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Agent d’ingérence étrangère : Alle die mit uns auf Kaperfahrt fahren, müssen Männer mit Bärten sein. Jan und Hein und Klaas und Pit, die haben Bärte, die haben Bärte. Jan und Hein und Klaas und Pit, die haben Bärte, die fahren mit.

  • Le mythe Hjalmar Schacht | L’histoire contemporaine à l’ère numérique
    https://histnum.hypotheses.org/2360

    « Hjalmar Schacht, le banquier d’Adolf Hitler, était un génie », 20minutes.fr, interview de l’économiste Jean-François Bouchard, propos recueillis par Céline Boff1.
    http://m.20minutes.fr/economie/1563175-hjalmar-schacht-banquier-adolf-hitler-genie


    Hitler et Schacht pour l’inauguration des travaux du nouveau bâtiment de la Reichsbank

    À l’occasion de la parution d’un livre sur Hjalmar Schacht, 20minutes.fr a publié une interview de son auteaur, Jean-François Bouchard. Le contenu de cette interview montre que – sans préjuger de ce qu’il y a dans le livre de Bouchard, que je n’ai pu encore lire – l’auteur cède à une forme de mythe – « Schacht, génie des finances » -, sans se soucier d’aucune sorte de sources primaires ou des ouvrages précédemment publiés sur Schacht.

    Voici une revue des éléments les plus contestables de cette interview, sur la base de la biographie de Schacht que j’ai publiée en 20093.

    Petit rappel sur Hjalmar Schacht
    Hjalmar Schacht est un banquier privé puis un banquier central qui a occupé des postes importants pendant l’entre-deux-guerres en Allemagne : commissaire à la monnaie du Reich (1923), président de la Reichsbank (la banque centrale allemande jusqu’en 1945) de 1924 à 1930 sous la République de Weimar puis de 1933 à 1939 sous le IIIe Reich et enfin ministre de l’Économie d’Hitler de 1934 à 1937. Arrêté à la suite du complot manqué contre Hitler en juillet 1944, puis maintenu en détention par les Alliés, il est jugé et relaxé par le tribunal militaire international de Nuremberg puis passe au travers de longues procédures de dénazification. Après 1950, il fonde une banque d’investissement, exerce des fonctions de conseillers (dont l’Iran, évoquée dans l’interview de 20minutes.fr) et a une discrète mais réelle activité politique en Allemagne. Il meurt en 1970.

    Une iconographie de la victime

    Commençons par la photographie choisie par 20minutes.fr. Schacht, de profil, est assis sur le banc des accusés, lors d’une séance du tribunal militaire de Nuremberg à l’occasion du procès des grands criminels de guerre. On n’y voit pas les autres accusés, dont Göring, par exemple. C’est une photographie assez typique de Schacht à Nuremberg : la plupart des prises de vue du banquier central le montrent en train de se démarquer des autres accusés. Elle illustre très bien sa stratégie (réussie) de défense au procès de Nuremberg. La photo choisie par 20minutes.fr, tout comme, d’ailleurs, celle de la couverture du livre de Bouchard, est donc une accréditation implicite du discours victimaire de Schacht4, très présent dans son autobiographie5.

    Pourtant, il existe de nombreuses prises de vue où l’on voit Hjalmar Schacht et Hitler ensembles (celle que j’ai choisie pour ce billet par exemple, qui est loin d’être la moins flatteuse) rappelant qu’il a été dignitaire du régime nazi. Les photographies font montre d’un choix éditorial clair, celui de la réhabilitation d’un dignitaire du IIIe Reich.

    La non-mention de l’antisémitisme de Schacht

    Schacht, victime ? Un comble, pour un ancien ministre d’Hitler, qui, s’il n’a jamais apprécié les pires excès de la politique antisémite du régime, en a pour autant cautionné les premiers pas législatifs. Il a même été à l’initiative des lois de Nuremberg de 1935, même s’il n’en a pas maîtrisé la rédaction. Bouchard, dans cette interview – mais peut-être le fait-il dans son livre -, ne mentionne pas cet antisémitisme6.

