François Isabel

Ni dieu, ni maître, nirvana

  • À Marseille, les oubliés de la grotte Cosquer remontent à la surface
    https://www.francebleu.fr/infos/culture-loisirs/a-marseille-les-oublies-de-la-grotte-cosquer-remontent-a-la-surface-16631

    La réplique du « Lascaux sous-marin » triomphe à Marseille depuis juin. Un groupe d’anciens plongeurs et amis du découvreur officiel n’apparaît pas dans l’exposition. Or, selon eux, Henri Cosquer n’a pas été seul pour découvrir les peintures de la grotte qui porte désormais son nom.

    Depuis son ouverture en juin, 400.000 personnes -dont les trois-quarts sont des entrées payantes- ont visité la réplique de la grotte préhistorique sous-marine Cosquer à Marseille. Un trésor de l’humanité sommeillait en immersion au large du Cap Morgiou entre Cassis et Marseille : des dizaines de dessins et gravures datant de plus de 36.000 années.

    Le succès fou de la reproduction, à côté du MUCEM, dépasse toutes les prévisions. Lors de votre visite, vous ne verrez aucune photo, vous ne lirez aucun nom des trois autres plongeurs qui ont découvert les peintures rupestres. Le film de dix minutes exalte la fascinante découverte, il est entièrement centré sur Henri Cosquer.

    « Cette aventure était composée de quatre personnes [...] Tu nous as écartés, tu nous as tourné le dos »- Yann, un « oublié » de la grotte Cosquer

    Pas de trace de Pascale, Cendrine et Yann. Les oubliés. À France Bleu Provence, ils affirment qu’aujourd’hui, ils ne réclament pas d’argent. Non, ils ne rêvent pas de gloire. Non, ils ne souhaitent pas que la grotte souterraine soit débaptisée. Ils ne remettent en cause ni l’extraordinaire découverte, ni la puissante réplique qui triomphe à la Villa Méditerranée.

    Ils ne sont pas là pour gâcher la fête, mais sans eux, il n’y aurait pas de fête. Yann Gogan insiste : « Cette aventure était composée de quatre personnes. Cendrine, Pascale, Henri et moi. Comme je lui ai dit quand il m’a téléphoné en mars : ’Tu nous as écartés, tu nous as tourné le dos’. Je le connais depuis que j’ai 14 ans. Je l’ai considéré comme un grand-frère ».

    Retrouvailles 30 ans après la découverte des peintures de Cosquer

    Ce vendredi 16 septembre 2022, « les oubliés » se réunissent à Marseille, pour la première fois depuis 30 ans, en compagnie de tous ceux qui ont approché l’aventure. Marc Van Espen descend de Belgique pour cette soirée exceptionnelle. Marc, avec son frère Bernard, était des toutes premières plongées autour d’Henri.

    Cendrine, la nièce d’Henri Cosquer, vient d’atterrir à Marignane. Elle vit en Martinique depuis de nombreuses années. « On retrouve notre bande de potes. Mon histoire avec la grotte est une aventure d’amitié que je souhaite à tout le monde de vivre. Un lien indéfectible. J’aurais rêvé d’une autre fin. » Cendrine a du mal à retenir ses larmes, sous les platanes de la petite maison de Pascale dans le quartier de l’Estaque où elle nous reçoit, au côté de Yann, autour d’un premier apéro de retrouvailles. "Nous, on était comme dans « Le château de ma mère ». On était des gamins dans la garrigue, comme le petit Pagnol avec son copain Lili, en train de chercher des trésors."

    La plongée du 9 juillet 1991

    1991. Les jeunes copains passionnés se régalent dans le club de plongée de Cassis qu’Henri a pris en main. De vingt ans leur aîné, Henri dit « le barbu », truculent, expérimenté, est leur mentor, « un grand frère » pour Yann, un plongeur opiniâtre qui transmet sa passion à ces minots. Alors qu’il a découvert en 1985 « le trou » - révélé par un autre plongeur, après avoir atteint la première salle grâce aux frères Van Espen qui ont installé l’indispensable fil d’Ariane, Henri embauche sa bande de jeunes pour explorer ce qui n’est qu’une grotte de plus parmi les myriades de cavités des calanques marseillaises.

