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Fil d’actualités Covid19-Migration-santé (veronique.petit@ird.fr) relié à CEPED-MIGRINTER-IC MIGRATIONS.

  • Les infirmières françaises découvrent l’eldorado québecois
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/02/15/les-infirmieres-francaises-decouvrent-l-eldorado-au-quebec_6113762_3234.html

    Les infirmières françaises découvrent l’eldorado québecois
    Pour faire face à la pénurie de personnel soignant au Québec, le ministère de la santé provincial a lancé une mission visant à recruter 3 500 infirmiers étrangers en 2022. Une occasion à saisir pour nombre d’infirmières en mal de reconnaissance dans l’Hexagone.
    Kenza Hadjiat, 24 ans, est arrivée à Montréal le 25 janvier, dûment équipée : double legging, double doudoune et chaussures fourrées. Car du Québec, où elle pose pour la première fois les pieds, tout juste sortie du cocon familial, cette jeune femme originaire de Seine-Saint-Denis ne sait que deux choses : il y fait froid l’hiver (– 30 °C à la sortie de l’aéroport), et la province lui ouvre grand les bras pour y exercer sa profession, infirmière.
    Diplômée de l’Ecole nationale d’infirmières française depuis juillet 2020 – « Je suis une diplômée Covid », dit-elle avec humour –, Kenza n’a qu’une courte expérience en clinique et en crèche, mais le goût de l’aventure l’a poussée à traverser l’Atlantique. « Il paraît qu’ici les infirmières sont plus autonomes dans leur travail », croit-elle savoir, avant même de débarquer à l’hôpital Jean-Talon, dans le centre-ville de Montréal, où va se dérouler son stage d’intégration. Il durera soixante-quinze jours, durée indispensable pour obtenir la reconnaissance définitive de son diplôme et être titularisée.
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    La pénurie de personnel soignant est une réalité de longue date au Québec. Avant la pandémie de Covid-19, en avril 2019, le gouvernement estimait déjà qu’il lui faudrait recruter, sur cinq ans, 30 % de l’effectif global des 75 000 infirmières en poste à l’époque. La crise sanitaire a fait exploser le nombre de postes vacants et provoqué la quasi-embolie du système de santé : au plus fort de la vague Omicron, mi-janvier, il a manqué ponctuellement jusqu’à 20 000 travailleurs de santé dans les hôpitaux, sans possibilité de les remplacer.
    A coups de primes et d’assouplissements de leurs conditions de travail, le gouvernement québécois a tout fait pour convaincre les jeunes retraités et ceux qui avaient changé de voie de reprendre du service pour colmater les brèches. Mais à l’automne 2021, le ministère de la santé est passé à la vitesse supérieure en lançant une mission visant à recruter 3 500 infirmiers étrangers en 2022. Du jamais-vu. Même si, en 2019, un millier d’infirmiers et infirmières françaises avaient déjà fait le grand saut vers la Belle Province.
    Depuis novembre 2021, Florent Verjus, infirmier français installé au Québec depuis 2005, est responsable du tout nouveau Bureau de recrutement international créé par l’un des cinq grands centres hospitaliers de Montréal. Fort de l’expérience acquise en aidant d’abord à titre bénévole de jeunes collègues français débarqués à Montréal, parfois poussés à se reconvertir en vendeur de crêpes ou épicier avant de trouver une place dans un hôpital québécois, Florent Verjus a déjà recruté cent infirmiers en ce début d’année, dont quatre-vingts Français.
    Il ne compte pas s’arrêter là : le recrutement hors Canada devrait représenter la moitié des embauches totales de son groupe hospitalier. « Les infirmiers français ont une très bonne formation, nous sommes preneurs de leur expertise notamment en soins intensifs, au bloc opératoire ou encore dans tout ce qui a trait à la périnatalité », explique-t-il. Quant à ce qui les incite à venir au Québec, « ce sont des salaires plus attractifs, de l’ordre de 20 % à 30 % supérieurs à ce qu’ils sont en France, de meilleures conditions de travail avec près de moitié moins de patients par personnel soignant et, enfin, des opportunités d’évolution de carrière plus faciles ».
    Les annonces de recrutement se font sur les réseaux sociaux, Facebook principalement ; à charge, ensuite, pour Florent Verjus, de guider les postulants à travers le maquis des services d’immigration du Québec et du Canada. Aujourd’hui, la plupart des nouveaux professionnels arrivent avec un permis vacances travail leur donnant le droit de travailler n’importe où pendant deux ans, plus rapide encore à obtenir s’ils ont moins de 35 ans et une promesse d’embauche, avec un permis jeunes professionnels.
    Leslie Mourier, 31 ans, a quitté Saint-Etienne il y a tout juste quatre ans. Diplômée depuis 2012, elle avait travaillé en hôpital et tenté l’expérience en libéral avant d’oser l’aventure québécoise. « Je suis partie de l’hôpital français car j’étais à bout de ne pas être écoutée », confie-t-elle, heureuse aujourd’hui d’avoir découvert dans la province canadienne une tout autre relation entre médecins et infirmières. « La hiérarchie médicale existe aussi au Québec, mais, ici, je ne suis pas une simple exécutante, le médecin prend en considération mon jugement et mon expertise. » La prérogative d’ausculter les patients, réservée aux médecins en France, fait partie des nouvelles pratiques professionnelles qu’elle a acquises et dont elle se réjouit. Comme le fait de voir toutes ses heures supplémentaires payées.
    Mais être plongée dans un système étranger suppose aussi de surmonter quelques chocs culturels. Au-delà d’un jargon professionnel différent à acquérir – Leslie se souvient des yeux ronds de ses collègues lorsqu’elle a réclamé « le poteau » pour dire « pied à perfusion » −, de la découverte de métiers infirmiers inconnus en France, tel que les inhalothérapeutes (infirmier anesthésiste), c’est surtout l’énorme travail de paperasserie auquel les infirmières sont ici confrontées qui l’a surprise. « Pour chaque patient, il revient à l’infirmière de remplir un dossier complet, avec une évaluation de la tête au pied, respiratoire, neurologique, cardiaque, quelle que soit la raison pour laquelle il arrive à l’hôpital. Ce qui me prenait cinq minutes en France, m’en prend quinze ici. »Le sous-équipement en informatique dans les hôpitaux rend ces charges administratives particulièrement lourdes, et explique en partie que nombre d’infirmières québécoises aient jeté l’éponge et quitté le métier ces dernières années. Leslie Mourier, arrivée comme infirmière urgentiste, a été nommée chef de service dans un hôpital montréalais en décembre 2021. « Une telle évolution de carrière, sans être obligée de passer par l’Ecole des cadres infirmiers, est inimaginable en France », affirme-t-elle dans un mélange d’accent stéphanois et québécois qui dit à lui seul sa parfaite intégration.

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