Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Steinbeck enterre la megafusion tant redoutée par l’édition américaine
    https://actualitte.com/article/108672/droit-justice/steinbeck-enterre-la-megafusion-tant-redoutee-par-l-edition-americaine

    « Je suppose qu’il n’y a jamais assez de livres », avait déclaré Steinbeck. Pour la juge Florence Pan, qui a publié un long document en appui à sa propro décision d’empêcher le rachat, cette phrase a deux sens. Le premier porte sur le pouvoir des ouvrages, dans leur capacité à éduquer, enrichir et explorer les possibles. Mais avec un marché de l’édition américaine qui pesait 11,5 milliards $ en 2019, cette sentence « sonne également juste, dans une acception économique », poursuit la juge en introduction.

    Ainsi, face aux impératifs commerciaux, la justice aura donc bien agi en s’opposant à la concentration éditoriale que représentait la transaction PRH/S&S, à même de bouleverser le paysage.
    Concurrence dans les choux

    La somme engagée par la société mère, Bertelsmann, pour cette emplette était de 2,175 milliards $. Or, si l’accord échoue — et il semble mal engagé —, le groupe sera redevable de 200 millions $ à Paramount, en dédommagement. Suite au verdict, Bertelsmann avait immédiatement dégainé un communiqué annonçant sa volonté d’interjeter appel. Et ce, parce que le regroupement serait « favorable à la concurrence », de son point de vue. Une notion qui était pourtant le fer de lance de la procédure engagée contre PRH par le Department of Justice.

    À LIRE : “Vivendi nous suivrait pour le rachat de Simon & Schuster” (Lagardère)

    Dans le mémorandum dévoilé ce 7 novembre (voir en fin d’article), la juge Pan s’est prononcée en faveur de l’ensemble des arguments qu’avançait le ministère de la Justice. Et de pointer que les best-sellers représentent 70 % des avances que les éditeurs versent aux auteurs. « La concentration post-fusion remettrait en cause la pertinence du marché : l’entité en découlant obtiendrait des parts de marché de l’ordre de 49 %, soit plus du double de son concurrent le plus proche », relève-t-elle.

    Et d’affirmer que les défenseurs n’ont pas su réfuter efficacement les éléments qu’opposait le gouvernement quant au préjudice concurrentiel. Selon elle, Simon & Schuster deviendrait une simple filiale du groupe, et que l’engagement du CEO, Markus Dohle, à le traiter comme une entité à part entière dans les enchères sur les achats de droits, « était inapplicable ».

    La juge Florence Pan insiste par ailleurs sur le fait que, si certaines enchères ne vont pas au mieux-disant économiquement, elles ne seraient que marginales. « Bien que le choix de l’éditeur soit sans aucun doute important, l’agent soumet en règle générale le livre à une liste préétablie de structures sélectionnées. Et il peut donc opter pour la meilleure offre parmi les sociétés en lice. » Le bon éditeur, un stricte question d’argent ? Tout le monde ne serait pas raccord...

    Dès lors, une mégacorporation PRH-S&S conduirait automatiquement à ce que les avances diminuent pour les auteurs. D’ailleurs, il ne serait pas même nécessaire de les voir diminuer drastiquement « pour que les auteurs soient lésés ». La fusion aurait en effet pour autre conséquence de ralentir la croissance que le marché a enregistrée ces dernières années. Elle serait alors en proie à un paradoxe où les éditeurs achèteraient les livres plus cher qu’aujourd’hui, mais moins qu’ils ne les auraient obtenus si le rachat avait été validé.

    Et surtout, les best-sellers (et leurs agents) auraient moins de guichets auxquels proposer leurs nouveautés : « [I]l sont donc vulnérables aux comportements anticoncurrentiels. » C’était là un des arguments majeurs du DoJ : d’après son analyse, les auteurs qui obtiennent 250.000 $ d’avance, ou plus, seront les premiers frappés.

    « Les gens veulent lire. Et les éditeurs de livres détiennent un énorme pouvoir et la responsabilité de décider quels ouvrages — donc, quelles idées et histoires — seront largement diffusés au public », conclut Florence Pan. Coup de grâce ? Nombre de commentateurs voient en effet dans ce document la guillotine qui s’abat définitivement sur la nuque de Bertelsmann.
    Souviens-toi du prix desibouk et d’Apple...

    D’autant que Pan rappelle, non sans malice, qu’une dizaine d’années plus tôt, un certain Apple fut condamné pour entente sur la fixation du prix des livres numériques. Et qu’à ce titre, tous les groupes éditoriaux américains — le Big Five — furent mis en cause. Ils préférèrent s’acquitter d’une amende moins lourde qu’une condamnation au terme d’un procès usant et coûteux. Or, il y avait là « des preuves solides de mesure probablement unilatérales et coordonnées », qui lésaient les clients.

    Si les éditeurs furent capables de telles méthodes, laisse-t-elle entendre, comment PRH n’absorberait-il pas S&S sans autre forme de procès ? Cette collusion avec Apple avait conduit à une amende de 166 millions $ infligés aux sociétés et de 450 millions $ pour la firme de Cupertino. Les Big Five ont démontré à l’époque qu’ils n’étaient pas fiables et se livraient à des ententes tacites, voire des pratiques déloyales : PRH n’échappera pas à ce grief…

    En outre, plusieurs signes font déjà état de frictions : récemment, un agent fut contraint de redémarrer une enchère, parce que sa première offre ne comprenait pas les droits audiolivres. Dans le milieu, la consigne des éditeurs serait : pas de droits audio, pas d’achat. Et justement, S&S avait refusé de soumettre une offre — de même que les autres membres du Big Five.

    « Il est révélateur que, dans un marché déjà sujet aux collusions, où un comportement adopté collégialement s’avère déjà endémique, l’acquisition de S&S par PRH renforcerait la structure oligopolistique du marché », en déduit Pan. Et la messe est dite...

    Cet avis surgit dans les débats une semaine après que la juge a rendu son verdict final — le mémorandum avait été bloqué pour que les avocats des parties en expurgent les éléments d’informations confidentielles et trop sensibles.

    Le memorandum est disponible ci-dessous, en consultation et/ou téléchargement :

    #Edition #Fusion #Marché_livre #Etats-Unis