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Ni dieu, ni maître, nirvana

  • Les taux et la dette publique de la France s’envolent : "tout le monde s’en moque, mais plus pour longtemps” - Capital.fr
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    Alors que le poids de la dette publique de la France a explosé, l’actif net de l’Etat est négatif, dénonce notre chroniqueur Marc Touati, président du cabinet ACDEFI, qui exhorte le prochain président à agir pour que l’Hexagone ne finisse pas par faire faillite. D’autant que l’envolée des taux à long terme, amenée à se poursuivre, n’arrange rien.
    Par Marc Touati
    Publié le 19/02/2022 à 12h30 & mis à jour le 19/02/2022 à 15h42
    Tribune libre

    Comme tous les ans depuis environ deux décennies, la Cour des Comptes vient de lancer une alerte sur le dérapage de la dette publique française et plus globalement des comptes publics de la France. Et ce, quasiment dans l’indifférence générale, là aussi comme d’habitude. Ainsi, la dette publique française a beau battre des records historiques de trimestres en trimestres, tout le monde s’en fiche. D’ailleurs, comme cela s’est déjà observé lors des trois dernières campagnes présidentielles françaises, la dette publique est quasiment oubliée des programmes des candidats et des débats de la Présidentielle, qui restent d’ailleurs au ras des pâquerettes.

    Qui se souvient du moment où la dette publique française a atteint 80% du PIB ? Certainement pas grand monde. Ce n’est pourtant pas si vieux puisqu’il s’agit du troisième trimestre 2009. A l’époque, cette barre était présentée comme fatidique et devait, soi-disant, inciter les dirigeants du pays à tout faire pour stopper l’hémorragie. Et ce, d’autant qu’au quatrième trimestre 2007, ce ratio n’était “que” de 64,5 %. Il était alors de bon ton de penser que ce dérapage était dû à la crise de 2008-2009 et que désormais la dette publique allait être, sinon stoppée, du moins freinée. Comme nous le craignions à l’époque, il n’en a évidemment rien été.

    En effet, bien loin de la prise de conscience salutaire, les dirigeants politiques français ont continué leur gabegie de dépenses publiques, sans aucune efficacité, c’est-à-dire sans parvenir à redresser la croissance économique structurelle. Avec la pandémie de Covid 19 et le fameux “quoi qu’il coûte” financé par la “planche à billets” de la BCE, la situation a évidemment empiré, mais toujours dans l’indifférence générale.

    Ainsi, la dette publique a atteint au troisième trimestre 2021, la modique somme de 2.834,3 milliards d’euros et devrait bientôt franchir la barre des 3.000 milliards d’euros, soit environ 120% du PIB français. Et encore, pour ne pas affoler les foules, l’usage veut que l’on compare la dette publique au PIB. Ce qui n’a finalement pas grand sens, puisque tout le PIB n’est pas public (encore heureux !). Il paraît donc plus opportun de la rapporter aux recettes publiques, histoire de se rapprocher d’un ratio “dette / chiffre d’affaires”. Et là, avant de prendre connaissance de ce chiffre, il faut s’asseoir pour ne pas tomber, car ce ratio est actuellement d’environ 230% !

    Mais, ce n’est pas tout, car, au-delà de ces chiffres qui donnent le vertige, le vrai danger réside dans l’augmentation presque exponentielle de ces derniers. Ainsi, en 1980, la dette publique n’était que de 20,7% du PIB et 45,4% des recettes publiques. Dix ans plus tard, c’est-à-dire en 1990, la dette publique progresse mais reste encore limitée à 35,2% du PIB et à 75% des recettes publiques. En 2000, en dépit des efforts réalisés pour entrer dans la zone euro et malgré la croissance forte des années 1998-2000, la dette publique monte à nouveau, pour atteindre 59% du PIB et 117,8% des recettes publiques. Présentés alors comme des sommets, ces niveaux vont pourtant être pulvérisés au cours des années suivantes, pour atteindre les pics actuels, qui ne sont malheureusement qu’une étape vers d’autres plus hauts.

    C’est en cela qu’au-delà de son stock de dette faramineux, la puissance publique française apparaît durablement fragilisée. Et ce d’autant que le vieil adage selon lequel il suffirait de vendre quelques “bijoux de famille” pour réduire massivement la dette publique n’est plus applicable aujourd’hui dans l’Hexagone. Et pour cause, ces bijoux, en l’occurrence le patrimoine financier des administrations publiques avoisine les 1.579 milliards d’euros en 2020 (selon l’INSEE). C’est certes appréciable, mais largement insuffisant pour casser la spirale de la dette et de la croissance molle.

    Et quand bien même l’Etat français vendrait tous ses “trésors”, tels que la Joconde, le château de Versailles et autres actifs non mobilisables, il n’arriverait même pas à rembourser son stock de dette. Et bien oui, c’est triste à dire mais l’actif net de l’Etat français est négatif. Cette notion est assez simple : elle représente l’actif de la puissance publique française duquel on soustrait sa dette. D’un point de vue comptable, si un agent économique a une dette supérieure à ses actifs, cela signifie que son actif net est négatif, et qu’il est alors en situation d’insolvabilité. A moins de trouver un financier extérieur, également appelé “chevalier blanc”, il sera bientôt mis en faillite.

    À cela, certains objectent que, si cette situation peut entièrement se comprendre pour une entreprise, elle ne semble pas devoir s’appliquer à un État. En effet, un État dispose généralement d’un horizon très long et n’aura pas à rembourser sa dette en une seule fois, sauf en situation de guerre. Pour autant, lorsque son actif net est négatif cela signifie que ce dernier ne dispose plus de marge de manœuvre pour augmenter sa dette, et doit donc inverser rapidement la tendance.

    Encore plus grave, après avoir bénéficié de la « planche à billets » de la BCE qui a permis de maintenir les taux d’intérêt des obligations de l’Etat français sur des niveaux artificiellement bas, la fête est désormais finie et ces derniers ont nettement augmenté. De -0,1% en août 2021, le taux d’intérêt à dix ans des obligations de l’Etat français a atteint 0,8% ces derniers jours et devrait encore se tendre significativement au cours des prochains mois.

    Autrement dit, si la flambée de la dette publique française a jusqu’à récemment été indolore, elle va désormais coûter de plus en plus cher, pas seulement pour les générations à venir, mais aussi dès 2022 et a fortiori après les élections présidentielles ? Autrement dit, non seulement les promesses des candidats de nouvelles hausses des dépenses publiques ne pourront être tenues, mais surtout les prochains dirigeants du pays devront cesser la fuite en avant de la dette publique et prendre des mesures courageuses pour que la France ne tombe pas en faillite.

    Taux d’intérêt à 10 ans et dette publique de la France ACDEFI (Sources : Insee, ACDEFI)