• Sur les #plages d’#Oran, un « mur de la honte » pour endiguer l’exil

    Dans cette ville de l’Ouest algérien, les autorités ont choisi d’ériger un mur à certains points des plages pour contrer les départs de migrants par la mer. Habitants et collectifs citoyens dénoncent son « inefficacité » et un « désastre écologique ».

    9 heures du matin, à #Aïn_El-Turk. La petite plage de #Trouville, située sur la corniche oranaise, se réveille ce lundi 7 mars aux sons des marteaux-piqueurs et des cris des ouvriers, qui s’attellent à construire le mur que les autorités ont décidé d’ériger pour lutter contre l’émigration par la mer en Algérie (harraga ou harga en arabe). Un mur de béton percé de fenêtres que beaucoup ont vite qualifié de « mur de la honte », défigurant certaines parties du #littoral et bouchant l’accès aux plages des riverains, excédés par le projet.

    « C’est n’importe quoi… Je suis un enfant de la mer et je n’ai jamais vu ça de ma vie, râle Miloud, un habitant des alentours, la trentaine, en chargeant l’arrière de son camion de vieux matelas. Ils n’ont qu’à nous enfermer dans une cage, tant qu’ils y sont ! On prend encore de l’argent pour le dépenser inutilement, alors que des gens ont du mal à se nourrir. » Indigné, le pêcheur affirme voir régulièrement les migrants partir par la mer. « Les gens veulent partir et ce n’est pas un mur qui va les en empêcher. La mafia des passeurs est très bien organisée, ce n’est pas ça qui va l’arrêter de travailler. »

    À ses côtés, une voisine, teinture blonde et khôl aux yeux, djellaba sur le dos, confie ne rien comprendre à la situation. « Ils vont complètement nous boucher la vue. D’habitude, j’aime m’asseoir là-bas pour regarder la mer », dit-elle en pointant du doigt le bord de route situé à quelques mètres de chez elle. En s’approchant, on y découvre des escaliers et une partie de la chaussée tombés en ruine. Une image immortalisée par de nombreux détracteurs du projet, et qui a laissé certains d’entre eux penser, photos à l’appui postées sur les réseaux sociaux, que le mur à peine construit s’était effondré.

    Derrière le mur, le mal-être des candidats au départ ignoré

    « En réalité, ils ne l’avaient pas encore monté à cet endroit. Ils avaient creusé l’espace pour faire construire le mur et n’avaient pas anticipé la pluie. Les escaliers situés derrière se sont effondrés dans la nuit car l’eau s’est infiltrée », explique Larbi, membre du comité de quartier à l’origine de plusieurs rassemblements pour protester contre la construction du mur. Avec Karim, son voisin et ami, ils font le tour du littoral pour constater les « dégâts ».

    Un peu plus loin, sous le regard attentif d’une caméra de vidéosurveillance installée il y a peu, tous deux pestent contre l’extension du mur, qui s’apprête à fermer totalement l’accès aux riverains. « La conséquence, c’est que des jeunes ont trouvé ce recoin à squatter le soir alors qu’avant, c’était un endroit tranquille », regrette Karim, qui vit ici depuis quarante ans. Ses filles, âgées de 10 et 12 ans, se disent contre le mur également : « Ça ne veut pas rentrer dans leur tête. »

    Deux jours plus tôt, samedi 5 mars, une réunion était organisée avec des représentants de la wilaya d’Oran (équivalent de la préfecture en France) et cinq associations agissant en défense de l’environnement, durant laquelle les opposants au projet ont explicité les raisons de leur désaccord. Un « désastre écologique » pour les uns, une « honte pour la ville d’Oran » pour les autres. « Cela ne concerne pas que les Oranais, mais tous les Algériens. On ne les laissera pas faire », martèlent plusieurs membres du comité de quartier.

    « Aucune étude n’a été réalisée pour faire cela, enchaîne Karim. On a proposé d’autres solutions à la wilaya, comme l’installation de plots de stationnement ou de petits obstacles dans les escaliers menant aux plages, qui peuvent aussi empêcher les réseaux de passeurs d’acheminer leur matériel. »

    Le projet, dont le coût s’élèverait à 150 milliards de centimes (soit environ 7 millions d’euros) pour toute la côte oranaise, a été validé par la wilaya d’Oran. À Trouville, tout près du mur en construction, la résidence secondaire du wali apparaît. « C’était son idée. Il l’a défendue en disant qu’il était lui aussi un enfant de la mer. Mais il ne vient pas très souvent », tacle Larbi. « Il a du béton dans la tête », ironise un passant qui s’invite au débat.

