François Jarrige, Sobriété énergétique, un nouvel oxymore ?, 2020 – Et vous n’avez encore rien vu…
▻https://sniadecki.wordpress.com/2022/10/10/jarrige-sobriete
Certains annoncent la miraculeuse fusion nucléaire, d’autres attendent tout des énergies dites renouvelables, alors que l’électricité et l’hydrogène sont présentés comme plus écologiques, sans parler des innombrables promesses qui circulent autour de l’ « énergie libre » obtenue au moyen de dispositifs capables de produire une énergie supérieure à celle qu’ils reçoivent, et qui offrirait donc un potentiel de puissance gratuit et presque infini, seul l’omerta des grands groupes énergétiques capitalistes empêcherait son développement. Ces promesses d’énergies infinies et quasiment gratuites réactivent le vieux rêve du mouvement perpétuel, elles fleurissent et circulent en maintenant vivant le mythe sclérosant selon lequel un génie ou une innovation miraculeuse pourrait nous sauver.
Mais cette quête incessante du graal énergétique détourne d’autres trajectoires plus modestes et sans doute plus réalistes. La domination croissante de l’écologie modernisatrice et technophile prolonge et réactive aujourd’hui l’ancien solutionnisme technologique né au milieu du XIXe siècle lorsque s’est installée la société industrielle et ses nouvelles représentations positives de l’innovation [1]. Mais ce techno-fix, ou confiance excessive dans le remède technologique, devient de plus en plus problématique à mesure que les destructions et impasses du modèle énergétique dominant sont mieux documentées.
[…]
L’innovation et les convertisseurs permettant de tirer profit des sources d’énergie primaires renouvelables ne sont pas la solution aux défis écologiques, ils sont un des instruments qui doit accompagner la sobriété et la décroissance des productions et consommation tout en réinventant un autre rapport au monde.
Loin d’une nouveauté, il faut par ailleurs rappeler combien la sobriété a longtemps été une évidence. Elle était dominante lorsque l’accès à l’énergie était marqué par des contraintes importantes, faisant de fait des mondes anciens des sociétés de faible intensité énergétique. Durant une grande partie de l’histoire humaine, les populations ont su s’organiser pour répartir des sources d’énergies peu abondantes, gérer la pénurie pour se chauffer, s’alimenter, se déplacer, ou produire des biens. Par la suite la sobriété a de plus en plus été interprétée, à partir du XIXe siècle, comme un signe de misère ou de retard.
[…]
La sobriété apparait dans des choix rendus invisibles par la fascination dominante pour les grandes technologies puissantes utilisant les énergies fossiles. Beaucoup d’acteurs font pourtant d’autres choix, au grand dam des modernisateurs. Ainsi, l’essor de la production et de la consommation passe souvent au XIXe siècle par l’adoption des petits moteurs simples et fabriqués localement, comme les manèges de chevaux, les manivelles et autres dispositifs modestes et robustes permettant d’accroître la force disponible et le travail, sans passer par les technologies de la vapeur, en particulier dans les pays comme la France qui manquaient structurellement de charbon et de pétrole.
Il est important aujourd’hui d’étudier l’industrialisation en s’écartant de la fascination pour les machines puissantes fondées sur les combustibles fossiles, pour retrouver ce que faisaient réellement les acteurs, quels types d’outils et d’équipement ils utilisaient au quotidien.
#François_Jarrige #énergie #sobriété #oxymore #capitalisme #low-tech