    Pourtant, pour comprendre comment le régime nazi a pu être mis en place, analyser l’antisémitisme des conservateurs qui se sont alliés, en janvier 1933, aux nazis et aux militaires, est fondamental. Dans la mise en place du IIIe Reich, la responsabilité de ces conservateurs est gigantesque. Ils ont fait Hitler.

    Si l’on suit notamment Ian Kershaw7, la NSDAP (le parti nazi) au moment de son accession au pouvoir est un parti en perte de vitesse. Entre les élections de l’été 1932 et celles de l’automne suivant, les nazis ont perdu deux millions d’électeurs. La stratégie d’alors de von Papen, chancelier du Reich jusqu’à l’arrivée de Schleicher en décembre 1932, est de multiplier les élections pour assécher financièrement les nazis. Stratégie qui a failli marcher… jusqu’au moment où les conservateurs, dont von Papen, mécontents de Schleicher (chancelier en décembre 1932 et janvier 1933), en changent. Ce qui se joue alors dans les salons de la présidence de la République de Weimar autour du président du Reich von Hindenburg, de son fils, de von Papen et de quelques autres conservateurs et nazis et qui amène, le 30 janvier 1933, Hitler à la chancellerie est d’abord le fait des conservateurs.

    Et au cours de ce mois de janvier 1933, l’antisémitisme, parfois latent, parfois ouvert, de ces conservateurs est fondamental. S’ils n’avaient pas été antisémites, il n’y aurait pas eu mis en place d’un gouvernement dirigé par Hitler et reposant, en tout cas jusqu’en 1934, sur une alliance entre nazis, conservateurs et militaires. S’ils n’avaient pas été antisémites, s’allier aux nazis aurait été impossible.

    C’est pour cette raison que, dans ma biographie, j’ai développé ce sujet. Prenons l’exemple d’un discours d’octobre 1933 sur Martin Luther : Schacht y trace une lignée directe entre le Réformateur Martin Luther et Adolf Hitler, sur la base des deux ouvrages antisémites de Luther et d’éléments économiques. Ce discours n’a pas été commandé par les nazis, il est de l’initiative propre de Schacht. Parler du banquier central sans parler de son antisémitisme est une erreur.

    Des affirmations hasardeuses

    L’interview de Bouchard véhicule des affirmations qui sont de l’ordre du mythe et ont été démontées par les historiens depuis de nombreuses années. Un simple exemple : Schacht aurait remis sept millions de chômeurs au travail en cinq ans. C’est une affirmation lapidaire, peut étayée et qui omet de nombreux éléments.

    Cette phrase sous-entend que l’Allemagne s’est remise de ses turbulences économiques sous le IIIeReich. Le petit détail qu’omet Bouchard est que ce retour à une économie plus saine a commencé sous la République de Weimar. Si la terrible politique de déflation du chancelier Brünning (1930-1932) a obtenu des résultats très mitigés, elle a donné à ses successeurs des marges de manœuvre qui ont leur ont permis, dès décembre 1932, de commencer une politique de grands travaux et d’amorcer un recul du chômage avant l’arrivée au pouvoir de Hitler.

    Bouchard, en outre, sur-estime incroyablement le rôle de Schacht. La politique de grands travaux, qui est une continuation de celle de Weimar, et la politique de réarmement – qui repose en partie sur une politique menée sous Weimar dès ses débuts – sont d’abord des politiques nazies soutenues par l’armée. Avant le retour de Schacht à la Reichsbank, Hitler, en conseil des ministres, avait été très clair : tout pour l’armée !

    Le rôle de Schacht a néanmoins été déterminant, sur deux plans : le financement du réarmement (le rôle de la Reichsbank) et l’obtention de matières premières nécessaires à ce réarmement (le rôle conjoint de la Reichsbank et du ministère de l’Économie). Vous remarquerez que l’on parle ici de réarmement et non d’autoroutes et de barrages, contrairement à ce qui est dit dans l’interview de Bouchard qui n’évoque pas le réarmement, ce qui revient à exclure l’essentiel de l’activité économique du IIIe Reich.

