Lukas Stella

INTOXICATION MENTALE, Représentation, confusion, aliénation et servitude, Éditions L’Harmattan, 2018. — L’INVENTION DE LA CRISE, 
Escroquerie sur un futur en perdition, Éditions L’Harmattan, 2012. — STRATAGÈMES DU CHANGEMENT De l’illusion de l’invraisemblable à l’invention des possibles Éditions Libertaires, 2009. — ABORDAGES INFORMATIQUES (La machine à réduire) Croyances informatisées dans l’ordre des choses marchandes, Éditions du Monde libertaire - Alternative Libertaire, 2002 — http://inventin.lautre.net/linvecris.html

  • DU RACKET POLITIQUE AU CIRQUE ÉLECTORAL

    « Là où il y a des partis politiques, chacun trouve la raison de chaque mal dans le fait que son adversaire occupe sa place à la direction de l’État. Même les politiciens radicaux et révolutionnarismes trouvent la raison du mal non pas dans l’essence de l’État, mais dans une forme déterminée d’État qu’ils veulent remplacer par une autre. […] L’existence de l’État et l’existence de l’esclavage sont inséparables. » Marx, Gloses marginales, 1844

    « Mais la classe ouvrière ne peut pas se conten­ter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonc­tion­ner pour son propre compte. L’instrument poli­tique de son asser­vis­se­ment ne peut ser­vir d’instrument poli­tique de son éman­ci­pa­tion. » Marx, deuxième essai de rédaction de la Guerre civile en France

    Ce texte n’est pas une analyse détaillée des élections législatives, de l’enjeu, des programmes, etc.
    Nous nous foutons bien de ce spectacle concurrentiel qui n’a pour objet que de décider la forme de notre soumission au capital et qui suscite le même intérêt malsain auprès des spectateurs-électeurs que les faits divers scandaleux en temps « normal ».

    Nous nous plaçons d’emblée sur un autre terrain : celui de la révolution. Nous ne cherchons pas à convaincre quiconque de ne pas voter : les mécanismes du Capital qui déterminent la survie contrainte de chacun sont désormais plus forts que la propagande « révolutionnaire ».

    Le moment électoral est un haut moment contre-révolutionnaire, permis par l’absence de mouvement social important, ou par sa retombée comme en juin 68. Dans ce contexte nous ne pouvons que montrer à ceux qui ne votent pas les raisons fondamentales de leur abstention, et aux autres les raisons non moins fondamenta­les de leur participation.

    Nous n’avons pas peur de paraître théorique dans ce long texte. Pas plus que nous ne craindrons, en des circonstances moins contre-révolutionnaires, de balancer de simples petites phrases pratiques à la gueule des démocrates qui accuseront d’autant le coup que le mouvement social qui les nie sera simultanément à l’œuvre.

    OUI NICOLAS, LA COMMUNE EST BIEN MORTE

    1871. La Commune clôt la période pendant laquelle le prolétariat en tant que classe « autonome », (révolutionnaire) peut évoluer dans la sphère de la politique parlementaire.
    Jusque là son faible développement, en rapport avec le faible développement du Capital, le contraint à essayer de concrétiser sa force naissante et ses moments de révolte dans la sphère parlementaire. Inversement, son intervention sur ce terrain est rendue possible par le fait qu’aucune classe n’est suffisamment puissante pour dicter ses exigences sans discussions. Au Parlement se concertent et s’affrontent alternativement, et efficacement, la bourgeoisie commerçante, l’aristocratie foncière, et le prolétariat. C’est l’apogée de la démocratie, réactivée de l’antiquité par l’apparition du mode de production capitaliste, après une longue éclipse féodale.

    Dans ce cadre, le prolétariat obtient de réels succès, comme par exemple la réduction de la journée de travail, par le parti chartiste en Angleterre, ce qui est typique du mode de domination encore formel du Capital sur le travail et la société : lutte au niveau de la plus-value absolue, co-existence des anciens modes de production, procès de travail emprunté à ces modes …

    Avec la Commune, le prolétariat affirme sa force autonome de lutte, qui permet de dicter ses nécessités de classe à la bourgeoisie, qui d’autre part est en train de vaincre sur le plan parlementaire. Dès lors, pour le prolétariat, la seule question politique qui demeure est le contenu de sa dictature, et cette question est politique parce qu’il n’est pas encore une classe socialement dominante. Cela le contraint à rechercher des appuis dans d’autres classes (souvent archaïques) de même qu’à l’occasion la bourgeoisie n’hésite pas à s’allier à son ennemie l’aristocratie. Le prolétariat de la Commune est donc obligé de composer, à l’intérieur de sa dictature, avec les couches populaires inférieures : artisans, petits commerçants. L’instrument prolétarien de cette concertation est la démocratie directe.

