• Un bol d’air frais | Rackham
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    Nous voilà en début d’année et, c’est la tradition, le moment est venu de dresser le bilan de celle qui vient de terminer. Depuis quelques jours se succèdent, avec un triomphalisme appuyé, les célébrations d’un 2021 exceptionnel pour le livre et en particulier pour la bande dessinée. Tirages record, ventes exceptionnelles, chiffre d’affaires en progression faramineuse. Un fantastique ballet de chiffres qui exalte une « santé » du livre criée sur tous les toits. Chez Rackham nous pourrions faire le même constat tant, en ventes et chiffre d’affaires, les nombres suivent la tendance générale. Observée à travers ce prisme l’année a été bonne, très bonne, une des meilleures depuis que la maison a pignon sur rue, digne des « dix glorieuses » de la bande dessinée indépendante.
    Tout va très bien, donc. Pas vraiment.

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    Nous vous faisons grâce de chiffres de mise en place, taux de retour, ventes médianes et moyennes… ces nombres ne sont pas le miroir de nos motivations, de nos choix et de nos désirs. Chiffres de vente, marges et parts de marché n’ont jamais été ni notre raison d’être ni ont jamais guidé nos choix éditoriaux. Plus modestement, nous nous sommes toujours tenus à la bonne vieille péréquation : les ventes des livres à plus large audience soutenant financièrement les livres plus exigeants, plus fragiles. L’effort principal, d’un point de vue économique, étant celui de maintenir cet équilibre, tout en ayant dès le départ bien en tête que chaque livre a son public à lui, plus ou moins large, et que cela ne constituait jamais une raison qui en pouvait conditionner l’existence. La pertinence et la justesse d’un livre sont toujours passées avant et au-dessus de tout.
    C’était et c’est encore, – à nos yeux – le seul modèle économique pouvant assurer un travail de qualité, l’édition de livres innovants, surprenants et aussi fragiles. Un modèle économique qui s’inscrit dans une temporalité qui est forcément longue, à un rythme forcément lent. Cette approche a bien fonctionné d’un point de vue financier et Rackham s’est toujours tenu sur ses jambes, ne comptant que de rarissimes fois sur l’aide publique. Surtout, elle nous a permis une grande liberté, nous a encouragé et motivés, tant – à quelques inévitables ratés près – les chiffres n’étaient que la confirmation ultime de nos attentes sur l’accueil réservé à tel ou à tel autre livre.

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    Depuis quelques années cet équilibre a commencé à se dérégler. Tout d’abord de façon presque imperceptible, s’amplifiant progressivement pour enfin voler en éclats ces trois dernières années.
    L’historique des ventes des livres sortis en 2022 ne fait que le confirmer. Ce continuum autrefois observable entre ventes attendues et ventes réelles a laissé place à une forte polarisation. Avec à un extrême un ou deux livres ayant profité d’une large diffusion en librairie (suivie de ventes consistantes), touchant la presque totalité des librairies de « premier niveau », et à l’autre extrême tous les autres titres, diffusés à peu près au même niveau, quelques centaines d’exemplaires, et presque pour un tiers commandés par les libraires à 1 exemplaire. Comment expliquer qu’en quelques années une diversité qui trouvait presque parfaite écho dans les chiffres de diffusion a pu se réduire à cette réalité à deux dimensions ?

    #édition