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Craignosse, les turlutosses !

  • La sécheresse aggrave la crise énergétique en Europe
    https://www.mediapart.fr/journal/economie/090822/la-secheresse-aggrave-la-crise-energetique-en-europe

    Déjà fortement ébranlé par les menaces de pénurie de gaz, le système électrique européen voit les productions s’effondrer, en raison de la #sécheresse installée depuis le début de l’année. Jamais les prix de l’#électricité n’ont été aussi élevés sur le continent.

    Depuis plusieurs semaines, les autorités allemandes surveillent avec inquiétude les eaux du #Rhin. Dans quelques jours, une des principales voies commerciales de l’Europe risque d’être fermée : le cours du fleuve est à son plus bas niveau depuis 2018 – dernière année où la circulation fluviale avait dû être interrompue sur le Rhin, en raison du manque d’eau – et pourrait devenir rapidement impraticable, coupant tout le transport fluvial. Au risque d’aggraver la crise énergétique : le Rhin est la voie privilégiée pour transporter le charbon pour les centrales thermiques de l’ouest du pays, mais aussi pour le transport du pétrole pour tous les pays que le fleuve traverse (Pays-Bas, Allemagne, France et Suisse).

    Alors que les menaces russes de pénurie gazière mettent déjà le système à rude épreuve, les difficultés qui pèsent désormais sur les approvisionnements des centrales au charbon, devenues un ultime recours en Allemagne, viennent compliquer encore la situation. « Les transports de charbon sont déjà réduits en raison du bas niveau des eaux, car peu de bateaux sont utilisables et ceux qui le sont transportent moins de marchandises », a déjà prévenu l’énergéticien allemand EnBW dans un communiqué. « Les coûts de transport du charbon ont donc augmenté, ce qui augmente à leur tour les coûts d’exploitation des centrales à charbon. »

    De son côté, le groupe d’énergie allemand Uniper, qui vient d’être renfloué par le gouvernement, a indiqué qu’il prévoyait de réduire la production de certaines de ses centrales de charbon, en raison des problèmes d’acheminement sur le Rhin. La Suisse, elle, réfléchit à utiliser ses stocks stratégiques afin d’assurer l’approvisionnement en essence et en diesel.

    L’arrêt de la circulation sur le Rhin est la dernière mauvaise nouvelle. Mais la sécheresse a commencé bien avant à prélever une lourde dîme sur le système énergétique en Europe, déjà bouleversé depuis la crise de l’été dernier, puis par la guerre en Ukraine. Toute une partie des moyens de substitution sur lesquels le continent comptait pour pallier les risques de pénuries de gaz et la cherté du pétrole s’est évanouie, faute de pluie.

    Ces tensions se traduisent dans les prix. Jamais le prix de l’électricité n’a été aussi élevé en Europe. À l’exception de l’Espagne et du Portugal, qui ont obtenu de la Commission européenne d’être sortis du marché unique de l’électricité (le prix du MWh est pour eux autour de 150 euros), le cours du MWh s’est installé en moyenne autour de 400-470 euros ce 9 août sur le marché spot. Soit le double du prix de juin, alors que les menaces de pénuries de gaz et les problèmes d’EDF étaient déjà parfaitement connus !

    Le manque d’eau a touché dès les premiers mois de l’année la production hydraulique, qui représente quelque 13 % de la production. En Espagne et en Italie, la production hydroélectrique a diminué de plus de 40 % au premier semestre et les réserves d’eau étaient inférieures de moitié à la normale. Début juillet, un rapport de la Commission européenne sur la sécheresse en Europe, soulignait que la production d’électricité hydraulique avait diminué de 5 039 GWh en Italie, de 3 030 GWh en France, de 2 244 GWh au Portugal par rapport à la moyenne observée entre les années 2015-2021. Sans être grand devin, il avertissait que la situation risquait d’empirer durant l’été dans nombre de pays.

    L’Italie est sans doute un des plus touchés. La production hydroélectrique (47 Twh/an environ) est une des composantes essentielles de son système. La baisse des niveaux d’eau dans les barrages alpins, la chute des niveaux du Pô (20 % de la production hydroélectrique du pays) déstabilise toute la production. L’Italie, qui dépendait lourdement du gaz russe, est obligée non seulement de négocier de nouveaux contrats gaziers plus chers, mais d’importer aussi massivement de l’électricité, faute de production suffisante. À 19 heures, une des heures de pointe sur le marché européen de l’électricité, ce 9 août, le prix spot du MWh en Italie du Nord frise les 600 euros !

    La France est tout autant concernée. L’hydroélectricité représente plus de 10 % de la production électrique du pays. Mais depuis le début de l’année, les réserves d’eau des barrages alpins d’EDF ont diminué de plus du tiers. Le débit du Rhône est inférieur de moitié par rapport à l’an dernier. Responsable des multi-usages (agriculture, population, tourisme) de l’eau sur ces territoires, EDF a dû restreindre la production, d’autant qu’il faut aussi passer la saison hivernale.

    Dans le même temps, la production nucléaire du groupe, déjà diminuée de plus du tiers à la suite de problèmes de corrosion sur certains réacteurs, est menacée par le réchauffement de la température des fleuves et les faibles débits de certaines rivières. Bien qu’il ait obtenu des dérogations sur les normes de température des circuits de refroidissement des réacteurs, EDF a dû réduire sa production nucléaire, et pourrait même être contrainte d’arrêter certains réacteurs – Tricastin (Drôme), Golfech (Tarn-et-Garonne) et Saint-Alban (Isère).

    Alors que la canicule et la sécheresse sévissent dans toute l’Europe, la Norvège a annoncé le 8 août qu’elle étudiait la limitation de ses exportations d’électricité vers le reste de l’Europe, si le niveau de ses barrages ne remontait pas afin d’assurer sa sécurité électrique cet hiver. Les barrages norvégiens sont à leur plus bas niveau depuis 1996, faute d’une pluviométrie suffisante depuis le début de l’année. Le gouvernement norvégien n’exclut pas d’imposer des mesures de restriction si la situation ne s’améliore pas.

    L’annonce du gouvernement norvégien est en train de donner des sueurs froides à ses voisins. Bien qu’elle ne fasse pas officiellement partie de l’Europe, la Norvège est un acteur essentiel dans l’équilibre du marché électrique du continent. Outre sa production gazière, elle exporte massivement son hydroélectricité vers la Suède, la Finlande, les Pays-Bas ou l’Allemagne. En octobre dernier, le Royaume-Uni a inauguré un nouveau réseau haute tension lui permettant d’importer 1,4 GW de Norvège.

    L’annonce d’une possible limitation des exportations norvégiennes serait un nouveau coup porté au système électrique européen. D’autant que tous ses voisins ont choisi de développer la production électrique par éoliennes pour remplacer les énergies fossiles. Or cette production est à son niveau le plus bas : il n’y a pas ou peu de vent actuellement en raison des canicules successives et de la permanence d’anticyclones.

    À l’exception de l’énergie solaire, qui ne représente que 5 % en moyenne en Europe (mais bien plus en Europe du Sud) , le marché électrique européen ne tient donc plus qu’avec les centrales thermiques, fonctionnant notamment au gaz. Si la sécheresse perdure, les tensions risquent de s’exacerber. Et en dépit de toutes les admonestations de la Commission européenne, l’exemple de la Norvège, privilégiant la préservation de sa sécurité électrique et sa population, pourrait créer un précédent et faire école ailleurs.