    Les mesures prises par la Commune sont typiquement prolétariennes : révocabilité permanente des délégués, rémunérations des fonctionnaires réduites à un salaire d’ouvrier (prolétarisation). Celles qu’elle ne prend pas expriment typiquement la nécessité de composer avec d’autres couches sociales : non-destruction de la Banque de France, clémence relative envers les membres de la bourgeoisie ; de même la Commune laisse pratiquement à l’écart ce levier essentiel de sa dictature que sont les lieux de production.

    CHERCHEZ A QUI LA POLITIQUE PROFITE

    Durant la période 1870-1914, le Capital connaît un important développement. La 3ème République, sa relative stabilité témoignent de ce que le conflit Bourgeoisie Industrielle/Aristocratie Foncière est définitivement réglé, au profit de la première bien sûr. Cependant, malgré le renforcement de la domination du Capital, la question agraire (et artisanale) n’est pas résolue.

    La puissance du mouvement syndical, en particulier de tendance anarcho-syndicaliste, prouve de la même façon que le Capital n’est qu’en mouvement vers sa domination réelle. En d’autres termes, l’existence de modes de production précapitalistes est indéniable et elle est à l’origine de l’opportunisme des partis sociaux-démocrates, qui veulent utiliser les parlements pour s’y allier aux couches populaires afin de négocier avec la bourgeoisie. Négociation illusoire dans une large mesure, puisqu’à présent la bourgeoisie contrôle fortement le pouvoir d’État, mais qui est permise par la relative stabilité du capital dans cette phase d’apogée de sa domination formelle.

    Ni fantoches, ni traîtres, ces partis continuent à négocier l’existence du prolétariat, alors que celui-ci n’a désormais qu’une affirmation à formuler pratiquement : celle de sa dictature. Le racket, qui vit de contre-révolution, est né !
    La guerre de 1914 va remettre en avant les exigences révolutionnaires : En Allemagne la classe ouvrière est homogène, puissante, elle peut exercer sa dictature sans concertation politique avec d’autres couches, en toute pureté. Le mouvement des conseils d’usine concrétise cette situation et signifie potentiellement le contenu de la dictature de classe : mise au travail des improductifs, généralisation de la condition prolétarienne à l’ensemble de la société.

    Cette universalisation du prolétariat est le prélude indispensable à son auto-négation, permettant d’accéder au communisme par le dépérissement de l’État (qui prolétarien, n’a plus grand chose à voir avec l’État bourgeois). Avec l’expérience allemande, la conception de cet État se transforme même beaucoup par rapport à ce qu’en disait Marx dans La Guerre Civile, à propos de la Commune.

    Mais le mouvement doit d’abord détruire l’État bourgeois, et pour cela il doit sortir de l’usine, Or il n’y parvient pas, enregistre sa défaite et se limite peu à peu à la dimension de l’entreprise pour finir par tenir la fonction syndicale. Cette limite est alors glorifié par un courant naissant qui ne conserve du mouvement des conseils que la forme, et non le contenu. (Otto Rühle en particulier). A l’image du Léninisme (forme parti) la révolution devient pour ce courant une question d’organisation (forme conseil).

    Devant les exigences du mouvement révolutionnaire de la période de 1914-1920, les partis sociaux-démocrates vont provoquer le déplacement sur la gauche de toute une frange à phraséologie révolutionnaires : les partis communistes, produits plus immédiats de la révolution russe, qui vont s’aligner sur Moscou dans l’exigence pour celui-ci de développer le Capital, après la défaite à peu près simultanée du prolétariat en Russie et en Allemagne.

    Seuls de rares partis occidentaux, dans les pays où ce dernier s’est manifesté en tant que classe, seront plus ou moins critiques et distants vis-à-vis de « l’Internationale » moscovite : en Allemagne (K.A.P.D.) plus qu’en Italie (gauche communiste). Mais aucun ne rejettera le formalisme partitiste, si ce n’est pour adopter le formalisme conseilliste (Allemagne, Hollande).

