• Le peuple et la « France périphérique » : la géographie au service d’une version culturaliste et essentialisée des classes populaires | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2014-1-page-233.htm

    À la question : « Où est le peuple ? », certains auteurs ont récemment répondu en le situant dans la « France périphérique ». Christophe Guilluy, co-auteur du Plaidoyer pour une Gauche populaire, interrogé par de nombreux médias après la publication de son ouvrage Fractures Françaises paru en 2010, définit les classes populaires à partir d’une approche sociologique, mais aussi géographique ; les classes populaires correspondraient aux catégories socio-professionnelles « ouvriers et employés » de l’Insee, et résideraient, de plus en plus, dans la « France périphérique », c’est-à-dire dans la France périurbaine et rurale. Cette catégorisation spatiale, selon la typologie de l’auteur, s’oppose aux espaces métropolitains, composés des centres-villes et des banlieues. La définition sociale des classes populaires se double ainsi d’une désignation spatiale, celle de la « France périphérique », qui dépasse la catégorie de « périurbain », par ailleurs très mobilisée et discutée dans le champ de la géographie sociale et électorale (Lévy, 2003 ; Rivière, 2010).

    Le « peuple de la France périphérique » est ainsi devenu un objet de conquête politique pour la Gauche populaire, tandis que la Nouvelle droite y fait également référence de manière explicite. En témoignent les propos de Patrick Buisson lors d’une interview donnée au Figaro, le 13 novembre 2012 : la « France périphérique » chère à Christophe Guilluy – celle des espaces ruraux et périurbains – concentre aujourd’hui 30 % de l’électorat. On y rencontre simultanément les taux de pauvreté les plus élevés et une sous-consommation des prestations sociales, les taux de délinquance les plus faibles et la moins forte densité d’équipements publics. Les véritables territoires de relégation ne se trouvent pas dans les banlieues où vivent les minorités mais dans la Creuse, l’Aude, le Cantal ou l’Ardèche. Cette France-là n’est pas tapageuse. Elle ne revendique pas, elle défile peu. C’est une habituée du hors-champ, une recluse de l’angle mort, invisible sur les écrans radars médiatiques si ce n’est pour jouer, selon la formule de Philippe Muray, le rôle de « plouc-émissaire » (Buisson, 2012).

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    En opposant une « France périphérique » oubliée, où réside ce qui s’apparenterait à un « bon peuple », à la « France métropolitaine », où les « minorités visibles » (Guilluy, op. cit., p. 78) seraient survalorisées et médiatisées, Christophe Guilluy ne contribue-t-il pas à élargir les fractures qu’il prétend dénoncer ? Au nom d’un « retour au peuple », n’assiste t-on pas au renforcement d’une pensée conservatrice et réactionnaire, légitimée par la géographie ?