• Craig Murray - sur Twitter : “A strange truth. Russia continues to send gas to W. Europe, mostly to NATO countries, and increased supply since the invasion started. Much of it still transits Ukraine. Russian and Ukrainian managers and technicians still cooperate 24 hrs. Russia is still paying transit fees.” / Twitter
    https://twitter.com/realpepeescobar

    Tout est perdu sauf le gaz !

    On peut y ajouter ceci :
    https://www.zonebourse.com/cours/action/PJSC-GAZPROM-6491735/actualite/Ukraine-Les-exportations-de-gaz-russe-vers-l-Europe-se-poursuivent-norma

    KIEV/MOSCOU, 27 février (Reuters) - Le transit de gaz russe vers l’Europe via l’Ukraine se poursuit normalement dimanche, ont déclaré l’exploitant ukrainien du gazoduc et le géant gazier russe Gazprom après l’annonce d’une frappe contre une infrastructure gazière près de Kharkiv, dans le nord-est de l’Ukraine attaquée depuis jeudi par l’armée russe. (Reportage Pavel Polityuk et Vladimir Soldatkin ; rédigé par Jean-Stéphane Brosse)
    © Reuters 2022

    #ukraine #gaz

    • Ukraine : le gaz, une nouvelle arme ?
      Par Sami Ramdani GÉOGRAPHE

      L’une des armes les plus destructrices dont le Président russe dispose en Ukraine est le gaz naturel. Le pays a déjà subi des ruptures d’approvisionnements en 2006, 2009 et 2014, et l’ampleur de l’attaque russe sur l’Ukraine permet d’imaginer tous les possibles. Les approvisionnements gaziers russes se maintiendront-ils ? Vont-ils être plus limités encore que ce qu’envoie actuellement Gazprom, qui se contente de fournir le minimum des volumes contractés par ses clients européens depuis le printemps 2021 ?

      En Ukraine, face à l’envahisseur, la résistance de tous les secteurs de la société est mise à l’épreuve. Parmi les chantiers majeurs, la construction d’une architecture résiliente d’approvisionnement gazier occupe une place centrale. Pour accomplir cette tâche, les industriels nationaux, notamment le gestionnaire du réseau de gazoduc Gas Transmission System Operator of Ukraine (GTSOU), sont en première ligne. Dans l’immédiat, le PDG de l’entreprise publique rassure, les infrastructures continuent à fonctionner « normalement » à l’heure qu’il est malgré l’invasion commencée à l’aube jeudi.

      En décembre dernier, Sergiy Makogon évoquait les projets de long terme engagés par l’Ukraine pour garantir sa sécurité énergétique et être moins dépendante du bon-vouloir russe. Les autorités ukrainiennes sont mobilisées, et n’ont pas attendu l’offensive russe pour l’être. Depuis des mois déjà, les diplomates, le ministère de l’énergie, le ministère des affaires étrangères et le régulateur travaillent à augmenter les capacités d’importations de gaz aux frontières de ses voisins européens.

      L’Ukraine importe environ un tiers de ses besoins en gaz. La production domestique ukrainienne de gaz est actuellement de 20 milliards de mètres cubes (MMC) par an et la consommation est de 30 MMC. Depuis 2016, soit deux ans après l’annexion de la Crimée, l’Ukraine n’importe plus, théoriquement, de gaz directement depuis la frontière russe. Le pays dispose de deux options pour importer son gaz : les flux inversés physiques, et les flux inversés virtuels.

      Ce que l’on appelle « flux inversés » sont des flux de gaz transitant depuis l’Union Européenne vers l’Ukraine. On les qualifie d’« inversés » car historiquement, les flux régionaux de gaz traversent l’Ukraine d’est en ouest. Que l’on ne s’y trompe pas : le gaz provenant de l’UE à destination de l’Ukraine peut être issu de fournisseurs divers, mais il s’agit en grande majorité… de gaz russe ! Passé par le gazoduc Nord Stream (grand frère du projet Nord Stream 2), il est arrivé de Russie vers l’Allemagne, descendu jusqu’en République tchèque, a traversé la Slovaquie pour arriver en Ukraine…

      Pour ce qui est des « flux inversés virtuels » le gaz ne circule pas physiquement depuis l’UE vers l’Ukraine. Ce gaz est effectivement acheté par des acheteurs situés en Ukraine à des vendeurs situés en UE, mais il est physiquement déduit du flux de gaz russe transitant par l’Ukraine à destination de l’UE. Cette modalité d’achat de gaz nuance quelque peu les propos des dirigeants ukrainiens qui affirment ne plus importer directement de gaz russe.

