• Témoignages. La crise aux Urgences vue des patients : « c’est le quart monde. J’ai cru que j’avais changé de siècle, de pays. » Alexandra Huctin - france3-regions
    https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/lille/temoignages-la-crise-aux-urgences-vue-des-patients-c-es

    Alors qu’Emmanuel Macron et la nouvelle ministre de la santé sont ce 31 mai au chevet des Urgences de l’hôpital de Cherbourg, en Normandie, des patients du Nord et du Pas-de-Calais nous racontent leur vécu. « Un choc, une humiliation », des mots qui reviennent souvent.

    Pas question de vouloir ici incriminer le personnel soignant ou administratif des services des Urgences du Nord et du Pas-de-Calais. Il n ’y a pas de procès d’intention, tout le monde ou presque souligne la bienveillance souvent de ces derniers mais aussi leur « dépassement » face à une situation parfois incontrôlable. « Les soignants des Urgences ne peuvent pas faire de miracle face au système qui se dégrade et aux médecins de garde qui ne se déplacent plus », souligne par exemple Marie-Blanche, elle même infirmière libérale. Nos derniers articles sur l’hôpital public dans les Hauts-de-France https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/roubaix/plans-blancs-et-service-fermes-dans-les-hauts-de-france ont mentionné les appels au secours des hospitaliers épuisés alors que des plans blancs sont déclenchés partout pour pallier les manques de personnel. Nous avons simplement, cette fois, donné la parole à ceux qu’on n’entend jamais : les citoyens, les patients, via un appel à témoin.

    Karine a 47 ans et vit dans l’agglomération lilloise. Cette cadre commerciale chute sur la Grand Place de Lille vers 16H30, le jeudi de l’Ascension. Très vite sa cheville double de volume. Les pompiers la conduise au CHR de Lille. « Je me suis aperçue à ce moment là que je n’avais pas mis les pieds aux urgences du CHR depuis des lustres. »

    « J’ai le cul à l’air à cause du pantalon en papier trop petit  »

    Tout commence, comme pour tout arrivant, par un premier contact administratif puis un « triage ». « Je réalise qu’ils récupèrent alors (ndlr : sur le brancard des pompiers) le film en papier qui protège, pour le réutiliser. Au CHRU, ils n’en n’ont plus », raconte Karine. Elle sera, si elle accepte de rester assise, « mise aux circuits courts. c’est plus rapide ». Mal lui en a pris. Assise, son pied pend dans le vide. « J’ai mal mais je me dis qu’il est 17H30 que ça va aller vite comme on me l’a expliqué. »

    Moins d’une heure après, sa radio est faite. Karine se dit qu’elle a de la chance, et attend la lecture de sa radio pleine d’optimisme. Autour d’elle tout le monde court : « C’est long mais je ne peux en vouloir à personne. Ils enchaînent et moi j’attends l’interne. » La douleur devient insupportable. Karine se glisse sur un banc en métal pour pouvoir « surélever la jambe sur le fauteuil roulant. » Son calvaire commence, elle le réalisera plus tard. 

    J’ai faim, j’ai soif, j’ai froid. Je suis inconfortable. Quatre heures après on m’apprend que c’est fracturé, qu’il faut plâtrer

    Karine, fracture de la cheville, CHR de Lille, le 26 mai à France 3 Hauts-de-France

    A 23H30, soit plus de six heures après son arrivée, Karine est plâtrée rapidement. « On m’enfile alors un pantalon de bloc trop petit  », car elle ne peut plus mettre son jean avec lequel elle est arrivée. « J’ai le jean autour du cou comme un sac. On me pousse vers l’accueil des urgences à minuit, j’ai le cul à l’air à cause du pantalon en papier trop petit. J’ai mal. Avec les béquilles je porte comme je peux mon dossier médical. J’attends le Uber, j’ai froid et je pleure d’humiliation. Je supplie les gens dans le hall de ne pas me regarder. »

    On ne lui commandera pas d’ambulance, trop chère et pas assez rapide. C’est la seule excuse qu’on lui avancera alors qu’elle se sent jetée, abandonnée en pleine nuit. Son plâtre dégoulinant lui glace les sangs. 

    « Le sentiment d’avoir été déshumanisée »
    Elle explique n’avoir vu que des soignants gentils mais pressés et des patients très patients qui « parfois demandent à partir en signant une décharge » tellement c’est insupportable d’être là. L’attente est violente. 

    Un monsieur lui raconte qu’il a passé 11 heures dans le circuit court, avant de partir finalement au bloc. Plus choquant encore selon Karine, ce circuit court qui « bafoue toutes les règles de discrétion » et de secret médical. « On panse dans la salle d’attente devant tout le monde. Un jeune homme à côté de moi doit parler de ses problèmes testiculaires (une contorsion) à l’interne, dans le hall. L’interne qui reçoit aussi un coup de fil du légiste de garde pour savoir si ça vaut le coup d’examiner le vagin de la jeune fille huit jours après. On entend tout, on sait tout sur tout le monde.  » 

    C’est le quart monde ! J’avais l’impression d’avoir changé de siècle, de pays, d’être dans un dispensaire en Afrique. On entend les râles des gens qui souffrent à côté de nous. Il n’y a pas de rideaux, rien, aucune intimité
    Karine, cheville cassée le week-end de l’Ascension
    à France 3 Hauts-de-France

    « J’ai le sentiment d’avoir été déshumanisée » résume Karine encore sous le choc quelques jours plus tard. Les mots n’expriment pas de colère, seulement du désarroi. Sa fille est aide-soignante, elle n’imaginait pas pour autant vivre cela pour une cheville cassée. « Il faut que les gens sachent que ça se passe comme ça . » A Lille mais aussi à Dunkerque. Vanessa nous jure qu’elle n’y remettra jamais les pieds alors qu’elle vient d’emménager dans cette sous-préfecture du Nord. 

