• Luttes sociales, classe en lutte : Entretien avec Nedjib Sidi Moussa, docteur en sciences politiques - Hacking Lord Sutch — For Always Liberty
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    un retour à l’histoire s’impose (au lieu de céder à l’injonction mémorielle). C’est ce que j’ai mis en évidence dans mes recherches sur l’anticolonialisme. On retrouve des logiques similaires à ce que l’on observe de nos jours dans le soutien inconditionnel de la gauche française à certaines tendances du nationalisme algérien, au siècle dernier, à savoir, d’une part, les malentendus propres à toutes les alliances de ce type (par exemple sur le contenu de la révolution et de la lutte contre l’impérialisme) et d’autre part, la propension de la gauche française à rejouer ses luttes pour l’hégémonie par factions indépendantistes interposées, en couvrant les pires méthodes (assassinat, racket, massacre, délation, intoxication, etc.).

    Cela rejoint en fait les tendances autoritaires des courants majoritaires de la gauche française, toujours enclins au manichéisme (ainsi que l’atteste leur attitude à l’égard des impérialismes russe et chinois, ou des régimes vénézuélien et iranien), prompts à ressortir l’argument du moindre mal en toutes circonstances. D’excellents textes ont été publiés à ce propos par la revue Masses dans les années 1930. Je songe à ceux de Marcel Martinet, Paul Bénichou et Robert Petitgand (alias Delny), retranscrits sur mon site au cours de la dernière période.

    On peut ensuite considérer cette problématique comme relevant de la circulation internationale des idées, avec les malentendus que cela engendre (ce qui paraît « radical » à un point du globe semble « modéré » à un autre, ce qui donne l’impression de la « nouveauté » ici est en réalité déjà « périmé » là-bas, etc.). Par exemple, concernant l’orientalisme, les intellectuels et militants de la gauche française sont en général familiers des thèses d’Edward Said popularisées dans son ouvrage traduit en 1980. En revanche, il y a dans ces milieux une méconnaissance quasi-totale de ses critiques, comme celle sur « l’orientalisme à rebours » publiée l’année suivante par Sadik Jalal Al-Azm dans la revue Khamsin et traduite, dans un recueil passé sous silence, Ces interdits qui nous hantent.

    Toutes les formes d’oppression que l’humanité a pu connaître à travers son histoire, et qui se sont redéployées avec plus ou moins de virulence selon les contextes, doivent être comprises dans ce qu’elles ont de spécifique, comme c’est le cas du racisme et du sexisme, sans hiérarchie. La primauté de la lutte de classe ne saurait être invoquée pour nier leur réalité ou renvoyer aux calendes grecques la nécessité de combattre ces fléaux qui trouvent leurs racines dans les rapports sociaux, se cristallisent dans les institutions (étatiques ou religieuses) et se répercutent sur les mentalités.

    De cette perspective peuvent découler des propositions pratiques contradictoires au sujet de l’autonomie d’action (ce que l’on appelle souvent la « non-mixité ») des groupes exposés à telle ou telle oppression. Cela soulève plusieurs enjeux, à commencer par les critères d’appartenance (ce qui pose le problème de la définition, des frontières et de l’authenticité) ainsi que le caractère tactique ou stratégique de ce type de regroupements parfois imposés par les circonstances mais aussi encouragés par la volonté, chez certains ambitieux, de prise du pouvoir sur une communauté imaginée.