    A l’approche de sa troisième élection présidentielle, la candidate du Rassemblement national s’est peu à peu approprié la critique « anti-woke » présente dans une partie de la gauche.

    Printemps 2021. Un parfum de légumes mijotés flotte dans sa cuisine. Ce dimanche d’avril, à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines), Marine Le Pen prépare un couscous-merguez. Son invitée arrive. Voix douce, ligne athlétique et coupe afro, Rachel Khan a publié l’essai Racée (L’Observatoire, 2021), qui étrille ce qu’elle nomme la « pensée victimaire » des nouveaux antiracistes. Née à Tours d’un père gambien musulman et d’une mère juive d’origine polonaise, elle croise le fer contre l’assignation identitaire avec un mordant qui séduit jusqu’à la droite conservatrice… et a tapé dans l’œil de la présidente du Rassemblement national (RN).

    Rachel Khan, aujourd’hui, coordonne un groupe de travail de La République en marche sur l’immigration, l’intégration et la laïcité, pour la future campagne d’Emmanuel Macron. La ministre chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, l’a faite marraine du Prix de la laïcité ; le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, lui a remis le Prix littéraire des droits de l’homme. En juillet, elle avait vu son essai couronné du Prix du livre politique à l’Assemblée nationale, où elle avait fustigé « une colonisation woke et racialiste », qu’elle assimile au racisme, et prôné « une identité infinie en relation avec l’autre ».

    Mais à l’heure où son livre paraît, en mars 2021, le ciel est orageux pour l’ancienne conseillère de Jean-Paul Huchon à la région Ile-de-France. Une avalanche d’attaques s’abat au sein d’une gauche déchirée sur l’identité, l’égalité et la laïcité. Le 16 mars, Rachel Khan reçoit un SMS. Son expéditeur lui confie son « sempiternel sentiment d’injustice qui [l]’étreint devant tant de méchanceté et de sectarisme ». « Je volerais bien à ton secours, mais pas sûr que ça n’aggrave pas la situation. Nous t’assurons de notre soutien, même discrètement. » Signé : « Marine Le Pen ».

    Un profond désaccord

    La patronne du RN sait le nom Le Pen radioactif. Discrètement, un rendez-vous est organisé par l’entremise d’un ami, Verlaine Djeni, ancien militant Les Républicains actif sur le site d’extrême droite Boulevard Voltaire contre le mouvement Black Lives Matter, né en soutien des Afro-Américains victimes de violences policières. A table, Rachel Khan découvre en Marine Le Pen une femme attachante et fragile… comme torturée par des démons traînés dans l’héritage de Jean-Marie Le Pen. « Ta campagne, c’est comme un championnat, lui souffle l’ancienne sportive de haut niveau. Tu dois gagner sur toi-même. » Et enterrer les marqueurs du Front national.

    Un profond désaccord sépare toutefois les deux femmes. Très opposée à la binationalité, Marine Le Pen veut imposer aux Français possédant un passeport extra-européen de choisir. En 2017, déjà, elle avait hérissé les communautés franco-libanaise et franco-israélienne, puis rétropédalé en imaginant des exceptions pour quelques pays… Quitte à traiter les Français à la carte, selon leurs origines. Rachel Khan, française et gambienne, plaide pour la culture et l’éducation ; son hôtesse n’envisage qu’interdit et sanction. Un malaise persiste que ne parvient pas à dissiper la photo souvenir prise avec la chef de file populiste, vite effacée.

    Cette rencontre n’était-elle qu’un malentendu ? A moins que, dans le secret gardé par Marine Le Pen, d’improbables chemins de convergence se soient esquissés ? L’idée que la patronne historique de l’extrême droite puisse gagner l’Elysée inquiète moins Rachel Khan que l’activisme des « indigénistes ». Ce sont eux, se désespère l’écrivaine en privé, qui attisent les blessures identitaires au point d’être « responsables de la mort de Samuel Paty », l’enseignant décapité par un terroriste islamiste.

