Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Blog Stéphane Bortzmeyer : Quelles conséquences si les câbles avec les USA étaient coupés ?
    https://www.bortzmeyer.org/coupure-avec-les-usa.html

    par Stéphane Bortzmeyer

    Une vidéo au titre sensationnaliste, « La Russie peut-elle couper le réseau internet en France et en Europe en s’attaquant aux câbles sous-marins ? » a été publiée par France Info hier. Ce titre montre une incompréhension sérieuse de ce qu’est l’Internet. Couper les câbles est une chose. Couper l’Internet une autre. Ce n’est pas parce qu’on ne peut plus communiquer avec les USA qu’on n’a plus d’Internet. Quelques explications.

    Cette vidéo fait partie des classiques productions médiatiques qui jouent sur la peur « La menace est observée par Orange France et jugée "crédible" par la Marine Nationale ». (Un autre exemple, quoique un peu moins sensationnaliste est dans un article de The Conversation.) Mais elle est erronée à plusieurs niveaux.

    Certaines personnes ont surtout fait porter leur critique de cette vidéo en mettant l’accent sur la possibilité d’un re-routage des communications par d’autres endroits (via l’Asie et le Pacifique, par exemple ou alors par des liaisons satellite). Certes, les protocoles de routage, comme BGP, sont conçus pour cela (c’est la jolie histoire de l’Internet conçu pour résister à une guerre nucléaire). Mais il n’est pas sûr que la capacité disponible soit suffisante (pour les satellites, il est sûr qu’elle ne l’est pas). Je vais donc supposer, pour le reste de la discussion, qu’il n’y a pas d’alternative disponible : les États-Unis sont injoignables.

    Quelles seraient les conséquences ? FranceInfo dit sans hésiter que ce serait une coupure de l’Internet. Mais ils confondent le point de vue de M. Toutlemonde chez lui qui, quand sa fibre est coupée, est effectivement déconnecté de l’Internet, avec la situation d’un pays ou a fortiori d’un continent comme l’Europe. Pour un pays ou un continent, l’Internet n’est pas un service auquel on se connecte. C’est une interconnexion de réseaux qui ont du trafic externe mais aussi du trafic interne. Une grande partie des flux de données en Europe reste en Europe et ne serait pas affectée par une coupure d’avec les États-Unis. L’Europe est en effet largement autonome.

    Bon, ça, c’était Google, une entreprise sérieuse et qui sait ce qu’elle fait. Mais un certain nombre de services disponibles via l’Internet ne sont pas gérés par des entreprises sérieuses. Entrainés entre autres par le terme marketing de serverless, des services dépendent de services extérieurs et ne font pas forcément attention à ces dépendances, qu’ils découvrent seulement lors des pannes. Donc, en cas de coupure de la liaison transatlantique, il est certain qu’il y aura un certain nombre de services supposés européens qui, en raison d’une dépendance mal analysée vis-à-vis de quelque chose hébergé chez une région étatsunienne d’AWS auront des problèmes. En théorie, les services sérieux ont des plans pour résister aux problèmes (les PCA) et d’autres pour se redresser en cas de panne (les PRA). Mais ces plans sont souvent purement théoriques et n’ont jamais été testés. Donc, oui, là, une coupure des câbles transatlantiques aura des conséquences en cascade pour certains, les moins préparés.

    Cette discussion sur les services ne portait que sur les services à administration centralisée, les plus vulnérables. Les services pair-à-pair sont évidemment plus robustes mais, en pratique, ils sont peu nombreux, en partie en raison de la lutte menée contre eux par les ayant-droits et les États, au détriment de la robustesse (comme on l’a vu pendant le confinement de 2020).

    Voilà, nous avons vu que la vidéo de FranceInfo était très décalée par rapport à la réalité. Toutefois, le risque d’une action contre les câbles sous-marins peut être une bonne occasion de réfléchir aux dépendances plus ou moins visibles de nos outils numériques et à travailler à s’en affranchir, et éventuellement à changer nos usages (nul besoin d’un moteur de recherche pour aller sur le site Web de son employeur, comme le font tant de gens). La dépendance n’est pas une fatalité ou une loi physique, elle dépend de choix, qu’on peut changer.