    Soyons clairs et nets : les partis sociaux-démocrates n’ont jamais trahi. Leur essence était d’être réformistes (voir le programme de Gotha). Leur existence en période de reprise révolutionnaire a été directement contre-révolutionnaire. Cela est normal, et ils devaient être combattu comme tels !
    Les partis communistes n’ont jamais trahi la révolution : leur nature était calqué sur celle des partis sociaux-démocrates ; leur naissance a traduit la phase révolutionnaire, la nécessité pour les partis formels d’apparaître révolutionnaires en cette phase ; puis leur existence a dû se calquer sur celle de la contre-révolution, revenant ainsi à sa vérité d’origine : le réformisme.

    Ils conservaient pourtant une certaine allure révolutionnaire (le mythe du socialisme en Russie) pour recueillir les restes de velléités révolutionnaires du prolétariat et les détourner/précipiter dans la deuxième guerre impérialiste. Ce fut le rôle du stalinisme, celui, sous une autre forme, du fascisme et du nazisme. Et plus les critiques de gauche parlaient de trahison plus cela redorait le blason terni du stalinisme. Tel fut le rôle contre-révolutionnaire des oppositions notamment trotskystes et bordiguistes (celle-ci devenant même à son tour le faire-valoir du trotskysme jusqu’à en adopter certaines caractéristiques, sur les syndicats en particulier).

    On verra que ce rapport farcesque entre différents rackets politiques se retrouve aujourd’hui, et bien entendu à l’occasion des élections législatives. La farce de la prétendue trahison du P.C.F. est d’autant plus risible que du fait de la faiblesse du mouvement prolétarien en France au début du siècle, ce parti n’a jamais eu à paraître révolutionnaire ; il est né d’une transfusion de sigles opérée par le toubib moscovite. Le parti du social-démocrate Cachin n’a jamais été obligé de faire peur au Capital par un quelconque « hou ! hou ! » communiste.

    AU BOULOT, CAMARADES, PLANTONS LE DÉCOR

    Après avoir inhibé le mouvement révolutionnaire, le Capital est parvenu non sans mal à accéder à sa domination réelle. Il démontre ainsi que fascisme = démocratie, puis précipite le prolétariat dans la barbarie guerrière.
    Au sortir de celle-ci s’entame la période de reconstruction capitaliste dans laquelle les partis staliniens, y compris les crapules scissionnistes d’aujourd’hui : Garaudy, Tillon, maoïstes, joueront un rôle primordial, (« la grève est l’arme des trusts » Thorez).

    Cette période permet de comprendre pleinement ce que signifie CAPITAL VARIABLE : le prolétariat assumant sa fonction pour le Capital par la production de plus-value dont l’extorsion atteint des proportions gigantesques. Grâce à l’introduction massive de capital fixe et de technique, le temps de surtravail domine largement le temps de travail nécessaire. Le prolétaire n’est plus que chair à plus-value, un fonctionnaire du Capital, dans cette période hautement et totalement contre-révolutionnaire.

    Le procès de production conditionne le procès de circulation, et celui-ci s’élargit, englobe de nouvelles couches sociales (développement sans précédent du tertiaire). Les techniciens affluent, les organisateurs aussi. C’est l’ère du manager. Dans ce processus, le capitaliste classique tend à disparaître, et avec lui les anciennes classes moyennes (petits propriétaires agricoles, petits commerçants…).

    La disparition de ces classes est liée à la destruction par le Capital des modes de production pré-capitalistes. Ainsi tend à disparaître la condition essentielle de la politique comme médiation historiquement nécessaire entre les tenants des différents modes de production. Dès lors que le Capital domine seul, aucune alliance de classe n’a plus lieu d’être. Toute politique est alors pure idéologie, racket, et à dénoncer comme telle.

    L’intellectuel classique se dévalue, l’idéologie dominante devient l’idéologie de la marchandise. Bref, le Capital domine tout, il transforme la vie des hommes en sorte que toute activité sociale soit son propre procès. Toutes les classes participent à son mode de production. Chaque homme ou presque, chaque « catégorie » sociale ou presque, bosse, assume une fonction pour le Capital qui, en retour, lui assure la survie (salariat).

