• Les pratiques d’un hôpital psychiatrique de Lens dénoncées

    Le contrôleur général des lieux de privation de liberté relève des conditions indignes et le non-respect de la loi sur les mesures de contention et d’isolement.

    L’autorité administrative chargée de contrôler les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté dénonce de nombreux dysfonctionnements au sein d’un hôpital psychiatrique de Lens (Pas-de-Calais), le centre de santé mentale Jean-Baptiste-Pussin. Le constat dressé, dans un rapport publié le 1er mars, par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, à la suite d’une visite du 10 au 14 janvier dans l’établissement, est sans appel : « Les patients, y compris en soins libres, sont cloîtrés, souffrent de conditions d’hospitalisation médiocres, de placements à l’isolement indignes et évoquent leur insécurité. Leurs droits, aussi peu connus des patients que du personnel, sont d’autant plus rarement mis en œuvre que les juges ne se déplacent pas dans l’établissement et s’accommodent des absences répétées des patients à leurs audiences. » Déjà en 2016 et en 2019 des rapports administratifs avaient souligné des dysfonctionnements.

    Restriction d’accès aux espaces extérieurs même pour les patients en soins libres, chauffage mal réparti à tel point que certains patients déclarent dormir en bonnet… Les problèmes sont nombreux. Si les personnes hospitalisées ne peuvent prendre l’air qu’entre 13 h 30 et 16 h 30, les chambres où ils doivent séjourner le reste du temps ne permettent paradoxalement pas la garantie de leur sécurité et de leur intimité, faute de système de verrouillage. De la même façon, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté décrit des chambres d’isolement indignes sans horloge permettant de se repérer dans le temps ni dispositif d’appel à l’aide pour les patients.

    « C’est l’improvisation »

    Outre ces conditions de prise en charge, c’est surtout le non-respect du cadre juridique des mesures d’isolement et de contention qui est dénoncé. Désignées par la loi comme étant des « pratiques de dernier recours » réservées aux personnes en hospitalisation sans consentement, ces mesures font pourtant l’objet d’une application généralisée en dépit du statut, de l’âge du patient, y compris mineur, et, pire encore, des décisions et contrôles effectués par les médecins en la matière. Est ainsi évoqué l’exemple d’une personne replacée à l’isolement une heure seulement après avoir bénéficié de la levée médicale de cette mesure…

    Certains professionnels de l’établissement, désemparés, reconnaissent que la direction ne recherche guère de solution à cette restriction de liberté illégale sur de nombreux aspects. « On nous a dit parfois que ça n’était pas légal, mais on ne nous dit pas quoi faire d’autre », résume un salarié.

    Les patients ne reçoivent pas toujours les décisions les concernant

    Les soins sans consentement sont pourtant soumis à un cadre procédural strict et doivent systématiquement faire l’objet d’un contrôle par un juge. « Là encore, c’est l’improvisation », déplorent certains. Les patients ne reçoivent pas toujours les décisions les concernant. L’audience se tient hors des murs du centre, compliquant la préparation du dossier pour les professionnels de justice. Résultat, 37 % seulement des patients sont présentés au juge des libertés et de la détention chargé de juger leur maintien en hospitalisation sans consentement. Le manque d’effectivité de ces décisions de justice et le risque d’enfermement arbitraire sont également signalés par le rapport. Une décision de la cour d’appel de Douai du 19 juillet 2021 ordonnant la mainlevée d’une hospitalisation sous contrainte n’a ainsi été exécutée que vingt-trois jours après sa notification.

    S’il regrette l’existence des manquements, le ministère de la justice, destinataire du rapport, tient à rappeler que l’absence des patients à l’audience devant le juge des libertés et de la détention est multifactorielle (refus du patient, possibilité de se faire représenter par un avocat, contre-indications médicales) et que les contraintes liées au ressort du tribunal de Béthune, comptant de nombreux centres psychiatriques, justifient que le juge ne se déplace pas au sein de l’établissement. Le garde des sceaux invite toutefois les chefs de cours à effectuer un rappel des dispositions légales et à procéder à un contrôle rigoureux des établissements placés sur leur territoire.