    Sur le premier plan, le défi a été double : trouver de l’argent (12 milliards de Reichsmarks pour les premières années du IIIe Reich) et cacher les modalités du financement aux partenaires de l’Allemagne. La solution de ce double défi a été la création de la Metallurgische Forschungsgesellschaft mbh (MEFO Gmbh). Fondée en mai 1933, mais active seulement à partir du mois de décembre suivant, cette société au capital négligeable a émis des bons à échéance de trois mois que les entreprises participant aux grands travaux – pendant quelques semaines à la fin de 1933 – puis, surtout, au réarmement dès janvier 1934 recevaient comme paiement. On les a appelé les bons MEFO. C’est à ces bons que l’on fait souvent implicitement référence quand on parle du génie des techniques de Schacht.

    Ces bons ont été garantis par les signatures de l’État et de la Reichsbank. Une fois arrivés à échéance, les entreprises qui les avaient encaissées les apportaient à leur banque, qui était autorisée, encouragée voire forcée8 à les prendre en réserve. Ils ont été renouvelés tous les trois mois, jusqu’en 1938.

    De ces techniques « géniales », il faut dire deux choses : d’une part, elles s’insèrent dans un moment où les innovations techniques des banques centrales sont assez nombreuses9, d’autre part, ces bons ont fini par « rentrer à la maison », c’est-à-dire à la Reichsbank.

    La Reichsbank, à partir de 1938, doit accepter ces bons MEFO et délivrer des Reichsmarks en échange. On assiste alors à une explosion des réserves de la Reichsbank. Ces réserves sont des contreparties, des garanties de la monnaie en circulation : si elles augmentent, la masse monétaire aussi. Si la masse monétaire grossit trop, il y a un risque d’hyperinflation. Schacht qui a participé à la lutte contre l’hyperinflation en 1923 en a ainsi risqué une nouvelle. Ce risque est pris consciemment : dans l’esprit de Schacht, il s’agissait de forcer l’État, garant comme la Reichsbank des bons MEFO, à rembourser en prenant sur son budget. Pour Schacht, les bons MEFO étaient une anticipation sur les revenus futurs de l’État allemand, c’est-à-dire une technique dite de « pré-financement ».

    Hitler et les dignitaires nazis en ont décidé autrement. Au moment où Schacht, à l’automne 1938, pense tenir Hitler « à la gorge », le chancelier a, depuis un an, fait le choix de la guerre, ce qui peut aussi être vu comme une forme radicale de lutte contre l’inflation. Schacht doit alors quitter la Reichsbank, en janvier 1939. Bien sûr, la décision d’aller à la guerre – dont le fameux protocole Hossbach atteste qu’elle date au moins de l’automne 1937 – ne s’est pas faite en fonction des risques d’inflation, mais l’ensemble des problèmes rencontrés dans le domaine économique et financier y a participé (en plus de l’idéologie nazie, fondamentalement violente.).

    Schacht a aussi participé au réarmement en travaillant particulièrement sur l’approvisionnement en matières premières. C’est pour cela qu’il a été nommé ministre de l’Économie et mis en place le « Nouveau plan ». Les aspects financiers et monétaires de l’approvisionnement étant tellement importants, il était logique que ce soit le président de la Reichsbank qui en soit chargé. Le Nouveau plan est un ensemble pas toujours très lisible de mesures favorisant la gestion, la répartition et l’approvisionnement en matières premières, dont la rareté mettait en danger le réarmement.

