Lyco

Craignosse, les turlutosses !

  • Après l’embargo sur le pétrole russe, l’Europe dans le brouillard
    https://www.mediapart.fr/journal/international/051222/apres-l-embargo-sur-le-petrole-russe-l-europe-dans-le-brouillard

    La réponse de Vladimir Poutine a été immédiate. Dès que l’idée d’un plafonnement du prix de vente de son pétrole a été évoquée par le gouvernement américain, il a fait savoir qu’il refuserait tout contrat aux pays qui tenteraient de lui imposer cette règle. Le Kremlin n’a pas varié de position depuis. « Nous n’accepterons pas ce plafonnement », a confirmé le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, le 3 décembre. Il a indiqué que le gouvernement russe annoncerait ses décisions très rapidement.

    Certains analystes se prennent à espérer, tout comme le gouvernement américain, que le plafonnement « modéré » du prix du pétrole russe incitera Vladimir Poutine à adopter une réponse elle aussi mesurée, relevant essentiellement de la symbolique.

    D’autres affichent une position beaucoup plus pessimiste. Pour eux, le président russe ne peut qu’adopter une réponse dure. D’abord parce que le principe même du plafonnement, selon lui, s’inscrit dans une ultime tentative des pays occidentaux de reprendre la main sur un marché mondial du pétrole qui leur a échappé depuis longtemps, en imposant leurs conditions. Ce qui est inacceptable pour Vladimir Poutine. L’ensemble des pays producteurs, qui redoutent qu’à un moment ou à un autre les États-Unis cherchent à leur imposer le même genre d’impératifs, partagent l’analyse.

    Ensuite, relèvent ces analystes, Vladimir Poutine, dans cette guerre d’Ukraine, dans ses réponses aux #sanctions occidentales, fait preuve d’un irrédentisme sans limite : le rationnel n’a plus cours. Depuis l’invasion de l’Ukraine, le président russe a sacrifié sans hésitation une grande partie de son industrie gazière. Pourquoi hésiterait-il à faire de même pour son industrie pétrolière.

    « Nous vendrons du #pétrole et des produits raffinés seulement aux pays qui travaillent avec nous selon les conditions de marché. Même si pour cela nous devons réduire notre production », a précisé Alexander Novak, vice-président du gouvernement russe, le 4 décembre.

    Anticipant le durcissement, Moscou a adopté depuis le printemps toute une série de dispositions pour échapper aux sanctions occidentales et consolider son commerce de pétrole. Afin de ne plus dépendre du dollar, monnaie de référence dans les échanges pétroliers, la Banque centrale de Russie a mis au point avec la Chine et l’Inde des transactions en monnaie locale et des instruments financiers de conversion entre eux.

    Le gouvernement russe, par l’intermédiaire d’un de ses bras publics, a créé une compagnie d’assurance et de réassurance publique pour les #transports_maritimes et ses cargaisons de pétrole et de gaz, dans le but de contourner le veto des grandes compagnies d’assurance maritime britanniques et européennes. Le gouvernement chinois a déjà informé qu’il reconnaissait cette nouvelle compagnie d’assurance.

    Mais c’est surtout du côté des transports maritimes que le gouvernement russe semble avoir déployé tous ses efforts. Depuis l’été, une étrange frénésie sévit dans ce secteur : les pétroliers, les supertankers changent de main et de pavillon à une vitesse impressionnante. Chinois, Russes et Indiens achètent des bateaux à tour de bras. Mais surtout, nombre de bateaux sont devenus la propriété de personnes et de compagnies totalement anonymes. Selon Bloomberg, quelque 10 % de la flotte mondiale des tankers appartiennent désormais à des propriétaires inconnus, renforçant encore l’opacité du secteur.

    Si personne n’est en mesure d’évaluer les conséquences immédiates de l’#embargo européen sur le marché du pétrole, beaucoup ont déjà inscrit un autre rendez-vous pétrolier important dans les semaines à venir : le 5 février, l’Europe doit étendre son embargo à tous les produits raffinés en provenance de la Russie.

    Or ceux-ci constituent des approvisionnements essentiels pour les pays européens et les États-Unis, et notamment le #diesel. 60 % du diesel consommé en Europe est fourni par la Russie. Et il n’y a guère de moyens de substitution, d’autant que le diesel commence à manquer partout. « Dans les mois qui viennent, pratiquement toutes les régions du monde courent le risque de faire face à une pénurie de diesel », avertit Bloomberg.

    Aux États-Unis, les stocks de diesel sont à leur plus bas niveau depuis 1982 : ils sont à peine de vingt-cinq jours. En Europe, la situation est d’autant plus tendue que de nombreux outils de raffinage ont fermé avec la pandémie et n’ont pas rouvert après. Les mouvements de grève dans les raffineries en France et aux Pays-Bas ont encore aggravé les tensions. « C’est la pire crise dans le diesel que j’ai connue », dit Dario Scaffardi, ancien dirigeant du raffineur italien Spara.

    Or le diesel est indispensable dans les transports et nombre d’industries. Vladimir Poutine, qui a déjà utilisé le gaz, va-t-il se priver d’utiliser cette arme, pour mettre un peu plus les économies européennes à genoux, au moment où les opinions publiques redoutent déjà de manquer de gaz et d’électricité pour passer cet hiver ? Il semble déjà déterminé à faire payer un prix exorbitant à l’Europe. Et celle-ci ne paraît pas s’être préparée à y faire face.