Les nobles montés, dos droit sur une selle à dossier et accoudoirs, pieds glissés au creux de lourds étriers, tenant d’un poing une lance et de l’autre des rênes, éperonnent leur cheval dans le but de n’aller affronter que des lords et des sirs.
S’ils dédaignent s’en prendre aux archers, ceux-ci, moins bégueules, veulent bien leur tirer dessus.
Pendant que les montures masquées et flanquées de métal écrabouillent de leurs sabots les côtes du percheron tué qui, du coup, lâche de gros pets à la tronche d’Antoine de Chartres (décidément…) qui se trouve lui-même piétiné par d’autres chevaux le faisant entièrement disparaître sous plus d’un mètre de boue (ah ben dis donc, ce n’était pas sa journée), les longbowmen vident une partie de leur second carquois sur des étalons en longue robe à pompons dorés jetant leur cavalier.
-- Ça ne se passe pas bien, ça ne se passe pas bien ! râle l’un d’eux, duc à terre qui aura bien du souci pour se relever.
Une quinzaine de canassons canardés ayant claqué, leurs carcasses gisant sur un flanc ou pattes en l’air tapissent ce coin de bourbier et facilitent le passage au galop du cortège de la cavalerie lourde.
Comme quoi, à tout malheur quelque chose est bon.
Ce qui pose en revanche un nouveau problème, c’est comment contourner l’archerie anglaise ?
Qu’Henry V ait positionné son armée au point le plus étroit du champ empêche le contournement de ses troupes par les Français. Le comte de Vendôme, accroché au harnais d’or de son cheval, se scandalise :
-- Pourquoi a-t-on laissé l’ennemi avancer jusque-là ? Quel grave manque d’organisation !
À ses côtés, le seigneur de Dampierre regrette :
-- Si le champ n’avait pas été étranglé par les deux forêts il aurait été aisé de les prendre à revers ! Ils n’auraient plus su de quel côté tirer leurs flèches, pendant que notre avant-garde démontée serait venue s’en débarrasser à coups d’épée.
Plus qu’une seule solution : dévier notre course vers le centre pour traverser l’archerie jusqu’aux milords en acte d’apothéose !
Extrait du livre
"Azincourt par temps de pluie"
de Jean Teulé
chez Mialet-Barrault éditeurs
décédé hier à Paris.