François Isabel

Ni dieu, ni maître, nirvana

  • Une analyse de la littérature remet en cause la « théorie de la sérotonine » dans la dépression | Le Quotidien du Médecin
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    Explorée depuis des décennies par la recherche médicale, l’association de la dépression à une concentration faible ou à une activité réduite de la sérotonine serait un mythe, selon une analyse de la littérature publiée dans « Molecular Psychiatry ».

    « Il est toujours difficile de prouver un lien négatif, mais je pense que nous pouvons dire, en toute sécurité, qu’après de vastes recherches menées sur plusieurs décennies, il n’existe aucune preuve convaincante que la dépression est causée par des anomalies de la sérotonine, en particulier par des niveaux inférieurs ou une activité réduite de ce neurotransmetteur », résume ainsi la Pr Joanna Moncrieff, psychiatre à l’University College London et auteure principale, dans un communiqué.

    Aucune preuve d’une réduction de l’activité de la sérotonine chez les dépressifs

    Pour évaluer les preuves d’une association entre dépression et sérotonine, les chercheurs ont réalisé une analyse de 17 revues systématiques ou méta-analyses de qualité variable. Selon cette analyse, la plupart des études n’ont trouvé aucune preuve d’une réduction de l’activité de la sérotonine chez les personnes souffrant de dépression par rapport aux personnes en bonne santé. Aussi, les méthodes de recherche utilisées pour réduire la disponibilité de la sérotonine en utilisant la déplétion en tryptophane n’ont pas permis d’établir un lien avec la dépression.

    Des études génétiques, jugées « de haute qualité », excluent par ailleurs une variation des gènes du transporteur de la sérotonine (protéine ciblée par la plupart des antidépresseurs) entre patients dépressifs et individus sains, y compris dans le cas d’une interaction avec le stress.

    Et si des recherches sur les récepteurs de la sérotonine (5-HT1A) et le transporteur de la sérotonine avancent une association possible entre l’activité de la sérotonine et la dépression, les auteurs estiment que « ces résultats, faibles et incohérents, sont susceptibles d’être influencés par l’utilisation antérieure d’antidépresseurs ».

    Pour les auteurs, cette analyse remet en cause la « théorie de la sérotonine ». Cette approche a pourtant été au cœur d’un « effort de recherche considérable » et a façonné la compréhension de la dépression par le grand public. « De nombreuses personnes prennent des antidépresseurs parce qu’elles ont été amenées à croire que leur dépression a une cause biochimique, mais cette nouvelle recherche suggère que cette croyance n’est pas fondée sur des preuves », souligne la Pr Moncrieff. Selon elle, la popularité de la théorie du « déséquilibre chimique » de la dépression a même coïncidé « avec une énorme augmentation de l’utilisation des antidépresseurs ».

    Ne pas désinformer les patients

    Cette vision pourrait conduire les patients à une interprétation pessimiste de la possibilité d’une guérison ou d’une gestion de leur humeur sans aide médicale. « L’idée que la dépression est le résultat d’un déséquilibre chimique influence également la décision de prendre ou de continuer des antidépresseurs et peut décourager les gens d’arrêter le traitement, ce qui pourrait entraîner une dépendance à vie à ces médicaments », ajoutent les auteurs. Selon une méta-analyse, indiquent-ils, une utilisation prolongée d’antidépresseurs pourrait réduire les concentrations de sérotonine.

    Ces résultats invitent à poursuivre les recherches sur les effets des différents traitements sur les systèmes neurochimiques, y compris le système sérotoninergique, en particulier pendant et après une utilisation à long terme d’antidépresseurs. « Notre point de vue est que les patients ne devraient pas être informés que la dépression est causée par un faible taux de sérotonine ou par un déséquilibre chimique, et qu’ils ne devraient pas être amenés à croire que les antidépresseurs agissent en ciblant ces anomalies non prouvées. Nous ne comprenons pas exactement ce que les antidépresseurs font au cerveau, et donner aux gens ce genre de désinformation les empêche de prendre une décision éclairée quant à savoir s’ils doivent ou non prendre des antidépresseurs », plaide la Pr Moncrieff.

    « Il est important de souligner que cette étude ne s’est pas directement penchée sur l’efficacité des antidépresseurs. Les traitements à activité sérotoninergique étaient déjà utilisés efficacement pour les patients souffrant de dépression avant la théorie des changements sérotoninergiques de la dépression, rappelle la Dr Livia de Picker de l’Institut de recherche en psychiatrie de l’université d’Anvers (Collaborative Antwerp Psychiatric Research Institute), dans un commentaire sur le Science Media Centre. Depuis cette théorie originale, de nouvelles recherches ont également indiqué que les antidépresseurs affectent plusieurs voies et récepteurs dans le cerveau, et ne sont pas limités à la sérotonine. Il n’y a vraiment aucune raison de remettre en cause l’efficacité des antidépresseurs actuels, même si notre compréhension des causes biologiques de la dépression s’éloigne des théories centrées uniquement sur la sérotonine. »