    Face à la mobilisation, le comité de quartier affirme avoir réussi à décrocher une réduction de la hauteur du mur, passant de quatre à un mètre, avec un supplément « grillages ». Le mur devient un muret, symboliquement plus acceptable dans l’inconscient collectif. Après Bomo plage et Trouville, celui-ci doit s’étendre jusqu’aux Andalouses, la plage la plus prisée des touristes immigré·es en été, en passant par d’autres plages du littoral, devenues les principaux points de départ des réseaux de passeurs. En 2021, les traversées de l’Algérie vers l’Espagne ont fortement augmenté et plusieurs naufrages meurtriers ont été recensés.

    La situation est devenue inacceptable et cela ne nous honore pas (Saïd Sayoud, wali d’Oran)

    Après un long silence, le wali d’Oran, Saïd Sayoud, a finalement réagi dans une déclaration publique dimanche 13 mars et a présenté ces pans de mur comme une « solution temporaire ». « Nous n’avons pas construit n’importe quel mur, nous avons construit des obstacles qui mènent à certains endroits en mer qui sont utilisés pour l’émigration clandestine. Et cette décision n’a pas été prise par le wali individuellement mais par la commission de sécurité, au nom de l’intérêt général », a-t-il déclaré.

    Et d’ajouter, tout en vantant l’installation de caméras de vidéosurveillance : « La situation est devenue inacceptable et cela ne nous honore pas en tant que responsables. Nous sommes à la première page des médias et nous devons donc nous unir pour mettre fin à ce phénomène. Tout le monde peut être témoin que nous avons réussi à contrôler l’émigration clandestine au niveau de la wilaya d’Oran. Celle-ci a chuté de 70 % au cours des derniers mois. »

    Larbi, lui aussi pêcheur, souligne qu’il ne s’agit en aucun cas pour le collectif de soutenir le phénomène de harraga ou les réseaux de passeurs. « Vous croyez qu’on est insensibles à ce sujet ? Qu’on n’a pas eu de morts dans notre entourage ? On n’est pas pour la harga, mais ces méthodes ne nous conviennent pas. Ce n’est pas un mur qui va stopper les traversées par la mer. »

    Les autorités ne se demandent pas comment donner aux gens envie de rester ? (Une habitante de Trouville)

    Nombre de riverains et riveraines interrogé·es pointent « l’hypocrisie » d’un projet déjà jugé « inefficace », et qui va surtout gêner la population locale avant de mettre en difficulté les passeurs. « Pourquoi ne pas s’attaquer à la source du problème ? Les autorités ne se demandent pas pourquoi les gens veulent partir et comment leur donner envie de rester ? », interroge une habitante du coin.

    Pour un autre riverain, rencontré devant le mur érigé face à un hôtel avec vue sur mer, le mur n’est que « camouflage ». « Ils ont laissé le phénomène de harraga s’amplifier sur les dernières décennies et maintenant ils construisent un mur. C’est trop tard, il fallait se réveiller avant », dénonce le quinquagénaire, pour qui le mur ne va qu’encourager le business très lucratif des réseaux de passeurs, qui pourront agir plus discrètement, selon lui, derrière la façade de béton.

    Un avis partagé par Larbi, du comité de quartier : « Avec ces murs, ils vont faire le taxi, en faisant des allers-retours pour récupérer et déposer les gens, sans même descendre de leur bateau. » « Je vois les bateaux servant aux passeurs presque tous les jours à la plage, abonde Salim*, un habitant du littoral. Quand la mer est calme, ils mouillent au large. Quand il y a du vent, ils vont se réfugier au cap Falcon. Tout le monde sait comment ils fonctionnent mais ils ne sont jamais inquiétés. »

    Et le pêcheur, vivant sur l’une des plages de la corniche oranaise, ajoute : « Je vois aussi les frégates de la marine et les hélicoptères de la gendarmerie faire des rondes en plein jour, pour soi-disant surveiller la côte, alors que les départs se font de nuit. S’ils voulaient vraiment lutter contre la harraga, ils le pourraient autrement qu’avec un mur. »

    https://www.mediapart.fr/journal/international/150322/sur-les-plages-d-oran-un-mur-de-la-honte-pour-endiguer-l-exil
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