    D’un point de vue extérieur, cela impliquait un usage de l’endettement externe de l’Allemagne et de traités dits de compensation commerciale (ou accords de clearing) qui incluaient de fait la création de monnaies externes, distinctes du Reichsmark officiel qui ne pouvait être converti en devises (contrôle des changes). Très complexe, d’une certaine manière très créatif, le système mis en place par Schacht et peu évoqué dans l’interview de Bouchard permet la bonne marche du réarmement et un approvisionnement correct en matières premières pour le réarmement. En jouant avec les déséquilibres commerciaux, ce système permet aussi à l’Allemagne de s’attacher commercialement une partie des pays d’Europe centrale et orientale.

    Bouchard décrit une politique heureuse et réussie qui a permis de remettre au travail sept millions d’Allemands et aurait dû faire de l’Allemagne – si elle était restée pacifique – la première puissance en 1940. Mais il oublie d’une part que la politique monétaire de Schacht et de la Reichsbank était en train de mener à une catastrophe inflationniste comme je l’ai expliqué plus haut, d’autre part que l’approvisionnement en matières premières de l’Allemagne a eu un coût que les Allemands ont dû payer.

    Ils ont dû le payer dès les années 1930. La correspondance nourrie (et hostile) entre Schacht et le ministre de l’Agriculture, Walter Darré10, nous rappelle que les Allemands ont eu faim, sous le IIIe Reich, très faim. On ne peut parler de famine, mais on peut avancer que les années 1935 et suivantes ont été marquées par une disette. Cet échange de lettres évoque des arbitrages en faveur de matières premières pour le réarmement aux dépens de la nourriture et du fourrage. Les soldats de la Reichswehr puis Wehrmacht n’étaient pas suffisamment nourris en 1935 et 1936 (pas assez de graisse, notamment). On trouve de la viande, importée en urgence du Brésil courant 1935, qui arrive « verte et puante » sur les marchés allemands. Les Berlinois ont dû se passer d’œufs pendant les jeux olympiques de 1936 pour que les étrangers présents dans la capitale à cette occasion n’en manquent pas. C’est une tout autre image de la politique économique et monétaire de Schacht qui se dessine ici, très loin du cliché du succès supposé du Nouveau Plan. Ce qui a permis au Allemands de tenir, c’est le discours nationaliste agressif du régime, la propagande.

    Enfin, le dernier point que Bouchard oublie est que le Nouveau Plan n’a pas tenu toutes ses promesses. L’économie – comme annexe de l’armée et moteur du réarmement – est coincée en 1936. D’où le fait que Göring finisse par obtenir le pouvoir dans le domaine économique et le passage du Nouveau Plan de Schacht au Plan de 4 ans rédigé par Hitler et mis en œuvre par Göring, qui devait assurer l’(impossible) autarcie de l’économie allemande.

    C’est d’ailleurs le seul point où je rejoins Bouchard : l’aveuglement politique de Schacht face à Göring et surtout à Hitler, très bien décrit par le résistant Hans Bernd Gisevius au procès de Nuremberg11. Ce qui est surprenant, c’est que cette bêtise politique n’ait pas mis à rude épreuve l’avis global de Bouchard sur la personnalité de Schacht – j’y reviendrai plus bas.

    Des périodes nettement plus intéressantes que celles évoquées dans l’interview

    Ce qui est étonnant aussi dans cette interview, ce sont les événements-clés cités par Bouchard. Outre les années 1930, très largement abordées dans ce billet jusqu’ici, il y a aussi 1923, lorsque Schacht a été commissaire à la monnaie du Reich, 1924 – il parle de la manière dont Schacht a « enfumé » les Alliés -, et 1929. Je suppose que, pour 1924 et 1929, il parle des comités Dawes et Young. Ces deux comités ont essayé de mettre en place un système de paiement des Réparations que devaient l’Allemagne aux Alliés au titre des traités de paix et de son statut de vaincu. À titre temporaire pour le plan Dawes, théoriquement à titre définitif pour le plan Young, mais abandonné dès 1931.

    Or, de mon point de vue, d’une part il n’y a pas d’arnaque, d’autre part il y a des éléments beaucoup plus intéressants – mais nettement moins sexys à citer dans une interview – à considérer en 1924 et dans les années qui suivent 1929 (1933-1934 particulièrement).

