• Mes pensées vont à Monsieur D. – Une Si Belle Folie
    https://unesibellefolie.com/2022/02/14/mes-pensees-vont-a-monsieur-d

    Au fil des torchons, on apprends comment Mr D. est trimballé de service en service, comment un dispositif spécifique a été mis en place par la préfecture, mais, non, rien n’y fait, Mr D. explose, éructe, fugue, détruit tout sur son passage. Et quand ça pète, il faut 12, non 16, non, 19 soignants pour le maîtriser.

    Sa taille, son poids, sont répétés sans cesse. Et les attaques incessante envers tous ceux qu’il rencontre. C’est important, ça, de faire de lui une bête, un démon.

    De montrer qu’il est d’une autre nature. Quand nous sommes tous fait du même bois. La folie est affaire d’intensité, elle est affaire d’environnement, de relation à l’autre et au monde, elle est profondément humaine.

    Mieux vaut, aussi, faire porter tous les maux à Mr D., plutôt que de souligner les manques de l’inhospitalière psychiatrie.

    Le but ? Faire trembler les français jusque dans leur lit.

    Le reste est offert à la spéculation. Le reste, sauf l’implicite évidence qui transpire de tous ces articles : les actes de Mr D. sont, à chaque fois, des actes froids, déterminés, intentionnels.

    Permettez-moi de combler ce trou béant offert à la spéculation, en m’appuyant sur l’expérience, sur mes recherches, sur les confidences qui me sont offertes par mes pairs.

    La vie de Mr D., depuis ses 16 ans, c’est une vie faite d’aller-retours entre les unités pour malades difficiles et les services fermés. Une vie de souffrances aiguës, de souffrances continues. Une vie de chambre d’isolement, une vie de contention, une vie de piqûres, une vie de chimie lourde, probablement une vie d’électrochocs. On sait assommer des chevaux, assommer des éléphants. Soyez sûrs qu’on assomme Mr D. C’est une vie désorientée, une vie de noyade et de panique. Une vie de 20 coups rendus pour un coup donné. Une vie d’humiliations et d’insultes, qui appartiennent aujourd’hui au domaine public. Une vie sans vie privée. Une vie sans amour, ou peut-être quelqu’un est-il encore là ? Si c’est le cas, mes pensées vont aussi vers vous.

    Soyez sûrs, aussi, que si Mr D. avait tué, s’il avait torturé, s’il avait violé femmes et enfants, nous le saurions. Les médias s’en seraient régalés.

    Mr D. n’est pas un grand criminel.

    Il est inadapté à un monde qui ne s’est jamais adapté à lui.

    Il est odieux qu’il serve d’épouvantail pour que, dans les médias, dans les discours politiques, dans l’opinion publique, la violence institutionnalisée faite au fous, à tous les fous, soit, encore une fois, justifiée.

    [...]

    La psychiatrie avait commencé à prendre un visage humain à partir de l’après-guerre, après que 45 000 malades soient morts de faim sous le régime de Vichy, avec l’expérience de la Borde, avec le mouvement du désaliénisme, avec les courants de la psychothérapie institutionnelle, et de l’anti-psychiatrie.

    Il fut un temps où, pour les soignants, pour les policiers, pour les pompiers, travailler auprès de « l’humain en crise », c’était désamorcer des situations en apparence inextricables, c’était prendre le temps d’apaiser, c’était prendre le risque de se prendre une baffe, parce qu’on avait le soucis de détricoter le fruit de la panique et du délire, de celui de la violence intentionnelle.

    Cette période de renouveau intellectuel et éthique, cette période où sont nées de nouvelles pratiques et de nouveaux espoirs pour les fous est révolue.

    La psychiatrie régresse. La psychiatrie est ultra-violente, et la société est à son image à l’égard des fous et des folles. Ou alors c’est l’inverse ?

    #folie #psychiatrie