François Isabel

Ni dieu, ni maître, nirvana

  • Le nombre de soldats russes morts, entre énigme et enjeu politique - rts.ch - Monde
    https://www.rts.ch/info/monde/12964175-le-nombre-de-soldats-russes-morts-entre-enigme-et-enjeu-politique.html

    Voilà bientôt un mois jour pour jour que la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine a commencé. Comme dans tout conflit, les informations de terrain sont difficiles à vérifier. Un questionnement hante néanmoins les experts, combien de soldats russes ont déjà péri depuis le début de l’intervention ?

    Dimanche, un média russe proche du pouvoir a créé la stupeur en publiant un article en ligne qui estimait, en s’appuyant sur un briefing du ministère de la Défense, les pertes militaires à près de 10’000 soldats, après trois semaines de combats. Une demi-heure plus tard, le chiffre avait été retiré au prétexte qu’il s’agissait d’un piratage du site.

    A Washington, les experts du Pentagone ont aussi fourni leur estimation et d’après eux, ce sont déjà 7000 militaires russes qui auraient perdu la vie en Ukraine. Enfin, et sans grande surprise, on trouve les plus grandes différences entre les rapports officiels ukrainiens et russes. Les premiers évoquent 15’000 décès alors que les seconds, qui n’ont plus été publiés depuis le 2 mars, parlent d’un peu moins de 500 morts.

    Pour l’instant, impossible bien sûr de savoir avec certitude qui dit vrai, mais tous les indices montrent que la durée de l’intervention et le nombre de décès est supérieur à ce à quoi s’attendait le Kremlin.

    « Le nombre de morts matérialise la réalité de la guerre »

    En Russie, les chiffres ne sont donc plus divulgués depuis le début du mois de mars. Invité de Forum mercredi, Jean-François Fayet estime cette discrétion logique, car les chiffres les plus probables feraient bien comprendre au peuple que la Russie est véritablement en guerre.

    « Avec la durée et également les morts qui s’accumulent, même si tout est fait pour que le terme de guerre ne soit pas utilisé, les chiffres évoqués se rapprochent de ceux des guerres de Tchétchénie. Le nombre de morts matérialise d’une certaine façon la réalité de la guerre », explique-t-il.

    Mais pour le professeur d’Histoire à l’Université de Fribourg, il ne s’agit toutefois pas ici que d’une question de nombre. La Russie s’est en effet montrée capable par le passé de sacrifices considérables en vies humaines dans des conflits. Mais la pertinence de ces dits conflits, de ces guerres, est capitale pour savoir ce à quoi on est prêts. « S’il s’agit de morts dans une guerre justifiée et victorieuse, c’est une chose. Si, au contraire, ces morts sont liées à une guerre qui n’est pas convaincante dans ses objectifs et qui en plus se traduit par une défaite et un recul pour la Russie, la signification est différente », détaille-t-il.
    Une mobilisation beaucoup plus difficile

    Alors que Moscou semblait espérer une guerre éclair, le pays se retrouve encore près de trente jours plus tard aux portes des grandes villes d’Ukraine. S’il est bien entendu trop tôt pour une comparaison militaire, certains espèrent qu’à terme la campagne d’Ukraine devienne un nouvel Afghanistan pour la Russie.

    A l’époque, l’armée rouge avait finalement dû se retirer après 10 ans de guerre. Si ce retrait s’explique par de nombreuses composantes, l’une d’entre elles avait été la réaction des mères de soldats russes qui, à travers un comité, avaient fait pression sur les autorités pour que la guerre cesse.

    Alors, une telle mobilisation pourrait-elle à nouveau avoir lieu et pousser Vladimir Poutine à freiner ses ambitions ? Pour le spécialiste de la Russie qu’est Jean-François Fayet, certaines dispositions pourraient rendre cette hypothèse crédible à première vue. Mais la situation actuelle en Russie ne porte toutefois pas à l’optimisme.

    « On a appris qu’un certain nombre de soldats n’étaient nullement informés de ce qu’étaient les objectifs militaires, ni même de leur présence sur le territoire ukrainien. Ca peut susciter des interrogations et une sorte de colère. Néanmoins, si l’on fait le parallèle avec l’Afghanistan et la capacité de mobilisation des mères de soldats, c’était à l’époque de la perestroïka (...). Il s’agissait certes l’Union soviétique, mais il y avait l’esquisse d’une société civile et un processus de démocratisation », détaille-t-il.

    Et de conclure : « On est tout à fait dans un contexte inverse. Depuis quelques années et plus encore depuis quelques mois, on assiste à un renforcement de la répression intérieure. Le potentiel et les capacités de mobilisation de la société sont beaucoup plus difficiles que cela n’était le cas, paradoxalement, à l’époque de la guerre d’Afghanistan. »