    Le 9 juillet 1991, Pascale Oriol, Cendrine Cosquer, Yann Gogan et Henri Cosquer retournent dans la salle 1, le hall d’entrée du rêve.

    Henri Cosquer raconte sa découverte le jour de l’inauguration de la réplique, en juin, sur France Bleu Provence : « Je laisse tomber ma lampe et elle éclaire une main ». Les trois donnent une toute autre version. Cendrine : "Je peux vous le mimer comme si on y était. C’est Yann qui éclaire une main. Henri pense que c’est un tag et il râle. C’est Pascale qui dit : « Et si c’était une peinture rupestre ? » Réponse d’Henri : « Ruspestre, c’est quoi ? »

    Que s’est-il réellement passé ? Nous n’étions pas présents. Ce qui est certain, c’est que la main change tout. La même troupe de quatre plonge deux autres fois en juillet et autant en août. L’exploration dure à chaque fois deux ou trois heures. Un film commence à être tourné, Henri y tient le rôle principal, pour ne pas dire unique.

    Le 1er septembre 1991, trois spéléologues originaires de Grenoble meurent noyés en essayant eux aussi de percer tous les mystères de la grotte. Henri et Yann vont repêcher un corps. Henri ressort le troisième corps avec un plongeur spéléologue secouriste. « Le barbu » comprend aussi que son secret ne sera plus gardé longtemps.

    Deux jours après les décès, le 3 septembre, Henri Cosquer se présente aux affaires maritimes, avec un avocat, et entame les démarches qui vont faire de lui le découvreur unique du lieu. À l’époque, aucune enquête ne sera réalisée sur les conditions de la découverte de la grotte.

    Dix centimes par entrée à la réplique de la grotte Cosquer pendant 20 ans

    C’est la face immergée de la grotte : une manne financière. Dans les années 2000, Henri Cosquer bataille avec les services de l’État dans les tribunaux pour être indemnisé de sa découverte. En vain. Dans les années 2010, le Conseil régional de PACA, dirigé par Christian Estrosi, cherche une utilité à la Villa Méditerranée, coquille vide et onéreuse, non loin de l’embouchure du Vieux-Port.

    En 2017, Henri Cosquer dépose le nom de « grotte Cosquer » à l’INPI, l’institut national de la propriété industrielle. En 2018, la Région lui rachète le nom pour 25.000 euros (hors taxe). Les tortueux boyaux rocheux prennent l’allure d’un bon filon. Dans le contrat de cession, le découvreur obtient de toucher dix centimes (hors taxe) sur chaque entrée pendant vingt ans. C’est le délégataire du service public, l’exploitant de la reconstitution, Kleber Rossillon, qui verse ce pourcentage. Le 3 août 2018, le journal « La Marseillaise » met en lumière les conditions du deal que nous confirme l’actuelle gouvernance de la Région.

    En trois mois, depuis son ouverture, 275.000 personnes ont payé leur ticket d’entrée pour visiter la réplique. On comprend assez vite les enjeux financiers. Henri Cosquer est dans son bon droit. C’est classique. Selon nos informations, le découvreur de Chauvet a même mieux négocié que le Marseillais puisqu’il percevrait 17 centimes pendant 40 ans.
    La réponse sèche d’un Henri Cosquer blessé

    « Aucune réaction. Je n’ai rien à dire. Il y a des journalistes qui parlent de sport, de politique... et il y a des journalistes qui aiment les ragots. C’est lamentable. »- Henri Cosquer

    Pour la grande soirée de retrouvailles ce vendredi à Marseille, Henri sera le grand absent. Les derniers échanges avec la bande ont été cinglants. La parution en juin d’un premier article donnant la parole aux oubliés dans la revue « Archélologia » déclenche les foudres du découvreur. La presse s’en empare. Télérama, la Provence... Henri Cosquer est en colère. Il nous le dit sèchement au téléphone. « Aucune réaction. Je n’ai rien à dire. Il y a des journalistes qui parlent de sport, de politique... et il y a des journalistes qui aiment les ragots. C’est lamentable. »

    On sent le vieil homme blessé. Et très vite des soupçons : « Ils croient que je suis millionnaire ! » Nous lui proposons une réponse en interview sur France Bleu Provence. Il refuse. Fin de la conversation, très courte, sans retour.
    Pourquoi se réveiller 30 ans après ?