    Le Capital n’a plus besoin de béquilles pour se mouvoir, il se débarrasse des vieilles médiations idéologiques, telle l’idéologie politique, et peut désormais organiser directement la vie de l’humanité par l’action de la valeur. Si l’idéologie a toujours été une force matérielle, la matière marchande est devenue elle-même idéologie. Ainsi s’établit et se renforce la communauté matérielle du Capital.

    Les catégories de fonctionnaires du Capital sont multipliées. Aux scissions à l’intérieur de « l’ancienne » bourgeoisie correspondent les scissions à l’intérieur de « l’ancien » prolétariat (O.S./O.P.) et entre les deux s’étalent toutes les nouvelles couches moyennes prolétarisées par le salariat. Il s’établit une échelle hiérarchique de dimension impressionnante, d’où naît le mythe aux formes multiples de la lutte antiautoritaire remplaçant la lutte des classes.
    Les catégories sociales du Capital, organisées par la loi de la valeur, sont contraintes de s’affronter. La lutte est âpre : chacun doit gagner sa place au soleil de la communauté matérielle, c’est-à-dire chacun aménage sa survie au mieux de ses intérêts, marchande sa force de travail au meilleur prix.

    Ceux qui gagnent n’en sont généralement pas tranquilles pour autant ; ils voient tôt ou tard leur prospérité en survie remise en question – le Capital ne peut garantir même la survie – et il leur faut recommencer la bagarre. Évidemment ce mouvement avec ses variations, est le plus visible aux États-Unis où le Capital variable le plus prospère, les ouvriers des industries automobiles et de guerre, qu’on annonçait tranquilles jusqu’à la fin de leurs jours commencent à déchanter à grande échelle ; pour eux tout est remis en question – mais vue leur importance dans le capitalisme étasunien, c’est la crise de celui-ci qu’ils figurent.

    Il n’y a pas à crier à la réaction lorsque les ouvriers de l’industrie de guerre américaine descendent dans la rue pour demander la poursuite de la guerre au Viêt-Nam, comme le font les vrais démocrates qui dans leur connerie progressiste ne comprennent pas que tout réformisme est désormais impossible aux U.S.A. Les prolétaires défendent leur marchandise force de travail tant que ne se pose pas à eux la nécessité de sa destruction, et c’est justement parce qu’ils ont de plus en plus de mal à la défendre qu’ils seront contraints, tôt ou tard, de la détruire. La seule alternative est entre cette survie – se prolongeant en mort physique – et la révolution communiste.

    BONSOIR CHERS AUDITEURS, BONSOIR

    En la vidant de tout contenu de classe, le Capital réintègre la politique dans sa communauté matérielle. Les lois du capital étant désormais les lois fondamentales de toute organisation, la politique organise superficiellement tel ou tel groupe social, telle fraction de la communauté, telle catégorie de fonctionnaires. Le racket politique, qui est apparu avec la social-démocratie atteint là sa perfection puisque les partis ouvriers tirent leur existence de la soumission de la classe ouvrière, donc de l’existence du Capital. Que le prolétariat reste objet de ce dernier, qu’il ne tende pas à se nier est une question de vie ou de mort pour ces rackets.

    Chaque groupe politique a une catégorie sociale qu’il rackette plus particulièrement. En France, par exemple, la partie moderne de la bourgeoisie revient à Servan-Schreiber – Lecanuet, tandis que la partie ancienne et une fraction de la petite bourgeoisie « classique » (couches encore importantes dans le capitalisme retardataire de la France) reviennent à l’U.D.R. Pour le P.C. c’est la « digne classe ouvrière », pour le P.S.U., ce sont les techniciens.

    Les gauchistes s’attaquent aux étudiants et aux intellectuels, et les maoïstes font également dans l’immigré, le vieux (ancien résistant de préférence) et la ménagère. Mais chaque racket essaie de piquer la clientèle du voisin. L’U.D.R. depuis sa naissance, dispute les ouvriers au P.C., avec quelque succès d’ailleurs, et elle doit sa constante domination depuis 1958 à la frange ouvrière qu’elle a su faire cracher en bulletin de vote. Aucun groupe politique ne peut dominer sans exercer son racket sur plusieurs catégories sociales, car chacune de celles-ci est numériquement minoritaire, et toutes sont indispensables au fonctionnement du système, donc à sa gestion par les rackets.