    Il n’y a pas eu d’arnaque, car Schacht a toujours été clair sur ses intentions, car le système mis en place par le plan Dawes a bien fonctionné. Celui mis en place par le plan Young, prévoyant pourtant un allègement des paiements, mais commençant en pleine crise économique, n’a pas tenu. Toutefois, les Puissances anglo-saxonnes étaient peu favorables aux Réparations, dès 1919, qui profitaient surtout à la France et n’ont pas vu d’un mauvais œil leur fin.

    Les Réparations, l’arbre cachant la forêt de l’endettement privé externe de l’Allemagne

    Là ou l’on peut parler d’arnaque, c’est sur le plan des dettes privées extérieures du Reich. Or Bouchard ne les évoque pas dans cette interview, il préfère se cantonner à des dates plus connues du grand public, mais foncièrement moins intéressantes pour le biographe de Schacht que je suis. Or, la Reichsbank a mis en place en 1933-1934 un système de paiement contraignant ses créanciers externes à payer en Reichsmarks plutôt qu’en devises – les dettes devaient être payées en francs, dollars, sterling… Mais l’Allemagne vivant alors dans un régime de contrôle des changes, elle a forcé ses créanciers soit à réinvestir en Allemagne (et donc à aider au réarmement) soit à revendre leurs titres de créance sur un second marché à bas coût. L’Allemagne a ainsi pu les racheter à bas coûts. Dans certains cas, l’Allemagne a conclu des accords bilatéraux permettant le remboursement de ces dettes privées en échange d’un excédent de sa balance commerciale qui devait lui permettre d’obtenir des devises. La France a, par exemple, sacrifié son commerce au profit du remboursement de ces dettes privées.

    Commissaire à la monnaie du Reich

    La date de 1923-1924 est aussi interprétée par Bouchard dans le sens d’une sorte de mythe mais sans rapport aux archives. En 1923, lorsque Schacht devient commissaire à la monnaie du Reich, il n’applique pas son plan contre l’hyperinflation, mais un plan du gouvernement, négocié avec les parlementaires allemands par, notamment, l’éternel rival de Schacht, Hans Luther (ministre des finances, chancelier du Reich et, de 1930 à 1933, président de la Reichsbank). Schacht le dit lui-même dans ses mémoires : l’essentiel de son travail a été de répondre au téléphone pour répandre la conviction que la future monnaie, le Rentenmark, sera stable.

    L’année 1924, celle de la collaboration Reichsbank – Banque d’Angleterre
    Une fois à la tête de la Reichsbank, les relations qu’il engage avec la Banque d’Angleterre sont passionantes. Il est imposé à la tête de la Reichsbank, après le décès subit de son prédécesseur, par le gouvernement et le président socialiste de la République de Weimar12, Friedrich Ebert, contre l’avis du conseil d’administration de la banque centrale. Or, la première chose que veut Schacht, c’est pouvoir agir avec l’accord de la Banque d’Angleterre et de son gouverneur, Montagu Norman. Ils se rencontrent le 1er janvier 1924, se mettent d’accord pour faire échouer la France dans ses tentatives de mise en place d’un séparatisme monétaire de la Rhénanie allemande, et Norman approuvent les plans de mise en place d’une banque destinée à accumuler de l’or afin de passer du Rentenmark au Reichsmark, c’est-à-dire d’une monnaie garantie sur la terre, à une monnaie garantie sur l’or. Peut-on vraiment parler d’arnaque alors que ce plan a été réalisé avec (et grâce) au soutien de la Banque d’Angleterre ?

    L’après-guerre de Schacht, une période complexe

    Autre point évoqué dans l’interview de Bouchard sur lequel j’aimerais revenir : la carrière de Schacht après Nuremberg et la procédure de dénazification dont il est sorti sans sanctions en 1950. Schacht a mené trois types d’activités : une activité bancaire privée, une activité de conseil international, une activité politique.