    Avant de raccrocher, Henri Cosquer assène à plusieurs reprises qu’il a tout écrit dans son livre de 1992. Dans l’un des derniers chapitres, effectivement, il rend hommage à son équipe, à ses minots d’aventure, avec des mots chaleureux. Mais depuis ? En juin, lors de l’ouverture de Cosquer, au micro de France Bleu Provence, il glisse sans s’appesantir un « on a découvert les peintures ensemble ». « On » n’est pas nommé. Vous pouvez visionner le film hagiographique projeté dans la réplique de la grotte, vous n’apercevrez pas la silhouette palmée des trois autres. « Quand Henri pose au milieu des concrétions, il ne s’éclaire pas tout seul ! Il y en a un de nous qui est derrière en train de l’éclairer. Il ne s’est pas non plus pris tout seul en photo. »

    La prise de conscience qu’il fallait dire toute la vérité a été activée par Lucie Hoonert, cette journaliste d’Archéologia qui les a tous contactés et remis en lien. Tous choqués par une personnification à l’extrême. Yann y voit aussi un des travers des médias qui préfèrent « vendre » l’histoire d’un Indiana Jones qui aurait découvert tout seul le trésor caché.

    « On a été gommés »

    « On a été gommés » résume Pascale. Même pas invités pour l’inauguration. Sans doute pris de remords, après l’ouverture en juin, Henri a fini par passer voir Pascale pour lui offrir deux places. « Et Yann ? » l’interroge Pascale. Henri revient avec une enveloppe et une place que Yann a préféré ne pas utiliser. Question de fierté sûrement.

    « Il suffisait qu’il parle de ses potes, de ses trois amis, même sans nous nommer, et basta ! Cela serait passé comme ça ! », réagit Pascale. Un mélange de colère et de déception. On insiste tout de même. Seraient-ils eux aussi guidés par l’intérêt financier, le plus puissant des fils d’Ariane dans notre monde terrestre ? Ils nous jurent que non. Yann nous dira plus tard dans un SMS plein d’humour qu’il n’est pas rancunier : « Je viens de donner 20 centimes à Henri en prenant deux tickets pour que Cendrine et Marc découvrent Cosquer. On ne pourra pas dire que je veux lui prendre de l’argent ! » Yann, le super plongeur, a très bien gagné sa vie à la Comex dans des explorations au bout du monde. Il est devenu psychologue à la Timone. Il a accompagné des enfants autistes. L’humain est sa priorité. « Nous n’avons pas besoin d’argent. »

    Au passage, tout de même, on imagine Yann Gogan payant les places, et Marc Van Espen et Cendrine Cosquer faisant la queue pour visiter la reproduction de la grotte qu’ils ont découverte il y a trente ans.

    La bande de potes souhaite que l’on raconte la véritable histoire de la découverte de la grotte Cosquer. « C’était la caverne d’Ali Baba. » "Ce grand lac à l’eau cristalline", « grandiose », « ça luisait de partout », « j’étais ébloui »... Quand ils en parlent, ils replongent. Le souvenir reprend vie autour d’une tapenade dans ce petit jardin de l’Estaque, trente ans plus tard. Ils en tremblent encore. Sûrement la plus belle aventure de leur vie. Pascale résume : « Moi aujourd’hui, quand je dis que j’étais là quand on a découvert les peintures, personne ne me croit. Or, il n’était pas tout seul. C’est très dommage que ce ne soit pas une histoire de copains ».