    Ainsi ressurgit la concertation, mais aujourd’hui à l’intérieur du procès capitaliste et à l’intérieur de chaque parti du capital. D’où le frontisme de différentes catégories sociales dans chaque parti, et la démocratie, traduisant la dictature totale du capital. Sur ce frontisme de « classes » se greffe nécessairement le frontisme des rackets entre eux. Les trotskystes manifestent cette nécessité capitaliste avec le plus de conséquence en appelant inlassablement au front unique ouvrier, mais sans comprendre que pour le réaliser, il faudrait y inclure l’U.D.R., par exemple.

    La bataille politique se fait à coups de millions qui s’investissent où ils peuvent, à coups de gadgets et de badges, à coups de majorettes et de fanfares, à coups de dos à dos télévisés. L’image est interchangeable ; qu’avez-vous dit ? C’est moi qui l’ai dit le premier ! Ah ! non, c’est moi ! Puérilité de la sénilité capitaliste. Tout le monde il est de gauche, tout le monde il fait du social. Car l’élection réelle, c’est le racket sur l’humanité prolétarisée.
    Le législatif ne légifère plus que sur ordre de l’exécutif, lequel est lui-même soumis aux lois universelles du Capital. Et les parlements ne sont plus que des musées-théâtres où sommeillent et s’agitent alternativement les petites marionnettes de la politique.

    Certains jours, les lois sont votées par quelques députés : conscience professionnelle… les autres restent au pieu ou s’occupent de leurs petites affaires extra-parlementaires qui, elles, exigent un tant soit peu de boulot. Il en est de même pour les cirques internationaux comme l’O.N.U., où en son temps Zavatta-Krouchtchev, tapant sur la table avec sa godasse, avait montré qu’il avait l’étoffe d’un grand politicien. Nous savons de source sûre que Mao Tsé Toung le penseur met au point pour bientôt un excellent numéro chinois avec chausse-trappes et fausses gifles.

    GRANDEUR ET DÉCADENCE

    Comme exemple de cette décadence de la politique, on peut comparer le débat sur les Corn Laws au 19ème siècle en Angleterre aux décrets de Nixon en août 71. En voulant abroger les Corn Laws (protection douanière de l’agriculture anglaise), la bourgeoisie industrielle cherchait cette part du profit total qui allait à l’aristocratie foncière sous forme de rente. L’agriculture anglaise était alors encore relativement importante, mais la domination britannique sur toute la terre permettait à présent d’obtenir ailleurs du blé à moindre prix. Tout ce que voulait cette bourgeoisie, c’était donc de baisser la valeur de la force de travail. Quant à l’aristocratie, elle tentait de défendre une position privilégiée datant d’une époque révolue où elle pouvait faire protéger son propre blé par des barrières douanières.

    Le débat, parlementaire, entre les deux classes fut acharné, chacune cherchant des appuis, en particulier dans le prolétariat. Il dura plusieurs années, au bout desquelles la bourgeoisie l’emporta, car sa principale arme était, bien sûr le développement irrésistible du Capital.
    La société américaine de 1971 est suffisamment unifiée pour que les importantes décisions de Nixon puissent être prises dans le secret (concurrence avec les autres bourgeoisies nationales). Nul débat (public) n’est nécessaire. Nixon obéit directement aux impératifs du mouvement du Capital, qui impose pour le moment un retour vers le protectionnisme. Nixon sait à sa façon que le Capital totalitaire est le meilleur représentant démocratique de la société (officielle) dans son ensemble. Pendant ce temps, les politiciens préparent leurs accessoires.

    Aux États-Unis, d’ailleurs, il est typique de voir deux partis strictement semblables (républicains et démocrates) se disputer et se céder alternativement le pouvoir depuis toujours. Cette ancienneté du spectacle politique aux U.S.A. traduit la jeunesse de la société américaine, qui est passée presqu’immédiatement de la communauté primitive à la communauté du Capital. La greffe du mode de production capitaliste sur la société primitive n’y impliquait aucune discussion. La bourgeoisie naissante avait à s’imposer brutalement. Elle le fit en massacrant ceux qu’on appelle les indiens, puis en défaisant par les armes l’esclavagisme sudiste, qui ne pouvait avoir qu’un caractère transitoire vu son archaïsme vis à vis des exigences du Capital s’universalisant.