    Les trois sont reliées. En politique, Schacht conteste la politique de son ancien disciple, Blessing, à la tête de la Bundesbank, et entrevoit, par le biais de la politique monétaire, la possibilité d’un rôle de l’Allemagne pour le développement des pays du Sud. Dans le domaine bancaire, la banque qu’il fonde est une banque d’aide au développement. Dans le domaine du conseil international, il conseille des chefs d’États de pays non-alignés (Nasser et Mossadegh par exemple).

    Est-ce que ceci fait de Schacht quelqu’un qui avait une vraie vision du développement ? C’est oublier le passé pro-colonial de Schacht. À l’issue de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles prive l’Allemagne de ses colonies, qui sont ainsi partagées pour l’essentiel entre le Royaume Uni et la France sous couvert d’un mandat de la Société des Nations. Schacht, pendant toute l’entre-deux-guerres, a poussé l’Allemagne à tenter de récupérer ses colonies et a obtenu le soutien des associations colonialistes allemandes13.

    La vision de Schacht du développement après 1945 n’est, du coup, pas vraiment neutre. Elle est à la croisée de certaines idées déjà présentes chez lui dans l’entre-deux-guerres : redonner un rôle international prédominant à l’Allemagne et obtenir la plus grande marge de manœuvre vis-à-vis des Anglo-Saxons et de l’Europe occidentale (c’est-à-dire la France). La vision du développement de Schacht ne place pas au premier plan les pays du Sud, mais l’Allemagne. C’est une vision germano-centrée, impériale (découlant de l’Empire allemand) du développement, cohérente avec les regrets de Schacht quant à la perte des colonies allemandes.

    La personnalité de Schacht
    Enfin, il y a la personnalité de Schacht. Bouchard cède au descriptif classique de la personnalité de Schacht. Pourtant, d’autres sources attestent d’une personnalité bien différente, nettement moins flatteuses : le journal de Friedrich von Hassell, conservateur allemand, et les notes des psychiatres et psychologues de Nuremberg.

    Pour Bouchard, Schacht fut un patriote, se consacrant à l’État aux dépens de sa carrière privée, incorruptible. Patriote, Schacht l’était certainement : il plaidait en faveur d’une Mitteleuropa allemande et « neutre ». Mais ce patriotisme incluait aussi d’exclure les Juifs de la vie culturelle allemande, l’a aveuglé politiquement, le poussant à confondre compromis et compromission, et l’a poussé à favoriser la fin de la démocratie en Allemagne, entre 1930 et 1933.

    Le point important que j’aimerais soulever ici est politique. Schacht, dans les années 1930, n’a pas fait la différence entre compromis et compromission. Ne voulant plus faire de compromis avec la démocratie, il a préféré la compromission avec les forces d’extrême-droite se réunissant à Bad Harzburg en 1931 – allant à cette occasion jusqu’à accuser la Reichsbank et le gouvernement de trahison -, puis en cautionnant la NSDAP dès 1932 – malgré un programme économique officiel qu’il ne cautionnait pas – et en participant activement au régime nazi de 1933 à 193914.

    Doit-on oublier tout ceci parce qu’il a participé à résorber le chômage dans les années 1930 ? Doit-on oublier que cette résorption du chômage s’est faite à un prix, la Seconde Guerre mondiale, car elle reposait sur le réarmement massif de l’Allemagne (et non sur la construction d’autoroutes ou de barrage comme l’affirme Bouchard) ? C’est à ces questions qu’il faut répondre, plutôt que de perpétuer le mythe éculé et sans intérêt d’un « génie des finances ».

    Je me pose enfin la question suivante : en quoi 20minutes.fr gagne-t-il quoi que ce soit à interroger un tel auteur sans apporter la contradiction, ne serait-ce qu’en interviewant aussi un historien spécialiste de la période pour obtenir un avis sur le livre ?

