• À la recherche (vaine) de la boucle prix-salaires | Mediapart | 25.11.22

    https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/251122/le-fmi-confirme-que-la-boucle-prix-salaires-est-d-abord-un-recit-conservat

    Ou comment le FMI itself - enfin, sa recherche - dynamite l’argument moisi de Macron et de ses potes pour maintenir les salaires au sol.

    Une étude publiée le 11 novembre dernier par la recherche du FMI, rédigée par six économistes, vient confirmer l’aspect fantomatique de cette notion et, partant, sa simple fonction répressive.

    Ce « working paper » a examiné les données dans trente-huit pays avancés entre le premier trimestre de 1960 et le quatrième de 2021 à la recherche d’une boucle prix-salaires.[...] les économistes ont retenu une méthode : [1.] identifier une accélération concomitante des prix et des salaires nominaux (ceux qui sont effectivement versés) pendant au moins trois trimestres sur quatre de suite ; si cette situation se répète pendant trois ans, l’étude considère que l’on a un « épisode » constituant les conditions d’une boucle prix-salaires [...] ; et [2.] observer si, comme le prétend Emmanuel Macron, « on ne peut plus l’arrêter », autrement dit, savoir si la hausse des prix et des salaires s’auto-entretient durablement.

    Réponse : pas vu Keyser Söze

    Dans l’immense majorité des cas, la situation se stabilise au bout de deux ans.

    Les données concernant les salaires sont parfois difficiles à rassembler. Les économistes du FMI ont donc intégré les salaires du secteur manufacturier, disponibles pour les années 1960 et 1970, mais, par exemple, les données françaises ne remontent pas au-delà de 1990. Néanmoins, on dispose de données assez fiables pour les États-Unis sur l’ensemble de la période. En définitive, l’étude du FMI identifie 79 épisodes de boucles prix-salaires (cent en prenant en compte les seuls salaires manufacturiers).

    L’étude utilise ensuite le modèle théorique de la « courbe de Phillips », qui relie les salaires et les prix, pour observer s’il existe, dans ce cadre, une augmentation des prix qui s’expliquerait par d’autres données que la situation de la productivité et du marché du travail. Car c’est cela le fondement théorique de l’emballement prix-salaires : les hausses de salaire conduiraient à des hausses de prix injustifiées qui, à leur tour, mèneraient à des hausses de salaire.

    Or, en moyenne, lors des épisodes identifiés, la hausse des salaires nominaux reste inférieure à ce que les niveaux d’inflation et d’emploi suggéreraient. Dans ce cas, ce ne sont donc pas les salaires qui peuvent déterminer l’accélération des prix. Autrement dit, conclut l’étude du FMI, « les boucles prix-salaires, définies comme une accélération continuelle des prix et des salaires, sont difficiles à identifier dans les données historiques ».

    Dans l’immense majorité des cas, la situation se stabilise au bout de deux ans. Ce qui signifie clairement que ce qu’a indiqué Emmanuel Macron est une erreur factuelle et intellectuelle.

    L’erreur est d’autant plus grave que les économistes du FMI ont concentré leur étude sur des cas proches de celui que l’on connaît aujourd’hui, où les salaires réels chutent significativement et où l’emploi résiste bien. Cette situation se retrouve dans 22 des 79 épisodes identifiés. Schématiquement, dans ce cas, la hausse des salaires nominaux est insuffisante lorsque l’inflation est forte et effectue un rattrapage par la suite, mais finit par se stabiliser. Là encore, et encore davantage que dans le cas général, il n’y a aucun effet d’entraînement.

    • mais aussi :

      Il faut être clair. L’étude du FMI n’est pas en elle-même un plaidoyer pour l’indexation salariale puisqu’elle décrit des phénomènes d’ajustement autour de l’équilibre. Son usage de la courbe de Phillips, par ailleurs, est contestable. Mais il permet néanmoins d’ôter toute réalité à la boucle prix-salaires, y compris dans une perspective orthodoxe, ce qui n’est pas rien.

      Comme souvent avec la science économique, les modèles et les théories ne décrivent pas la réalité et ne permettent en aucun cas une prédiction fiable. Dès lors, on semble bien loin d’une « science », on est plutôt dans la construction de récits utiles à la poursuite d’un certain ordre économique.

      Dans les années 1970, l’inflation, qui était principalement le fruit d’une baisse structurelle de la profitabilité et du caractère monopolistique du capitalisme d’alors, a été utilisée pour blâmer les salariés et, surtout, pour casser un certain nombre de protections du monde du travail, à commencer par les cadres de négociations collectives et l’indexation salariale. L’étude du FMI confirme donc ici que ce qui constitue le récit central des néolibéraux depuis un demi-siècle pour justifier la contre-révolution néolibérale est inconsistant.

      La désindexation des salaires n’a pour but que de faire porter aux salariés le coût de l’inflation au bénéfice du capital.

      Car si, dans le cadre théorique du FMI, la boucle prix-salaires n’est pas identifiable, y compris dans des pays où les salaires ont été ou sont encore indexés (comme la Belgique), alors l’indexation ne saurait être l’épouvantail que décrit Emmanuel Macron.
      [...]
      La posture « pédagogique » d’Emmanuel Macron, qui s’accroche au récit orthodoxe dominant, est donc une tromperie. Elle disqualifie un outil utile [l’indexation des salaires] alors même que les salariés français viennent de subir trois trimestres consécutifs de baisse de leurs salaires moyens réels (-2 % sur un an au troisième trimestre).

      Cela n’est pas étonnant puisque deux semaines auparavant, l’hôte de l’Élysée affirmait faire sa priorité de la modération salariale, pour sauvegarder la compétitivité externe. En cela, il prouve encore quelle est la réalité de sa politique économique : celle d’une politique de classe.

      En passant, le FMI, qui soutient cette politique et réclame même qu’elle soit encore aggravée, ferait bien d’écouter sa recherche. On sera, sur ce point, fort pessimiste car depuis plusieurs années, l’institution reste enfermée dans une doxa que sa division de recherche ne cesse de malmener. Là encore, on ne peut qu’y voir une volonté de défendre des politiques non pas rationnelles, mais en faveur de certains secteurs du capital.