    Une partie de la gauche dénonce avec force une « tenaille identitaire » entre l’extrême droite et les mouvements dits « woke », accusés de diviser la société. Son chef de file, Manuel Valls, qui vient de publier Zemmour, l’antirépublicain (L’Observatoire, 140 pages, 12 euros), voit dans les yeux doux de Marine Le Pen une manœuvre tactique limitée, mais non dénuée d’effets. « A force d’abandonner la nation, la laïcité, de céder à l’islam politique, un pan de la gauche s’est affaissé, déplore l’ancien premier ministre. Ça libère des énergies, ça ouvre des espaces. Une partie de l’électorat de gauche est déjà passée au lepénisme il y a trente ans. Aujourd’hui, la peur de l’islam s’additionne à l’effondrement ouvrier. Est-ce que cette peur peut dominer ? Il ne faut pas l’exclure. »

    « Il y a une convergence »

    Au RN, on a flairé cet air du temps, dans la logique du tournant laïciste que Marine Le Pen a opéré en purgeant son courant catholique traditionaliste. Son conseiller spécial, Philippe Olivier, confiait lorgner « la gauche républicaine et laïque » qui s’élève contre un islam conservateur. Bruno Gollnisch, ancien numéro deux du Front national, s’esclaffait devant sa télé : « Nos constats sont partagés par [l’ex-député socialiste et cofondateur de SOS-Racisme] Julien Dray, c’est extravagant ! Il est devenu plein de bon sens, il parle comme Le Pen. »

    En écho, le président du RN, Jordan Bardella, se félicite après une interview où il a qualifié le rappeur Youssoupha de « racaille » : « Le Printemps républicain tient un discours similaire au nôtre. J’écoute [le président du mouvement] Amine El Khatmi sur CNews et je pourrais dire la même chose. Il y a une convergence entre deux milieux infranchissables. » Un piège facile, tendu à une gauche éparpillée, laquelle perçoit un peu moins Marine Le Pen comme la figure d’une extrême droite nationaliste et xénophobe, selon le dernier baromètre Kantar Public pour Le Monde.

    La députée du Pas-de-Calais a donc affûté sa critique des militants antiracistes. « Ce sont eux, les vrais séparatistes », assène-t-elle lors du débat à l’Assemblée sur le projet de loi « séparatisme » au printemps 2021. « Ces théories sont anticonstitutionnelles et comparables au Ku Klux Klan », dit-elle au Monde début janvier, le jour où la Sorbonne accueille un colloque controversé « anti-wokisme ». Ce concept fourre-tout, peu connu des Français, l’est moins encore des seuls électeurs du RN, selon un sondage de l’IFOP de février 2021.

    Au congrès du parti à Perpignan, le porte-parole du RN Sébastien Chenu avait longuement discouru contre la « culture woke », décriant le fait qu’« il y a une égalité raciale à imposer » et « d’éternelles victimes »… La salle avait applaudi mollement. Qu’importe, Marine Le Pen renouvelle son discours identitaire au nom de la République et de « l’unité nationale », dans l’objectif, le moment venu, de dissuader une partie des électeurs de gauche de se mobiliser contre elle.

    Sa vision n’a pourtant guère évolué. Chantre d’une « société unifiante », elle combat les politiques de lutte contre les discriminations qu’elle juge déviantes. Une réflexion à l’Opéra de Paris pour mieux représenter la diversité dans les ballets ? Elle s’alarme que des œuvres de Rudolf Noureev disparaissent du répertoire « au nom d’un antiracisme devenu fou ». Mieux refléter la population française à la télévision ? Elle accuse le CSA de publier « une sinistre comptabilité ethnique ». Quand le chef de l’Etat confie à des historiens le soin d’exhumer des héros français nés de l’immigration, de Marc Chagall à Paulette Nardal, elle le qualifie de « grand séparatiste » et fustige « un concours pour trouver 300 noms d’Arabes et de Noirs ». « Il n’y a pas de héros arabes pour les Arabes, noirs pour les Noirs… », poursuit-elle, omettant que ces noms enrichissent le corpus de tous les Français.

    Se montrer humaine

    Si le RN accuse les activistes de la gauche intersectionnelle de « détester ce pays », il fait planer ce soupçon sur les Français d’origine étrangère. Karim Benzema aussitôt réintégré dans l’équipe de France, les cadres de Marine Le Pen relaient une « fake news » circulant dans les milieux d’extrême droite selon laquelle le footballeur se sentirait plus algérien que français. Une défiance liée à un projet de discrimination assumée des étrangers, porté par une vision nativiste, selon laquelle plus l’on est perçu comme étant présent de longue date dans le pays, plus l’on y est légitime.