      Les flux inversés virtuels sont économiquement avantageux puisqu’ils épargnent aux acheteurs en Ukraine d’avoir à payer les frais de transit induits par un acheminement du gaz russe à travers l’UE jusqu’à la frontière ouest ukrainienne. Cependant, ces flux inversés virtuels dépendent de la continuité du transit. La guerre déclarée jeudi menace cette continuité. La mise en service attendue du gazoduc Nord Stream 2 (qui relie la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique) met en péril elle aussi la continuité du transit par l’Ukraine, mais le chancelier allemand Olaf Scholz en a suspendu la certification il y a quelques jours quand Vladimir Poutine a déclaré reconnaître l’indépendance des Républiques séparatistes de Doňetsk et Lougansk.

      En conséquence, le gestionnaire du réseau de gazoducs ukrainiens cherche à sécuriser un maximum de contrats avec ses voisins européens offrant des capacités « flux inversés physiques ». GTSOU vise l’obtention de capacités fermes. Les capacités fermes donnent le droit, garanti en permanence, d’utiliser un certain volume de l’infrastructure de transport du gestionnaire qui propose ces capacités – qui offre de la place dans ses tuyaux, autrement dit. Les capacités non-fermes, dites interruptibles, permettent d’utiliser un certain volume si cela est techniquement possible. Si les volumes de gaz disponibles ne permettent pas de satisfaire tous les clients, l’arbitrage sera opéré en faveur des clients ayant des capacités fermes. Ainsi, généralement, les acteurs menant des activités économiques essentielles opteront pour des capacités fermes tandis que les acteurs dont l’activité économique peut supporter une certaine instabilité d’approvisionnement fera des économies en optant pour des capacités interruptibles moins chères.

      L’Ukraine obtient des approvisionnements garantis depuis la Hongrie et la Slovaquie
      En ce début 2022, avant l’invasion russe, des étapes importantes ont été franchies dans le développement d’un approvisionnement gazier de l’Ukraine provenant de fournisseurs et de voies diversifiés. Le 1er février, les premiers volumes provenant directement de Hongrie sont arrivés en Ukraine. La voie hongroise est devenue la deuxième route garantie pour l’approvisionnement gazier de l’Ukraine, après la Slovaquie. En 2014, l’accès à 27 millions de mètres cubes par jour au point de Budince en Slovaquie était devenu la première capacité ferme en flux inversé dont l’Ukraine bénéficiait. L’accord signé par GTSOU et le gestionnaire de réseau de transport gazier hongrois, FGSZ, court jusqu’au 30 septembre 2022 et offre la capacité d’importer physiquement en Ukraine 8 millions de mètres cubes par jour (2,9 milliards par an). Le PDG de GTSOU, Sergiy Makogon, s’est félicité : “Pour la première fois depuis 2014, l’Ukraine a augmenté sa capacité d’importation de gaz ferme depuis l’Europe. Il est important qu’un nouveau contrat soit signé avec la Hongrie, depuis laquelle l’Ukraine a transporté 90 % de tout le gaz d’importation cette année par inversion virtuelle. Cela démontre la demande du marché pour la route de transport de gaz HU-UA et les avantages pour les deux pays. ».

      En atténuant l’impact de la limitation des approvisionnement russes aux européens, ces nouveaux contrats renforcent la position de l’Ukraine, qui devra remplir ses stocks dès le printemps pour faire face aux besoins de l’hiver prochain. Pour les citoyens ukrainiens l’année à venir s’annonce longue, mais pour l’industrie gazière elle va défiler à toute vitesse. Si cette première phase de l’accord entre Ukraine et Hongrie est un succès, ce qui est probable, les gestionnaires des deux pays pourraient mettre en place ces flux inversés physiques sur une base permanente avec possiblement encore plus de capacités engagées. L’ouverture de la voie hongroise contribue non seulement à la diversification des routes d’approvisionnement de l’Ukraine mais également à la diversification de ses fournisseurs en offrant un accès au terminal de gaz naturel liquide (GNL) de l’île de Krk en Croatie. Le GNL, transportable par bateaux méthaniers, permet à des fournisseurs du monde entier comme les Etats-Unis ou le Qatar d’atteindre les marchés européens. Le terminal croate a une capacité de 2,6 milliards de mètres cubes par an.

      Aux 27 millions de mètres cubes par jour convenus en 2014, GTSOU et le gestionnaire de réseau de transport gazier slovaque, Eustream, ont décidé d’ajouter temporairement, du 4 février jusqu’au 31 mars 2022, 15 millions de mètres cubes par jour de capacité ferme de transit. Ainsi, le volume total garanti pouvant transiter physiquement du 4 février au 31 mars 2022 de la Slovaquie vers l’Ukraine s’élève à 42 millions de mètres cubes par jour, soit une augmentation de 56 %. Le PDG de GTSOU, Sergiy Makogon, a remercié le président Ukrainien Volodymyr Zelensky et le Premier ministre Denys Shmyhal pour leur implication personnelle lors des négociations avec la partie slovaque.

