• Santé : « Non, monsieur Macron, l’hôpital n’a pas tenu. Il est même en voie d’effondrement »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/16/sante-non-monsieur-macron-l-hopital-n-a-pas-tenu-il-est-meme-en-voie-d-effon

    Membre du conseil de surveillance de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le professeur Bernard Granger revient sur les annonces – qu’il juge insuffisantes – faites par le chef de l’Etat.

    Le président de la République a présenté ses vœux aux acteurs de la santé, le 6 janvier. Il a répété le mantra selon lequel l’hôpital aurait tenu. Si tenir c’est offrir une médecine dégradée, si tenir c’est laisser mourir des patients faute de soins, si tenir c’est laisser des malades entassés sur des brancards, si tenir c’est annuler ou repousser des venues programmées, si tenir c’est faire fuir les personnels, alors, oui, l’hôpital a tenu. Si tenir c’est répondre aux besoins et aux demandes selon les règles de l’art, si tenir c’est avoir suffisamment de personnels et de lits disponibles, si tenir c’est assurer l’urgence dans des conditions dignes, si tenir c’est rester attractif, alors, non, l’hôpital n’a pas tenu. Il est même en voie d’effondrement. Certes, le chef de l’Etat ne reste pas dans le déni et montre qu’il connaît certaines des difficultés de l’hôpital public, mais on peut se demander s’il en mesure réellement l’ampleur.

    Nous avions eu la naïveté d’imaginer un monde d’après la pandémie différent du monde d’avant. Avec d’autres, nous avions écrit dès mai 2020 : « Qu’on en finisse avec cette politique de rentabilité des séjours, utiles ou non, du moment qu’ils “rapportent” ! Qu’on en finisse avec les demandes inutiles de “reporting”, codage et rapports ! Qu’on en finisse avec l’hôpital en flux tendu ! Il faut augmenter le nombre de lits et étoffer les équipes soignantes. Le temps administratif doit être réduit au profit du temps précieux du soin et de la recherche. » Les évolutions législatives récentes, en particulier la loi Rist du 26 avril 2021, ont paru timorées, et surtout ce texte n’est pas appliqué avec zèle par les gouvernances hospitalières, qui ont une attitude conservatrice, notamment à l’égard des services, lesquels devraient redevenir les interlocuteurs directs de l’administration. Les soignants ont le sentiment que les vieilles et mauvaises habitudes sont revenues au galop sitôt le plus fort de la crise due au Covid-19 passé.

    Nous avons été plus de 5 000 soignants à faire récemment, dans ces colonnes, des propositions : l’affectation des agents dans un service de soins, cellule de base de l’hôpital, comme l’a rappelé le président de la République, condition pour trouver une reconnaissance et donner du sens à leur travail ; un ratio maximal de patients par infirmière, pour que la charge de travail ne soit pas un facteur dissuasif ; en finir avec le directeur « seul patron à l’hôpital » ; une modulation des recettes allouées aux établissements sur des critères simplifiés.

    Certes, les vœux du chef de l’Etat ont pris en compte certaines des préoccupations des soignants. Nous y avons en particulier entendu la réponse à une demande maintes fois exprimée : la sortie de la T2A [tarification à l’activité, mode de financement des établissements de santé issu de la réforme hospitalière du plan Hôpital 2007]. C’est sa promesse la plus spectaculaire et la plus disruptive, mais elle mérite des éclaircissements. Il ne faudrait pas que nos technocrates bâtissent une nouvelle usine à gaz pour financer l’hôpital, comme c’est malheureusement à craindre.

    Promesses incertaines

    Nous avons aussi entendu dans les propos présidentiels un écho au plan d’action élaboré par le nouveau directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris [Nicolas Revel]. Ce plan va en partie dans le sens de ce que les soignants préconisent : un nombre suffisant de personnels au lit du malade, davantage de promotions professionnelles, de meilleures conditions de vie des agents (logement, transports), une simplification des procédures selon un principe de subsidiarité, un rôle accru des services et un management plus participatif. Il reste à le mettre en œuvre avec détermination, en disposant des moyens d’en financer les mesures. Ce plan pragmatique mérite d’être soutenu et pourrait servir de modèle.

    Nous restons malgré tout dans l’attente de changements plus profonds. En effet subsistent les restrictions budgétaires imposées par un objectif national des dépenses d’assurance-maladie entraînant mécaniquement des déficits (la rengaine « les moyens sont suffisants, c’est une question d’organisation » n’est plus audible), l’asservissement des activités hospitalières aux impératifs comptables, l’hyper-réglementation et l’hyperadministration, la perte de temps soignant au profit de tâches peu utiles qu’il conviendrait de simplifier ou de supprimer, le millefeuille bureaucratique, la réunionite, le règne du bla-bla, un management obsolète et maltraitant, un modèle économique d’entreprise à base d’indicateurs myopes et manipulables, contresens générateur de gaspillage et d’une médecine d’abattage qui provoque chez les soignants épuisement et souffrance éthique.

    L’analyse de la situation hospitalière par les pouvoirs publics, et notamment par le président de la République, est partielle, d’où des mesures pour y faire face qui risquent de manquer leur but.
    Les optimistes verront dans les vœux du président de la République une avancée et pourront considérer qu’il s’agit d’une étape devant déboucher sur d’autres progrès. Les pessimistes y verront une nébulisation de promesses incertaines. Il est probable que les soignants vont continuer à agir pour que soient renforcées les avancées obtenues grâce, en partie, à leurs inlassables rappels des mêmes arguments, à leurs multiples propositions, protestations et manifestations déployées depuis plus de dix ans. S’il faut remarquer qu’Emmanuel Macron n’a pas jeté aux orties la loi HPST de 2009, qui instaurait l’hôpital entreprise, pourtant une des attentes principales du monde soignant, le chef de l’Etat a toutefois donné l’impression que certains messages étaient entendus. Il faut néanmoins attendre prudemment les traductions concrètes des annonces présidentielles pour juger de leur capacité à redonner du souffle à l’hôpital public.

    Bernard Granger est professeur de psychiatrie à l’université Paris-Cité, membre de la commission médicale d’établissement et du conseil de surveillance de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, auteur d’Excel m’a tuer. L’hôpital fracassé (Odile Jacob, 2022).

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