• 30 000 citoyens armés en renfort pour/par la police | SudOuest | 07.08.22

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    Les premiers réservistes massivement recrutés par la police patrouilleront dès la fin de l’été, au terme d’une formation de dix petits jours. Ce qui n’est pas sans soulever quelques questions, notamment celle de leur rapport aux armes. Reportage

    Quelques heures plus tôt et Laurie allait encore en robe légère et baskets, simplement armée d’un stylo pour réviser ses cours d’éducatrice spécialisée. Sitôt passée par le vestiaire de la caserne de CRS de Limoges, voilà la jeune femme recouverte du même uniforme dont on fait les policiers de carrière. « Une drôle de sensation, mais qui n’est pas désagréable », sourit l’étudiante de 20 ans que l’on retrouvera l’après-midi même en train de dégainer un pistolet Sig Sauer à l’ombre du stand de tir.

    Ainsi va la double vie des futurs réservistes de la police nationale...

    • Ainsi va la double vie des futurs réservistes de la police nationale. Étudiants, retraités ou bien artisans à la ville, et bientôt armés à la scène le temps d’un week-end ou d’une nuit. Plus de 170 munitions percutées en dix petits jours de formation (1), le double de ce qu’un policier tire chaque année à l’entraînement.

      Il n’y a en effet guère de temps à perdre, lorsque l’on sait qu’un gardien de la paix passe douze mois en école de police. Apprentissage express qui n’est pas d’ailleurs sans faire poindre quelque inquiétude dans les rangs de l’institution. « Pour compenser, les trois-quarts de leur formation est consacrée à l’usage et au maniement de l’arme », rassure le commandant chargé de cette première promotion d’une vingtaine de candidats venus de toute la Nouvelle-Aquitaine. Et de répéter inlassablement les mêmes gestes, pour éviter qu’en cas de malheur l’arme ne leur brûle les doigts. « La moindre faute de sécurité sera éliminatoire. »

      Près de 7 000 candidats

      Engagez-vous qu’ils disaient, et c’est un succès, tandis que près de 6 900 Français âgés de 18 à 67 ans ont déjà répondu à l’appel lancé au mois de mars. Calqué sur le modèle éprouvé de la gendarmerie et de ses 23 000 intérimaires, le chantier du ministère de l’Intérieur est plus vaste encore avec, à terme, 30 000 citoyens mobilisables 90 jours l’an pour prêter main-forte aux 140 000 agents de la police nationale.

      Une vraie révolution dans cette maison de famille Poulaga qui, jusqu’alors, ne tolérait en son sein qu’une petite troupe de collègues revenus de leur retraite pour quelques euros nets d’impôt ou bien l’amour du maillot bleu. Façon désormais de pallier dans les grandes largeurs le manque d’effectifs, à en croire les syndicats. Ceux-là d’ailleurs ne s’y sont pas trompés, critiquant certes la formation « trop accélérée » des nouveaux réservistes, mais se montrant en coulisses soulagés de voir ce prompt renfort arriver bientôt à bon port. Pour Frédéric, chef d’une petite entreprise médicale en Dordogne, ce sera au commissariat de Bergerac ou d’Agen. « À 51 ans, j’ai fini ma mission de papa, il fallait que je me rende utile autrement. » Quarante-cinq jours par an, pour la beauté du geste citoyen davantage que pour les 50 euros promis à chaque vacation, jure-t-il en substance.

      Corvéables à merci ?

      À gauche, Frédéric, chef d’une petite entreprise installé à Bergerac. « A 51 ans, j’ai fini ma mission de papa, je veux me rentre utile autrement. »
      Photo GUILLAUME BONNAUD/SUD OUEST

      À deux années des JO de Paris et moitié moins de la Coupe du monde de rugby organisée en France, une main-d’œuvre que certains, en interne, redoutent corvéable à merci. À tout le moins une aubaine pour assumer ce genre de missions souvent aussi statiques que chronophages. Au-delà, si les réservistes ne seront évidemment pas plus affectés au maintien de l’ordre pur et dur qu’aux couloirs de la PJ, tous sont censés monter au front de la délinquance ordinairement périlleuse. Voie publique, contrôle routier ou police aux frontières, déjà plus de 1 500 patrouilleront dès l’automne, moins d’un an après l’annonce d’Emmanuel Macron. Outre une enquête de moralité, l’intervention systématique d’un psychologue vient alors en renfort des formateurs. Histoire de causer « rapport à la mort » et de leur rappeler les risques du métier. Ceux qu’ils prendront, comme ceux qu’ils pourraient faire courir au commun des mortels justiciables.

      « Les comportements de cow-boys sont rédhibitoires, je vous garantis que l’on veille. »

      Plus prosaïquement, la chasse aux excités de la gâchette est ainsi discrètement ouverte parmi ces promotions recrutées sur CV et simples entretiens. « Les comportements de cow-boys sont totalement rédhibitoires », martèlent le commandant et ses seconds aux aguets. « Je vous garantis que l’on veille, et que l’on raye des noms en cours de formation si besoin. »

      Laurie, 20 ans, éducatrice spécialisée dans le civil. « Je n’ai pas ressenti d’appréhension en prenant ce pistolet en main. Les moniteurs nous ont longuement appris à le toucher, le démonter, tirer... »
      GUILLAUME BONNAUD/ »SUD OUEST »

      Garder son sang-froid plutôt que de le faire couler à la moindre escarmouche, tel est aussi en partie le sens de l’entretien – d’une trentaine de minutes – préalablement mené par un jury expert en la matière. « Je leur ai dit que je n’avais aucune attirance particulière pour les armes, que le but premier est de ne pas m’en servir, mais de savoir le faire », raconte Damien, un Bordelais de 34 ans. Cadre chez Orange, le jeune homme répète d’ailleurs ne jamais avoir eu la vocation policière jusqu’aux attentats de 2015. « Mais le soir du Bataclan, devant ma télé, j’ai ressenti tant d’impuissance que j’ai décidé de ne plus rester spectateur. »

      (1) Suivis par deux autres semaines de stage au sein de leur unité d’affectation