    La pluralité des modes de production, et donc l’antagonisme des classes possédantes, furent pratiquement inexistants aux U.S.A. lors de la montée du capitalisme. De ce fait, il n’y eut pas ou peu de contenus politiques antagoniques. La mystification démocratique y dure depuis l’avènement du capitalisme, en toute « pureté ». D’où d’ailleurs sa force. Le capital U.S. s’est trouvé très vite, au nord, en domination réelle sur la société. Mais la farce est sur le point d’y être éventée. Les dernières élections présidentielles ont montré que 45 % des prolétaires américains – ceux qui s’abstiennent car ils n’ont plus rien à gagner ni à perdre dans le système – étaient désormais inintégrables dans la communauté matérielle du Capital, inorganisables par le racket politique.
    Messieurs, on ne paie plus ! En attendant de vous foutre sur la gueule !

    La tentative vraiment démocratique de Mac Govern, soutenue par le racket moderniste de la nouvelle gauche dite « radicale », pour donner l’illusion de pouvoir intégrer les inintégrables (chômeurs à vie des ghettos), a elle-même échoué.
    Là-bas vient l’exigence de la formation de la Communauté Humaine, qui pour exister doit détruire la Communauté du Capital. La vieille taupe s’y voit d’autant moins qu’elle déblaie les derniers tombereaux de merde underground.

    CHAUFFE KRIVINE, CHAUFFE

    En France, la mystification a encore de la force, qu’elle tire de l’archaïsme du Capital national. Petits commerçants, petits artisans, petits intellectuels, en résistant à leur absorption par le Capital, donnent du contenu au spectacle. Que ce contenu soit éminemment réactionnaire importe peu aux divers rackets qui se les disputent à coups d’œillades et de cuisses à l’air ! Tu viens, Nicoud chéri ? Combien, s’informe tour à tour celui-ci, combien de temps nous laisserez-vous vivre ?

    Mais les élections législatives, c’est aussi un numéro inédit : la réconciliation des frères ennemis, P.C. et sociaux-démocrates français. Juste retour des choses, qui contient en lui même la vérité de la rupture cinquantenaire. Quant au programme avancé, Engels l’a commenté en ces termes il y a quelques cent ans : commentaire que l’agence de presse Libération-du-Capital-national a jugé vital de ne pas communiquer : « Ni la transformation en sociétés, ni la transformation en propriété d’État ne supprime la qualité de Capital des forces productives » (extrait de l’Anti-Marchais).

    La gauche arrivant au pouvoir (?… faites vos jeux), cela signifierait seulement que le capital variable, en tant que tel, prend de plus en plus d’importance dans ce temps de difficultés pour le capitalisme mondial, mais surtout cela voudrait dire que « les larges couches populaires », autrement dit l’ensemble des esclaves du Capital qui veulent, pour l’instant, changer de survie, sont une force électorale importante face à la « poignée de grands capitalistes ». La gauche, à sa façon, a elle aussi compris le phénomène de la prolétarisation ! La droite la suit dans cette voie, puisqu’elle mise si gros sur le « social » qu’elle mécontente une partie du patronat. Pour le peuple, qui a bien des malheurs, rien n’est trop beau.

    En France comme ailleurs, la vraie gauche revendique la régénération de la démocratie. Elle veut un « vrai » parlement, avec de « vrais » débats, un spectacle enfin intéressant. Mais la représentation officielle du communisme atteint sa cinquantième, et le mouvement contre-révolutionnaire qui l’a engendrée puis perpétuée tend à prendre fin avec le nouveau mouvement communiste. Aussi l’exigence se pose pour la contre-révolution de ravaler sa façade.

    Le jeune cadre gauchiste Krivine habillé par Tati, a fait fureur au cours d’un certain débat télévisé. Réactivant le spectacle, il en a montré les coulisses pour qu’on soit bien assuré que chacun était à son poste de travail. Oui la classe ouvrière existe, Krivine l’a rencontrée. Ouf ! Plus de séparation entre acteurs et spectateurs ; comme dit l’autre, ne faisons-nous pas tous partie de cette grande Communauté du Capital ?

    Le racket gauchiste, en d’autres moments historiques, donc sous d’autres formes, joue le même double rôle vis-à-vis du P.C. que celui-ci avait joué vis-à-vis des partis sociaux démocrates lors de la reprise révolutionnaire des années 1917-1920. D’une part il tente de contrer les luttes pour les canaliser vers l’intégration au Capital, donc à l’électoralisme (cf. leur acrobatique mais logique affirmation qu’il fallait voter, mais continuer à lutter, et que les résultats électoraux devaient concrétiser les résultats des luttes !).