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/03/01/un-hopital-psychiatrique-de-lens-denonce-pour-ses-pratiques_6115656_3224.htm

    edit Recommandations en urgence relatives au centre de santé mentale Jean-Baptiste Pussin à Lens (Pas-de-Calais), #CGPL
    https://www.cglpl.fr/2022/recommandations-en-urgence-relatives-au-centre-de-sante-mentale-jean-baptiste-

    #psychiatrie #hôpital #contention

    • « On est le triste reflet de l’effondrement de la psychiatrie » : dans les Flandres, un établissement de santé mentale en voie de « démantèlement »

      L’enterrement symbolique de la psychiatrie publique française est en marche. Les croix en bois plantées dans le sol de l’entrée de l’établissement public de santé mentale (EPSM) des Flandres, à Bailleul (Nord), illustrent depuis quelques mois le combat d’une partie des 1 200 agents hospitaliers contre le transfert annoncé de 70 lits de psychiatrie vers l’EPSM d’Armentières, à 15 kilomètres de là. « Bailleul va être amputée d’une partie de son histoire faute de psychiatres et d’internes en nombre suffisant, dénonce Nicolas Lefebvre, président du conseil de surveillance depuis 2015, et adjoint au maire de Bailleul. On est le triste reflet de l’effondrement de la psychiatrie publique en France. »
      Dans le Nord, comme partout en France, de Caen au Puy-en-Velay en passant par Allonnes (Sarthe), la pénurie de psychiatres est devenue telle que des établissements de santé sont contraints de fermer des lits ou de fusionner pour assurer un minimum de garanties de soins aux patients. « Même à Paris, à Sainte-Anne, ils ont du mal à recruter, explique le docteur Christian Müller, président de la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement (CME) des centres hospitaliers spécialisés (CHS) en psychiatrie. La situation est particulièrement préoccupante et ce qu’il se passe à Bailleul est emblématique de la psychiatrie nationale. »

      Recrutements quasi impossibles

      A Bailleul, aux pieds des monts des Flandres, celui que les habitants appellent encore parfois « l’asile » est une institution sur le territoire. Une ville dans la ville qui a compté jusqu’à 2 000 patients. Depuis cent soixante ans, un immense parc et une partie de la trentaine de pavillons étalés sur 35 hectares accueillent les malades. Au fil des années, la situation n’a cessé de se dégrader dans ce centre hospitalier spécialisé qui assure les soins en santé mentale des habitants de la Flandre intérieure et du littoral. « Le fond du problème, c’est que nous n’avons pas de médecins et que l’on n’arrive pas à recruter », résume Valérie Bénéat-Marlier, la directrice générale des EPSM Lille-Métropole et des Flandres.

      Problème de démographie médicale, le nombre annuel de psychiatres formés a été divisé par cinq au milieu des années 1980. La crise est sans précédent, avec près de 30 % des postes de praticiens vacants en France. « A Bordeaux, par exemple, il y a une nette tendance à la demande de prolongation d’activité des plus de 65 ans pour pallier ce manque », explique Christian Müller.

      Parallèlement, la psychiatrie ne séduit plus les étudiants en médecine. Comme à Bailleul, de nombreux postes d’internes ne sont pas pourvus en France. « C’est une des spécialités les moins choisies, regrette le docteur Eric Salomé, président de la CME de l’EPSM des Flandres. Il y a un problème d’attractivité. Et pourtant, on essaie de changer la représentation du métier auprès des jeunes. » Le niveau de salaires et la détérioration des conditions de travail dans des équipes de plus en plus exsangues n’aident pas à susciter des vocations.

