In-Q-Tel : quand la CIA investit dans des #start-up françaises -
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MĂȘme trois mois aprĂšs, les responsables de Prophesee peinent encore Ă cacher une certaine forme de rancoeur. « On se serait bien passĂ© de cette publicitĂ©-lĂ », glisse lâun dâentre eux. En octobre dernier, la start-up parisienne qui a dĂ©veloppĂ© des technologies de vision avec des applications militaires (surveillance, dĂ©tection...) sâest retrouvĂ©e au coeur de lâactualitĂ© aprĂšs les rĂ©vĂ©lations autour de lâidentitĂ© de lâun de ses investisseurs : #In-Q-Tel. Si ce nom un brin compliquĂ© Ă prononcer ne vous dit rien, son propriĂ©taire vous parlera sĂ»rement puisquâil sâagit ni plus ni moins de lâagence centrale amĂ©ricaine de renseignement, la fameuse « #CIA ».
Pendant plusieurs jours, Ă©lus et investisseurs sont montĂ©s au crĂ©neau pour sâinquiĂ©ter du possible rachat de la pĂ©pite tricolore. « On a parlĂ© que de ça », se souvient un investisseur français. Lâaffaire a pris une telle ampleur quâelle est remontĂ©e jusquâĂ Bercy, qui nâa finalement pas donnĂ© suite. Il faut dire que In-Q-Tel nâa quâune infime part du capital de la sociĂ©tĂ©. On parle dâun « ticket » dâĂ peine 200 000 euros, autant dire une broutille qui ne leur donne aucun pouvoir. « Ils ont juste un reprĂ©sentant au conseil qui est lĂ comme observateur mais nâont aucune influence sur la stratĂ©gie de la boĂźte », rĂ©sume un proche de Prophesee qui compte Ă son capital des gĂ©ants tels quâIntel, Renault-Nissan ou le chinois Huawei.
"Un systĂšme trĂšs malin"
Mais alors pourquoi avoir mis des billes dans la pĂ©pite tricolore ? Câest justement lĂ toute la subtilitĂ© et lâobjectif du fonds de la CIA crĂ©Ă© en 1999. Car In-Q-Tel, dont les mises peuvent atteindre quelques millions de dollars, nâest pas une structure comme les autres. Son but nâest pas de gagner beaucoup dâargent comme nâimporte quel autre fonds dâinvestissement ni de prendre le contrĂŽle des sociĂ©tĂ©s dans lesquelles il a investi, mais de repĂ©rer et de suivre les projets les plus prometteurs qui pourraient servir aux intĂ©rĂȘts amĂ©ricains. Ils agissent comme des investisseurs dormants. « Câest un systĂšme trĂšs malin », souligne un proche du renseignement français. La NSA, connue pour avoir mis la planĂšte sur Ă©coute, a Ă©galement son propre fonds... Si jamais une sociĂ©tĂ© dĂ©veloppe une technologie intĂ©ressante pour la CIA ou un groupe comme Microsoft, In-Q-tel, va servir dâintermĂ©diaire. « Ils vont les rapprocher et leur permettre de faire du business ensemble », explique un bon connaisseur. Et câest lâobjectif avec Prophesee.
En un peu plus de vingt ans, le fonds dirigĂ© par Chris Darby a rĂ©alisĂ© 500 investissements dans le monde avec une enveloppe annuelle dâun peu plus de 100 millions de dollars. Jusquâen 2010, ses prises de participation se sont quasi exclusivement limitĂ©es au territoire amĂ©ricain. Puis le fonds, composĂ© essentiellement dâanciens membres du renseignement, a Ă©largi son terrain de jeu avec lâEurope en ligne de mire.
Si In-Q-tel ne communique pas Ă chaque fois sur ses prises de participation, on estime le nombre de ses investissements Ă plus de vingt sur le Vieux continent. Parmi ceux-ci, on retrouve le finlandais Iceye (microsatellites), lâespagnol CounterCraft (cybersĂ©curitĂ©), ou encore lâallemand Toposens (capteurs de son 3D). « Ils sont prĂ©sents un peu partout », explique un expert du renseignement français. En France, Prophesee est Ă lâheure actuelle, officiellement, la seule sociĂ©tĂ© tricolore dans laquelle la CIA a investi.
Si In-Q-Tel nâest pas vu comme une menace, les EuropĂ©ens surveillent tout de mĂȘme de prĂšs son activitĂ©. « Il ne faut pas ĂȘtre naĂŻf. Quand on parle de sujets sensibles, il nây a plus dâalliĂ©s », souligne un bon connaisseur du renseignement Ă©conomique. Dâautant plus que les technologies sont devenues lâun des principaux sujets de souverainetĂ©. Et quâĂ ce niveau-lĂ , lâEurope part de loin. Conscient du problĂšme, le gouvernement français a ainsi musclĂ© ses dispositifs, notamment pour surveiller les entreprises dites stratĂ©giques.
En plus de sa vingtaine de dĂ©lĂ©guĂ©s en rĂ©gion auprĂšs des prĂ©fets pour surveiller les jeunes pousses, Bercy a mis en place en 2020 un dispositif dâalerte, en cas dâachats Ă©trangers de start-up. Ces alertes remontent des ministĂšres et du renseignement. En 2021, il y en a eu prĂšs de 500. « Dans ces cas-lĂ , on regarde si la start-up est sur la liste des entreprises sensibles, on regarde qui est lâinvestisseur et combien il veut prendre. Sâil nây a pas de risque alors on ne sây oppose pas », souligne-t-on du cĂŽtĂ© de Bercy.
Des dispositifs encore trÚs défensifs
Les dispositifs financiers ont, eux aussi, Ă©tĂ© renforcĂ©s. CĂŽtĂ© public, il y a notamment le fonds « French Tech SouverainetĂ© » de Bpifrance. LancĂ© en 2020 et dotĂ© de 150 millions dâeuros, ce vĂ©hicule est censĂ© permettre dâinvestir dans toutes les start-up technologiques qui auraient besoin de fonds. Le privĂ© est Ă©galement de la partie avec des structures comme Tikehau, Ardian ou Eurazeo... « On a un vrai rĂŽle Ă jouer », explique Marwan Lahoud, qui dirige le dernier fonds aĂ©ronautique pour Tikehau Ace Capital (750 millions dâeuros), filiale de la sociĂ©tĂ© dâinvestissement Tikehau.
Reste que ces dispositifs ne suffiront pas Ă inverser le rapport de force. « On a amĂ©liorĂ© les dispositifs, mais on reste des nains », tacle le responsable dâun fonds français. LâEurope part en mĂȘme temps de beaucoup plus loin que les Etats-Unis. « La France construit son dispositif petit Ă petit. Il y a maintenant des ponts entre le privĂ© et le public. Avant, ces deux mondes ne se parlaient pas », explique un avocat, qui souligne la nĂ©cessitĂ© de passer Ă une phase plus offensive. Quels que soient les domaines, la meilleure dĂ©fense reste encore lâattaque.