    Mais, à l’inverse de son père, Marine Le Pen se garde de citer la théorie raciste du « grand remplacement ». C’est en plus habile politique qu’elle surfe sur les peurs culturelles et identitaires. Elle affirme que l’islam est compatible avec la République, point de bascule qui la distingue d’Eric Zemmour. Tout faux pas, sait-elle, lui revient en boomerang. En mars 2021, elle répond aux accusations de xénophobie et de racisme sur BFM-TV : « Moi je n’ai pas de sentiments négatifs à l’égard des étrangers, j’ai aucune haine, aucune peur. » Mais pour l’illustrer, elle évoque… l’outre-mer. Les soutiens d’Emmanuel Macron s’empressent de souligner ce raccourci qui assimile étrangers et Français ultramarins par la couleur de peau.
    Jouer l’unité pour pénétrer des « milieux infranchissables », mais aussi se montrer humaine, libérée des « forces internes » du lepénisme. Ostracisée à l’école, boudée par la clientèle lorsqu’elle se rêvait avocate, Marine Le Pen dit avoir souffert de l’exclusion. « Je sais ce que c’est d’être discriminée, s’épanche-t-elle auprès du Monde. Dans les élites, je suis la seule à l’avoir été vraiment. C’est pour ça que je suis aussi dure, que je veux séparer le bon grain de l’ivraie. » « Marine n’a jamais été le diable. Il y a de petits diables mais elle essaie de les écarter, la défend Wallerand de Saint-Just, rare historique gravitant encore dans sa garde rapprochée. Notre slogan, c’est “Les Français d’abord” ; ça veut dire qu’il peut y avoir les autres ensuite. »
    Quelques mois après son couscous dominical, Marine Le Pen a abandonné sa chasse à la binationalité. Elle veut toujours soumettre les binationaux à la déchéance de nationalité en cas de crimes graves, et traquer les « complices » de « l’idéologie islamiste ». Mais l’interdiction d’appartenir à deux pays disparaît de son projet sur l’identité et l’immigration, puis de son programme pour 2022. « Cela inquiète inutilement les Français d’origine étrangère », glissait la candidate cet automne, persuadée que « la France a changé »… et décidée, surtout, à montrer qu’elle n’est plus tout à fait la même.

    #gauche_républicaine #PS #PCF #Printemps_républicain #LREM #RN

    • Et ça risque bien de fonctionner !

      Présidentielle : Marine Le Pen vue comme « un danger pour la démocratie » par seulement 50 % des Français.
      Zemmour aura vraiment été l’idiot utile de la dédiabolisation définitive du RN !

      C’est pourquoi le seul choix possible malgré l’excellente tribune de Jacques Rancière, c’est le vote de rupture pour un meilleur Avenir en commun.
      Même les troskistes de la 4ème Internationale (pour avoir assister à l’une de leur réunion dans mon département) préconisent d’utiliser ce vote pour rompre avec le système.

      Ensuite il sera toujours temps de s’organiser pour la mise en place de mouvements autonomes type notre Dame des Landes ou de se réapproprier les moyens de production ou de reconstruire des structures, des lieux de délibération ...

      Sinon seule une catastrophe écologique, ou une révolte de masse et grêve générale qui à elles deux ne sont pas prêtes de se produire, nous permettra de retrouver cette époque où existait une organisation solidaire de la vie et des formes de solidarité sociale.

      Amen ! :)))

    • mais moi aussi j’avais [edit j’aurais !] pu l’utiliser ce vote ! mais avec la manière d’essayer de concrétiser la promesse de vaincre qu’ils se ont faite (dénégation galavanisatrice ? sans doute, mais ça rend bête) la LFI en fait beaucoup pour l’interdire.

      la seule chance de pouvoir en faire usage, pour ce qui me concerne, c’est une occasion surgie du réel les contraignent au vrai. ça a pas été le cas de la pandémie. je suis pas sûr que vienne un grève importante ou une mobilisation lycéenne qui serait en mesure de les faire obéir, en plus de prétendre diriger (vers tant d’ornières, voire le précipice, cf. la porosité avec des thèses et postures fascisantes sur fond de virilisme et de « pensée » en majesté...).