    D’autre part, ils sont condamnés à devoir éternellement redorer le blason du P.C. et même des sociaux-démocrates, en les taxant de traîtres, mais donc de représentants ouvriers. Et sur ce point, ils ont absolument raison ! La social-démocratie, le P.C. et le gauchisme lui-même ont été, sont et restent les représentants de la marchandise force de travail, bouchers de la barbaque à plus-value. Ils n’existent que par l’existence du salariat.

    DU RACKET POLITIQUE À L’ASSISTANCE SOCIALE

    Cependant, dès à présent des communautés sociales sont, on l’a déjà dit, inintégrables dans la communauté du Capital. Rejetées à vie du processus de production et du salariat en général, elles n’assument plus aucune fonction pour le Capital. En revanche, celui-ci doit les faire survivre, plus ou moins, dans des limites qui les excluent en même temps de la sphère idéologique. Cette situation propre aux U.S.A., pays capitaliste le plus avancé, se retrouve dans les capitalismes qui ne peuvent se développer, de par la loi internationale de la valeur, et qui cumulent rejet des modes de production précapitalistes et impossibilité d’entrer dans le mode de production capitaliste.

    Dans les deux cas les rackets politiques ne peuvent plus ou pas prétendre à l’organisation de ces communautés sociales, désormais situées à la périphérie de leur existence. La preuve en a été fournie par les émeutes qui ont secoué les U.S.A. dans les années 1965 (Watts) et qui commencent à enflammer la zone non développée (Madagascar). Le Capital sera contraint d’y entamer ou d’y poursuivre ses exterminations « d’inutiles » à une échelle encore jamais atteinte (cf. Bangladesh).
    La réaction des communautés en question, si elle parvient à se manifester – conditionnée par le mouvement prolétarien international – montrera clairement leur besoin immédiat du communisme et constituera l’affirmation pratique de son contenu. Les solutions modernistes et tiers mondistes aux « problèmes » seront rejetées aux oubliettes de la dérision, dont seule la contre-révolution mondiale avait pu les préserver.

    En Europe, et en France en particulier, de telles communautés sociales n’existent pas ou ne tendent qu’à apparaître. On y trouve principalement des groupes sociaux à demi intégrés sous une forme ou une autre : tels les immigrés qui, assumant une fonction centrale pour le Capital européen se trouvent en grande partie exclus de la communauté de vie extra-travail, Tels les délinquants qui, refusant le travail, donc la fonction, volent au Capital sa marchandise et l’idéologie qui y colle, pénètrent par effraction dans la communauté matérielle.

    Vis-à-vis de ces deux « catégories », le rôle des rackets politiques est de se placer sur le terrain de leur intégration immédiate au système (travail pour les premiers, délinquance pour les seconds) et de véhiculer, à partir de là leur intégration totale : alphabétisation, logement, loisir, consommation en général pour les uns ; réinsertion au travail pour les autres.
    C’est ainsi que se comprend l’assistance sociale qu’apportent certains groupes gauchistes aux prolétaires en question, et la création d’organismes spécialisés comme le Groupe d’Information sur les Prisons.

    Les couches semi-intégrées ne sont pas prises en charge par les rackets politiques traditionnels car elles ne sont pas citoyens à part entière de la communauté matérielle du Capital. Les rackets qui les prennent en charge doivent donc se démarquer du jeu politique traditionnel. La situation de semi-intégration de ces prolétaires les contraint à la violence.

    Cette violence peut s’exercer dans la perspective de leur intégration totale à la communauté du Capital, en tentant d’accomplir par la force ce que le Capital n’a pu réaliser par ses nécessités économiques ; elle peut s’exercer aussi dans le sens de la rupture avec le Capital. Les rackets, contraints de refléter la violence de ces prolétaires par leur propre violence, ne peuvent évidemment qu’axer leur pratique dans le sens de l’intégration.
    Ils retirent toute la potentialité radicale des révoltes pour ne faire apparaître que la potentialité intégratrice (cf. les révoltes dans les prisons françaises et le G.I.P.).

    La violence retombée et le problème de la semi-intégration demeurant, les rackets doivent se lancer dans des offensives démocratico-légalistes qui, par la dénonciation du « scandale », revendiquent l’intégration totale que la force n’a pu obtenir.