      Par rapport à la situation en place depuis 2014 où l’Ukraine ne pouvait importer que 27 millions de mètres cubes par jour, l’Ukraine a ainsi augmenté sa capacité ferme d’importation depuis l’UE de 85.19 % pour la période février-mars 2022. Après mars 2022 et dans le contexte actuel, il reste à savoir si Eustream et GTSOU maintiendront la même capacité ferme de flux inversés physiques. L’accord avec FGSZ seul représente pour l’Ukraine une augmentation de 30% de sa capacité ferme d’importation depuis l’UE.

      La coopération de l’Ukraine avec la Pologne
      Vu d’Ukraine, la Pologne apparaît comme un partenaire doté d’un important potentiel. En effet, les gestionnaires de réseaux de transport polonais et danois, GAZ-SYSTEM et Energinet, font construire côté un gazoduc d’une capacité de 10 MMC, le Baltic Pipe, qui doit relier la Norvège et la Pologne en passant par le Danemark d’ici 2023. Les capacités du Baltic Pipe s’ajouteront aux 5 MMC du terminal GNL de Świnoujście qui doit atteindre 8,3 MMC en 2023. Ces chantiers précèdent la potentielle construction d’un terminal GNL de 4,5 MMC à Gdansk pour 2025.

      Toutefois, il subsiste des obstacles conséquents pour que l’Ukraine puisse pleinement bénéficier des infrastructures de diversification polonaises. Premièrement, il semblerait pour l’heure, difficile de mettre en place des capacités fermes de flux physique inversé entre la Pologne et l’Ukraine car il y a des stockages de gaz stratégiquement très important au sud-est du territoire polonais. Le maintien d’un certain niveau de remplissage de ces stockages ne laisserait aucune capacité ferme disponible pour les acteurs côté ukrainiens, qui doivent se contenter des capacités interruptibles.

      Avant la question de la nature des capacités offertes, la question des possibilités techniques de transporter physiquement du gaz depuis la Pologne vers l’Ukraine est déjà problématique. Actuellement, le gestionnaire polonais GAZ-SYSTEM ne peut envoyer au maximum qu’1,5 MMC/an vers l’Ukraine depuis l’interconnexion d’Hermanowice. Depuis sept ans déjà, des discussions sont entamées pour agrandir cette interconnexion et permettre à 6 MMC de transiter de Pologne vers l’Ukraine mais le projet peine à progresser faute d’investissements.

      Même si ce souci d’interconnexion venait à se régler, les infrastructures polonaises sont avant tout destinées à assurer la demande gazière polonaise qui doit significativement s’accentuer lors des prochaines années. Ces infrastructures d’importation n’offrent donc qu’une option d’approvisionnement ponctuelle pour l’Ukraine qui pourrait y recourir certes en cas d’urgence mais pas disposer d’un contrat d’approvisionnement de long terme.

      Malgré ces difficultés, des coopérations transfrontalières intéressantes sont possibles comme le démontre la collaboration entre l’entreprise étatique qu’est le fournisseur polonais PGNiG, et une entreprise privée ukrainienne, ERU. Le 1 février 2022, le premier a annoncé l’achat d’une cargaison de Gaz naturel liquéfié américain qui, après son arrivée en Pologne fin février, devrait être livrée via la frontière ukrainienne à ERU qui devrait quant à elle réceptionner le combustible jusqu’à la fin du mois de mars, pourvu que les infrastructures ne soient pas endommagées. Ce serait la deuxième fois que du gaz américain serait livré à l’Ukraine grâce à la coopération des deux sociétés. La livraison précédente était arrivée au terminal polonais en novembre 2019.

      « Il s’agit d’une nouvelle livraison de GNL américain en Ukraine effectuée par PGNiG en coopération avec ERU, qui est notre partenaire commercial stratégique sur le marché ukrainien. Les bonnes relations construites au fil des ans sont particulièrement importantes aujourd’hui, en cette période de grandes turbulences sur le marché du gaz en Europe », a déclaré Paweł Majewski, président du conseil de gestion de PGNiG. « Grâce aux investissements dans les infrastructures gazières réalisés en Pologne ces dernières années, nous pouvons renforcer la sécurité énergétique de la région en assurant à nos clients l’accès à des sources diversifiées de gaz naturel et la possibilité de choisir la meilleure offre sur le marché », a-t-il poursuivi. Dale Perry, dirigeant d’ERU, estime quant à lui que la responsabilité de la diversification des approvisionnements ukrainiens n’incombe pas qu’à l’Etat mais qu’elle relève aussi des entreprises privées.

