• Arrosage des golfs : malgré la sécheresse, les dérogations pleuvent Gaspard d’Allens - Reporterre
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    Alors que la sécheresse et les restrictions d’eau font rage, les images des golfs verdoyants font scandale. Soumis à des limitations d’arrosage, certains parviennent à s’y dérober.

    La polémique a enflé la semaine dernière. Alors que tout le pays est écrasé par la sécheresse, les terrains de golf ont été accusés de bénéficier d’un traitement de faveur et de déroger à certaines restrictions d’eau, pour le plus grand plaisir de ses pratiquants, très souvent aisés.


    Des élus à gauche en ont fait un exemple emblématique d’injustice environnementale. Le maire de Grenoble, Éric Piolle, a été le premier à dégainer. Le 30 juillet dernier, il déplorait sur BFM TV que « les pratiques des plus riches soient protégées alors qu’on appelle à la sobriété. Quand on ne peut plus rien arroser nulle part, que tout le monde manque d’eau et que nos pelouses sont jaunes, pourquoi peut-on arroser encore les greens de golf ? » Des parlementaires de la France Insoumise ont pris le relai. Contre cette « décision de classe inacceptable », Manuel Bompard a appelé à « planifier un juste partage de l’eau ».



    Le golf de Strasbourg, vu de drone. Unsplash / Adrienguh

    Dans un tweet très suivi, un autre député de la France Insoumise, Hendrik Davi, a pointé le décalage entre les privations demandées aux particuliers et celles qui s’appliquent à cette activité de loisir. « Il est interdit de remplir les piscines, de laver sa voiture, d’arroser son potager, mais les golfs, eux, doivent simplement réduire leur consommation. Un 18 trous a besoin de 5 000 m³ par jour, soit la consommation de 12 000 habitants. » En 2021, la Fédération française de golf revendiquait 436 846 licenciés, s’ébattant dans plus de 700 structures.

    Son estimation repose sur un rapport du Sénat publié en 2002. À l’époque, selon ces données, la consommation totale en eau de tous les golfs représentait 36 millions de m³, soit l’équivalent de la consommation annuelle en eau d’une ville de 500 000 habitants comme Lyon. Une étude publiée par la Fédération française de golf évalue de son côté cette consommation à 29 millions de mètres cubes d’eau en 2010. Une quantité moindre, qui est cependant loin d’être négligeable.

    L’arrosage des greens reste possible
    « La situation est effectivement très symbolique », reconnaît Antoine Gatet de France Nature Environnement. Mais il faut se garder des caricatures dit-il à Reporterre. Selon le juriste, « les golfs comme les autres activités économiques ou touristiques ne sont pas exonérés de mesures de restriction ».

    Les terrains de golf doivent en effet respecter un cadre légal, fonction du niveau de gravité de la sécheresse : le stade de vigilance, d’alerte, d’alerte renforcée ou de crise. En seuil d’alerte, l’arrosage en journée est interdit, la consommation hebdomadaire doit être réduite de 15 à 30 % et les prélèvements d’eau doivent être inscrits chaque semaine sur des registres, précise un guide méthodologique écrit par le ministère de la Transition écologique. En alerte renforcée, la consommation d’eau est réduite d’au moins 60 %, l’arrosage est interdit sauf sur les départs et sur les greens (les espaces gazonnés tondus très ras autour des trous). Enfin, au stade dit de crise, il y a interdiction d’arroser. Les greens peuvent éventuellement l’être la nuit, « par un arrosage réduit au strict nécessaire ».


    Un panneau attention danger au mini-golf d’Embrun en juillet 2020. CC0 1.0 / Benoît Prieur / Wikimedia Commons

    Aujourd’hui en France, soixante-deux départements sont classés en situation de crise. L’arrosage des greens de golf reste donc possible et le secteur le justifie au nom de la préservation de l’emploi et du maintien de l’activité. « Sans eau, un green meurt en trois jours et il faut trois mois pour le faire repousser. Or un parcours sans green, c’est comme une patinoire sans glace, il devra fermer », prévient sur France Info Gérard Rougier de la Fédération française de golf. À terme, d’après les professionnels, l’activité de 700 golfs et 15 000 emplois seraient menacés en France.

    Ce chantage à l’emploi peut être efficace. Car les mesures de restriction dépendent en grande partie des arrêtés préfectoraux pris au niveau local. Ils reposent avant tout sur le bon vouloir du préfet. Or comme le rappelle Antoine Gatet « un effet de copinage peut amoindrir ces dispositions : les acteurs économiques et les industries les plus proches du préfet arrivent souvent à faire entendre leur voix et obtiennent des dérogations. Longtemps, le préfet a été plus préoccupé par l’activité économique que par la préservation des ressources en eau. » L’association France Nature Environnement se dit très vigilante à « ces possibles passe-droit » et est prête à les contester en justice.

    Eaux usées et pesticides
    À l’origine, la préservation des greens en période de sécheresse est issue d’un accord pris en 2019 entre le ministère de la Transition écologique et la Fédération française de golf. En échange de cette exception, les propriétaires de terrains de golfs engagées à mener des actions « de sensibilisation et de préservation de biodiversité » ainsi qu’à réduire la consommation d’eau et l’impact environnemental de leur pratique. Certains se sont par exemple mis à irriguer avec des eaux usées.

    Sur ce point, il reste beaucoup à faire, souligne Antoine Gatet : « Le golf n’a rien d’une activité durable, ce loisir artificialise les sols et pollue massivement l’environnement. » Selon une récente étude, 18 kg de pesticides sont pulvérisés par hectare, par an. À comparer aux 2,5 kg utilisés par l’agriculture. Dans le golf, seuls les greens sont verts.