    En février dernier, elle ne se sent pas bien un samedi. son généraliste ne consulte pas le week-end. Vanessa est atteinte d’une maladie auto-immune, un lupus systémique. Le médecin de la maison médicale lui dit dit qu’il suspecte une embolie pulmonaire, qu’elle doit immédiatement se rendre aux Urgences sans repasser chez elle prendre quelques affaires. Il lui fait un courrier pour qu’elle le donne à son arrivée là-bas. Son beau-père joue les taxis et elle arrive aux Urgences rapidement en début de journée. 

    Durant plus d’une heure (1h15), elle attend debout. « On me dit de patienter, je crois m’évanouir. » Un monsieur qui est en train de faire son admission avec la secrétaire prend conscience de son malaise et lui amène sa chaise. Personne ne l’avait fait avant, pas un soignant. 

    La seule personne qui a eu pitié de moi c’est la personne qui est venue me chercher pour un scanner. elle m’a donnée un verre d’eau puis un deuxième. Je pleurais tellement qu’elle m’a aidée.

    Vanessa, Urgences de Dunkerque, suspicion d’embolie pulmonaire, en février 2022
    à France 3 Hauts-de-France

    Un yaourt ou un verre d’eau ? C’est trop ?  
    La première personne qui la reçoit à l’aiguillage, affirme qu’avec ce qu’elle a, il faut rester allonger (sic). On lui trouve un brancard. Un test PCR est fait. « Bingo, on me lâche que j’ai le Covid et on me colle dans un box, isolée de tout  ». Vanessa est paniquée, avec sa maladie, elle pense qu’elle a des risques énormes de ne pas supporter le virus. Depuis le début de la pandémie, elle a été épargnée tellement elle est prudente et attachée aux protocoles sanitaires.

    «  Pendant 19h, je me retrouve seule dans ce box. J’ouvre la porte une fois pour demander à boire tellement j’ai la gorge sèche et la bouche pâteuse. Je n’en peux plus, la soif c’est terrible. » Une voix peu aimable la réprimande. «  La seule personne qui a eu pitié de moi c’est la personne qui est venue me chercher pour un scanner. elle m’a donnée un verre d’eau puis un deuxième. Je pleurais tellement qu’elle m’a aidée. » Là aussi, le sentiment d’humiliation après 19h sur un brancard, seule dans un box sans boire ni manger est décuplé quand « on me met dehors à 3 heures du matin dans le froid  », parce que le scanner n’a rien révélé. Elle appelle dans sa famille pour que l’on vienne (vite) la chercher. «  Il y avait dans le couloir, une dame octogénaire qui réclamait à boire et à manger, sans cesse. » Vanessa a le cœur brisé devant les lamentations d’une dame (peut-être en fin de vie) laissée seule, surtout qu’elle entend l’équipe commander des pizzas parce que les plateaux « ne sont pas bons. » Vanessa aurait bien aimé qu’on apporte un yaourt ou un verre d’eau à la vieille dame. Rien que ça. Mais c’est déjà trop ? 

    Il y a un tel manque de personnel qu’on n’existe pas quand on arrive.
    Frédérique, Urgences d’Arras pour un enfant fiévreux
    à France 3 Hauts-de-France

    A Arras, début mai, Frédérique nous raconte s’être bataillée avec une équipe débordée et peu à l’écoute. « Il y a un tel manque de personnel qu’on n’existe pas quand on arrive », se souvient -elle. Avec elle, son fils de 4 ans qui ne va pas bien. La maman sait « en elle » que ça cloche. Mais le pédiatre qu’elle voir après une longue attente lui dit de rentrer chez elle. Elle s’exécute. Son fils en arrivant vomit. Elle repart à l’hôpital, insiste, implore. On diagnostiquera alors une méningite bactérienne à pneumocoque. Si elle n’avait pas osé retourner dans l’arène hostile, son fils pouvait mourir en quelques heures. Une erreur médicale ? Un dysfonctionnement dans la prise en charge aux Urgences ? Avec son témoignage, Frédérique veut surtout alerter, rappeler que dans ces conditions de travail, le risque est grand. On frôle l’accident permanent, l’erreur qui est malheureusement aux Urgences, souvent fatale.

    Des dizaines de témoignages nous sont parvenus, tous racontent l’attente interminable. « 7h15 pour une entorse sur une enfant de 3 ans, C’est honteux », confie cette maman lensoise. Beaucoup nous rappellent aussi « que ça ne date pas d’hier. » Mais le manque de personnel et la crise des vocations dans les écoles de soignants, ne promettent pas d’amélioration à venir. « Mais, que voulez-vous, tout le monde va aux Urgences aussi parce qu’il faut trois semaines pour obtenir une radio en ville, après une chute ». On en est là, du Nord au Sud. 

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