    En France, les maoïstes de la Cause du Peuple en particulier assument ce racket qu’ils doivent obligatoirement partager avec les démocrates les plus « prestigieux », lesquels alignent pétition sur pétition pour le droit à la pleine citoyenneté prolétarienne des couches semi-intégrées !
    C’est bien donc la spécificité de leur racket qui contraint ces maoïstes à rejeter l’électoralisme ; et non une quelconque radicalité que le mythe de leur violence (la violence en soi !) a pu accréditer auprès de nombreux prolétaires qui ressentent le besoin violent de rompre avec le Capital, sans que leur apparaisse encore le contenu de cette rupture.

    La spécificité de ce racket lui fait enserrer jusqu’à la vie physique des prolétaires sur lesquels il s’exerce. Il joue avec leur vie, la manipule en manipulant leur violence. C’est aussi un racket sur la mort (cf. P. Overney mort » pour la Cause du peuple », voir à ce sujet l’édifiante brochure « Bilan du comité de lutte Renault »).

    LE DERNIER TOUR DE PISTE

    La prolétarisation universelle contenue potentiellement dans la dictature prolétarienne des conseils ouvriers a été réalisée depuis par le Capital. Sous forme mystifiée puisque chacun est devenu le fonctionnaire de celui-ci. La division en fractions au sein de cette communauté est le résultat du caractère historiquement parasitaire du mode de production capitaliste depuis la défaite mondiale du prolétariat au début du siècle.

    Désormais la reformation du prolétariat en classe passe par des affrontements terribles en son sein.Affrontements entre les fractions manifestant le besoin du communisme et les fractions se satisfaisant encore de la communauté matérielle du capital. Cette lutte recouvre en partie « l’ancienne » lutte des classes, qui devait amener la dictature du prolétariat ouvrier. Celui-ci, lorsqu’il est contraint à lutter, demeure aux avant-postes du combat.

    Toutefois, d’une part il est inévitable qu’il y ait affrontement au sein même du prolétariat ouvrier ; d’autre part il ne peut plus y avoir simple ralliement des classes moyennes à celui-ci, mais intégration des nouvelles couches moyennes prolétarisées au mouvement communiste qui constitue le dépassement du mouvement ouvrier ; enfin les communautés de chômeurs à vie, loin de recouvrir la situation de l’ancien lumpen, sont la manifestation vivante du besoin du communisme qu’elles sont toutefois totalement impuissantes à satisfaire par elles-mêmes.

    Le prolétariat ne peut désormais se reformer en classe que pour se nier, car il affirmera par là son être universel et la nécessité du communisme à l’échelle de toute la société. Il ne peut rien en deçà. Le communisme est immédiatement instaurable, ce qui signifie que la phase de transition autrefois appelée dictature du prolétariat n’est plus désormais que le processus de formation de la classe universelle.

    Dans ce processus, le mouvement communiste exerce une dictature pratique en ce sens où il tend à englober en lui toutes les couches ou catégories sociales, et celles qu’il ne peut englober, il doit les détruire. On peut prévoir dans cette lutte que les hauts fonctionnaires du Capital, recouvrant en partie « l’ancienne » bourgeoisie, offriront le plus de résistance et devront sans doute en majorité être supprimés physiquement, ainsi que la plupart des chiens de garde du système.

    Le prolétariat ne peut plus admettre aucune médiation entre lui et sa résolution, donc aucun parti autre que le propre mouvement de sa rupture avec le Capital et de sa propre destruction. L’auto-suppression du prolétariat réalisera dans le même mouvement la destruction des rackets politiques, lesquels préalablement devront, face au prolétariat se reconstituant, s’unifier objectivement en un seul mouvement : celui de la contre-révolution universelle du Capital.

    Avec la fin du Capital, ce sera la fin de la démocratie, la fin de la politique et de son ultime contenu : le spectacle. La rupture entre capitalisme et communisme sera nette, franche. La destruction du salariat, de la valeur et de l’État feront apparaître les vrais problèmes, donc les vraies solutions de réorganisation de la production, de la distribution et de la vie en général. Rien ne se résoudra du jour au lendemain, mais le champ sera ouvert à l’Humanité pour sa propre production sous le règne de la liberté : son histoire pourra débuter.

    Le Voyou, mars 1973

    https://cerclemarx.com/du-racket-politique-au-cirque-electoral
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