      L’apport de ce partenariat pour la sécurité énergétique a même pris une dimension régionale en octobre 2021, lorsque les deux entreprises ont permis d’effectuer la toute première fourniture de gaz non russe à la Moldavie alors que ce pays subissait une réduction des fournitures gazières de Gazprom.

      Une future option grecque pour l’Ukraine
      Le développement dynamique du secteur GNL dans la région se confirme avec la décision finale d’investissement concernant le développement d’un terminal à Alexandroupolis en Grèce, prise le 27 janvier 2022 par les actionnaires de la société grecque Gastrade. Le terminal, d’une capacité de 5,5 MMC par an, devrait être opérationnel d’ici la fin de l’année 2023. A terme, le GNL provenant de Grèce pourrait atteindre l’Ukraine via l’interconnexion gazière Grèce-Bulgarie actuellement en construction puis le Trans-Balkan pipeline qui traverse la Roumanie et la Moldavie. Historiquement le Trans-Balkan pipeline servait à faire transiter le gaz russe depuis l’Ukraine vers les Balkans. Le lancement du Turkish Stream par Gazprom pour atteindre les Balkans via la Mer noire sans passer par l’Ukraine a vidé le Trans-Balkan pipeline… qui est désormais disponible pour alimenter l’Ukraine en flux physique inversé. Certes Kiev a perdu des revenus de transit, mais au moins les caractéristiques techniques du tuyau permettent de l’utiliser en sens inverse, pour fournir l’Ukraine en gaz provenant de fournisseurs internationaux via les Balkans. L’Ukraine n’est donc pas tout-à- fait perdante en termes de sécurité énergétique.

      Des opportunités offertes par les normes européennes
      Le 9 février, le groupe de coordination pour la sécurité de l’approvisionnement en gaz de la Communauté de l’énergie s’est réuni et s’est félicité des progrès ukrainiens pour s’approvisionner en gaz depuis l’Union Européenne. Le directeur de la Communauté de l’énergie Artur Lorkowski a déclaré “La mise en place d’un cadre juridique et réglementaire solide est le meilleur instrument pour renforcer la sécurité énergétique. Le cas de l’Ukraine montre comment l’adoption de la législation de la Communauté de l’énergie apporte des avantages concrets aux consommateurs et à l’industrie.”. Ce que le PDG de GTSOU, Sergiy Makagon, a approuvé en saluant l’étroite collaboration du Secrétariat de la Communauté de l’énergie avec les autorités ukrainiennes.

      De tels échanges entre l’Ukraine et ses voisins européens sont effectivement rendus possibles par la récente adoption des normes européennes par le secteur gazier ukrainien. En créant un gestionnaire de réseau de transport indépendant, GTSOU, l’Ukraine s’est dotée depuis le 1er Janvier 2020 d’une entité capable d’offrir des produits commercialement intéressants.

      En intégrant son réseau à celui de ses voisins européens, l’Ukraine sécurise ses approvisionnements mais permet également à l’Europe centrale et orientale de développer une architecture résiliente pour son approvisionnement gazier. Les capacités ukrainiennes, notamment de stockage, permettront de faire transiter selon un axe nord-sud le GNL des terminaux de la Baltique, de l’Adriatique et grecques. Avec 31 MMC de capacités de stockage, l’Ukraine détient les troisièmes capacités les importantes du monde derrière les Etats-Unis et la Russie. Sur ces 31 MMC, 10 MMC se situent aux frontières de l’UE favorisant les synergies potentielles. Ces capacités de stockage ukrainiennes permettraient d’accumuler du GNL bon marché en été pour l’écouler lors des périodes de forte demande hivernales atténuant ainsi les coûts pour les consommateurs européens.

      Les coopérations avec la Hongrie et la Slovaquie offrent à l’Ukraine un accès garanti au marché mondial. La Slovaquie est un partenaire d’autant plus important que cette voie permettra également à l’Ukraine d’importer du GNL depuis la Pologne puisqu’un interconnecteur Pologne-Slovaquie doit être opérationnel en 2022. Mais si les contrats acquis par le gestionnaire du réseau de gazoducs ukrainiens sont des étapes importantes pour le renforcement de la sécurité énergétique du pays, cela n’est pas suffisant dans un contexte de marché gazier très tendu, où la Russie envoie aux européens le minimum de volume possible et où les fournisseurs internationaux alternatifs proposent une offre limitée. Ces initiatives seront d’autant moins suffisantes si Vladimir Poutine décide d’utiliser pleinement le gaz comme une arme dans sa nouvelle guerre, et va jusqu’à rompre l’approvisionnement.

      Sami Ramdani
      GÉOGRAPHE, DOCTORANT PARIS-8 VINCENNES, L’INSTITUT FRANÇAIS DE GÉOPOLITIQUE