      « Chez nous, la baisse du nombre d’internes a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, témoigne le docteur Eric Salomé. Quand on est moins nombreux dans un service, il y a un effet boule de neige, avec un nombre de gardes qui augmente et une charge de travail qui s’accroît. » Chaque jour, ce pédopsychiatre de 61 ans reçoit deux ou trois annonces pour lui proposer de travailler moins pour un salaire plus conséquent, parfois sans aucune garde. Des propositions issues du privé mais aussi d’établissements publics. « La concurrence est désormais sur les conditions de travail et sur les finances, dit-il. Moi, je reste à l’EPSM des Flandres, car je travaille avec des équipes qui me donnent envie, parce que mon travail est plus intéressant ici qu’ailleurs et que les projets sont passionnants. »

      Fermeture d’une ligne de garde

      Mais d’autres ont préféré partir. En février, la direction de l’EPSM des Flandres a été contrainte de fermer une ligne de garde. « Notre vocation est d’assurer des soins de qualité, mais ce grave déficit médical nous oblige à modifier notre organisation », explique Valérie Bénéat-Marlier. En quelques mois, la direction a dû faire face à l’annonce du départ de trois de ses six praticiens hospitaliers. « Au 1er janvier 2022, je n’aurai plus que trois psychiatres pour deux secteurs, et encore, il y en a une qui partira en congé maternité », précise la directrice, qui a même fait appel à un chasseur de têtes pour recruter.

      Dès son arrivée, en 2017, Valérie Bénéat-Marlier a pris d’importantes décisions pour faire face au déficit de près d’un million d’euros. « Désormais, on a les moyens de recruter correctement, dit-elle. On a une situation budgétaire saine, des projets innovants, mais sauf à vouloir tuer le service public psychiatrique, il faut corriger les écarts de rémunération entre public et privé. » La directrice, comme les syndicats, réclame aussi une répartition plus juste des internes, car depuis la réforme du troisième cycle de 2017, la majorité d’entre eux sont affectés au CHU de Lille. L’Agence régionale de santé des Hauts-de-France, à Lille, reconnaît que « la baisse du nombre d’internes dans cet établissement peut s’expliquer par une modification des maquettes d’internat intervenue en 2017, avec pour conséquence d’augmenter le nombre de stages au profit des CHU. »

      En attendant, c’est devant les locaux lillois de l’ARS que syndicats (CFTC, CGT, FO, SUD, UNSA) et élus locaux manifesteront le 16 septembre pour dire « non au démantèlement de l’EPSM de Bailleul et à la relocalisation de 70 lits de psychiatrie adulte sur le site de l’EPSM d’Armentières ». « Cette délocalisation aura des impacts catastrophiques pour les patients de la Flandre intérieure, estime Laëtitia Declercq (CGT), au nom de l’intersyndicale. Ils seront pris en charge loin de leur domicile, ce qui est à l’opposé de la politique de secteur. »

      Dans un contexte sanitaire qui a durement mis à l’épreuve la santé mentale des Français, Emmanuel Macron avait annoncé en janvier la tenue d’Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. La restitution de la consultation nationale ouverte en ligne depuis mai est prévue fin septembre. « Avec les Assises, il y aura sûrement des effets d’annonce, mais on a besoin d’une loi-cadre, de quelque chose d’ambitieux », insiste le président de la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement (CME) des centres hospitaliers spécialisés (CHS) en psychiatrie.

      Depuis sa rencontre avec le ministre de la santé, le 14 juin, pendant laquelle le praticien lillois a détaillé l’épuisement des équipes médicales en psychiatrie, la situation n’a cessé de se dégrader. « La question de l’#accès_aux_soins n’est plus une réalité en France, estime Christian Müller. _Dès 2018, nous avions alerté le ministère pour dire que la psychiatrie était en état d’urgence républicaine. C’est une catastrophe annoncée. »

      https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/13/l-etablissement-de-sante-mentale-de-bailleul-symbole-de-la-deliquescence-de-

      « Il faut donner à la psychiatrie les moyens ambulatoires et hospitaliers qui lui ont été soustraits lors de la fermeture de 70 000 lits »- Collectif inter-hôpitaux (CIH) https://seenthis.net/messages/905177