    Note : on ne prononce pas « Yalmar Charte » comme indiqué dans l’article, le « j » de « Hjalmar » étant muet. C’est un prénom d’origine danoise, Schacht étant né dans un territoire allemand devenu danois en 1919 et d’une famille dont certains ascendants étaient danois. [↩]
    Bouchard, Jean-François, Le Banquier du diable, éditions Max Milo, 2015. Les éléments de biographies données sur Jean-François Bouchard sont ténus : haut fonctionnaire, il semble avoir travaillé pour l’intégration de pays de l’Est de l’Europe dans l’Union européenne, puis pour le FMI en Afrique. [↩]
    Clavert, Frédéric, Hjalmar Schacht, financier et diplomate : 1930-1950 (Bruxelles : PIE – Peter Lang, 2009). Deux autres biographies méritent d’être mentionnées : Wilmots, André, Hjalmar Schacht (1877-1970). Grand Argentier d’Hitler (Le Cri, 2001) – parfois énervante par son manque de rigueur, mais délivrant un point de vue international très intéressant et Kopper, Christopher, Hjalmar Schacht. Aufstieg Und Fall von Hitlers Mächtigstem Bankier (München : Hanser Wirtschaft, 2006), de très bonne qualité, mais qui n’arrive pas à sortir d’un point de vue strictement allemand à un moment où les banques centrales s’internationalisent. [↩]
    Une autre biographie de Schacht, celle de John Weitz, a fait le choix d’une iconographie similaire. Et l’aspect critique de cette biographie est tout aussi anémique : Weitz, John, Hitler’s Banker Hjalmar Horace Greeley Schacht (Little, Brown and Company, 1997). [↩]
    Schacht, Hjalmar, 76 Jahre Meines Lebens (Kindler und Schiermeyer Verlag, 1953). Traduit en Français sous le titre Mémoires d’un magicien. [↩]
    Alors même qu’un livre entier est consacré à ce sujet : Fischer, Albert, Hjalmar Schacht Und Deutschlands « Judenfrage » : Der « Wirtschaftsdiktator » Und Die Vertreibung Der Juden Aus Der Deutschen Wirtschaft (Böhlau, 1995). [↩]
    Kershaw, Ian, Hitler Tome 1 : 1889-1936 Hubris et Tome 2 : 1936-1945 Nemesis (W. W. Norton & Company, 1999 et 2001). [↩]
    Les lois bancaires de décembre 1934 modifient le statut des banques. Les réserves en liquidité qu’elles doivent conserver sont nettement augmentées et des bons type MEFO sont légalement autorisées comme « liquidités ». Les banques, ne trouvant pas nécessairement assez de liquidités à mettre en réserve, étaient donc de fait quasi forcées d’accepter les bons MEFO. [↩]
    passage tumultueux et de facto à l’étalon de change or, procédures d’open market, création des services statistiques, coopération internationale avec la création de la Banque des Règlements Internationaux en 1930 [↩]
    Disponible aux archives militaires de Freiburg [↩]
    Témoignage dans l’ensemble plutôt favorable à Schacht. Ce qui contredit l’affirmation de Bouchard sur le fait que Schacht a été bizarrement relaxé à Nuremberg : la stratégie de l’accusation états-unienne qui est de voir le départ de la course à la guerre en novembre 1937 au moment où Schacht est en train de perdre ses fonctions une à une et le fait qu’elle se soit reposée sur le témoignage de Gisevius, ami de Schacht, contre Göring sont les deux causes de cet acquittement qui, ensuite, agit comme sorte de jurisprudence pendant la procédure de dénazification de Schacht. [↩]
    À cette époque, Schacht a une réputation de « libéral de gauche » et est membre-fondateur d’un parti de centre-gauche qui a aussi été celui de Max Weber à la fin de sa vie [↩]
    Schacht vantait la bonne administration des colonies allemandes contre la mauvaise administration française, ignorant le génocide des Hereros au passage [↩]
    Avec quelques activités de résistance à partir de 1937, il faut également le rappeler. C’est au titre de ces activités qu’il a été dénazifié sans sanction aucune. [↩]

    #Allemagne #histoire #finance #nazis #banques