Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Elinor Ostrom : une économiste pour le XXIe siècle | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/eloi-laurent/elinor-ostrom-une-economiste-xxie-siecle/00103648

    Il apparaît de plus en plus clairement que l’enjeu économique majeur de notre siècle est la réinvention de la coopération sociale en vue d’accomplir la transition écologique. Il y a dix ans presque jour pour jour disparaissait Elinor Ostrom, dont les travaux foisonnants ont éclairé cet enjeu d’une puissante lumière d’espoir.

    « Je suis née à Los Angeles, en Californie, le 7 août 1933, et j’ai grandi pendant la Grande Dépression. Heureusement, notre maison disposait d’une grande cour arrière où nous avons installé un potager et des arbres fruitiers. J’ai appris à cultiver des légumes et à mettre en conserve des abricots et des pêches pendant la chaleur de l’été. »
    Ainsi, Elinor Ostrom décrit-elle les premières années de sa vie, en mêlant subtilement épreuve sociale et ressources naturelles.

    De condition modeste, elle est la première de sa famille à accéder à l’université et parvient à financer ses cours à UCLA en travaillant pour s’engager immédiatement après dans la vie active sans entreprendre de trop onéreuses études doctorales.

    En butte au sexisme ordinaire de l’Amérique des années 1950, elle parvient à s’élever dans la hiérarchie d’une entreprise locale qui, selon ses dires, « n’avait jamais embauché une femme à un autre poste que secrétaire ». Elle décide alors de reprendre ses études universitaires, non sans mal. Voici le récit édifiant qu’elle fait de sa tentative d’entreprendre un doctorat d’économie :

    « Mes premières discussions avec le département d’économie de UCLA concernant l’obtention d’un doctorat furent assez décourageantes. Je n’avais pas suivi de cours de mathématiques en premier cycle parce que l’on m’avait déconseillé, en tant que fille, de suivre au lycée d’autres cours que l’algèbre et la géométrie. Le département d’économie m’ôta l’envie de toute réflexion sur la possibilité d’un doctorat. »
    « Le département de sciences politiques était également sceptique quant à l’admission de femmes à son programme doctoral, craignant pour sa réputation, poursuit-elle. J’ai cependant été admise [en sciences politiques], avec trois autres femmes, parmi 40 lauréats. Après avoir commencé notre doctorat, on nous a fait savoir que le corps enseignant avait eu une réunion houleuse au cours de laquelle notre admission avait fait l’objet de vives critiques. »
    Comment préserver les ressources naturelles

    On l’ignore généralement, mais l’un des tout premiers articles publiés dans la revue qui allait devenir pour longtemps la référence mondiale de la discipline économique, l’American Economic Review, a été écrit par une femme et portait sur les enjeux environnementaux. Katharine Coman se proposa en effet en 1911 d’examiner les problèmes d’action collective liés à l’irrigation dans l’Ouest américain, problèmes d’une actualité brûlante aujourd’hui et qui occuperont Ostrom au cours de son doctorat consacré à l’étude de la gestion de l’eau en Californie.

    Ostrom élargit progressivement son sujet pour répertorier puis analyser systématiquement les institutions qui permettent (ou ne permettent pas) une exploitation soutenable des ressources naturelles. Comment font les pêcheurs de homards du Maine, aux Etats-Unis, pour se répartir équitablement les droits de pêche tout en prenant soin de cette ressource halieutique qui est la garantie de leur niveau de vie ? Voilà concrètement ce qu’Ostrom veut tirer au clair.

    La révolution des communs dont elle sera à l’origine est à la fois une avancée, mais aussi une redécouverte de formes parfois très anciennes de coopération humaine dans le domaine des ressources naturelles (notamment la gestion de l’eau).

    Garett Hardin a montré en 1968 avec sa « tragédie des communs » que des individus n’écoutant que leur intérêt personnel courraient à la ruine collective en croyant s’enrichir, et que seules la privatisation des ressources naturelles ou l’intervention d’une autorité extérieure étaient en mesure de produire et d’imposer des normes pour infléchir ces comportements autodestructeurs, et sauvegarder la prospérité commune.

    Les travaux d’Ostrom (à commencer par Governing the commons : The Evolution of Collective Action, publié en 1990) vont démontrer, à l’inverse, que les institutions qui permettent la préservation des ressources par la coopération sont engendrées par les communautés locales elles-mêmes. C’est donc une double invalidation de l’hypothèse de Hardin : la coopération est possible, et elle est autodéterminée.

    Eviter la « tragédie des communs »

    Ostrom part d’une découverte fondamentale faite en laboratoire au moyen de « jeux » : les individus coopèrent beaucoup plus que ne le présuppose la théorie standard. Elle va vérifier cette intuition, sur le terrain, à travers le monde.

    Dans des centaines de cas minutieusement documentés, les humains parviennent à éviter la « tragédie des communs » en construisant des règles collectives dont les piliers sont la réciprocité, la confiance et la justice. Qu’il s’agisse de rivières à préserver de la pollution, de forêts qu’il faut exploiter raisonnablement tout en les entretenant, de poissons qu’il faut pêcher avec modération pour leur permettre de se reproduire, de la Suisse au Japon, des systèmes d’irrigation espagnols aux systèmes d’irrigation népalais, les humains se montrent capables de coopérer pour préserver, conserver et prospérer.

    A partir de ses observations de terrain, Ostrom va s’attacher à définir les grands principes, au nombre de onze, d’une gestion soutenable des ressources communes (pages 37-38).

    Expériences de laboratoire, travail de terrain, dispositifs empiriques, cadre théorique : Lin Ostrom jongle, à pied d’œuvre dans son Atelier de l’université de l’Indiana, avec les méthodes et les approches, entre science politique, psychologie sociale et études environnementales pour renouveler en profondeur la discipline économique et nous transmettre une formidable leçon d’espoir quant à la poursuite de l’aventure humaine sur la planète.

    Oui, l’intelligence collective humaine peut tout, à condition de comprendre que la technologie d’avenir dans laquelle nous excellons est l’innovation sociale. Lin résume le sens de ses travaux ainsi :

    « Concevoir des institutions pour contraindre (ou inciter) des individus parfaitement égoïstes à parvenir à de meilleurs résultats du fait de leurs interactions sociales a été l’objectif majeur assigné aux gouvernements par les chercheurs au cours du dernier demi-siècle. »
    « De substantielles recherches empiriques me conduisent à affirmer que l’objectif central des politiques publiques devrait plutôt être de faciliter le développement d’institutions qui font ressortir ce qu’il y a de meilleur chez les humains, estime-t-elle. Nous devons nous demander comment des institutions polycentriques variées peuvent décourager ou favoriser l’innovation, l’apprentissage, l’adaptation, la fiabilité, la coopération pour parvenir à des situations plus équitables et soutenables à des échelles multiples. »
    Adam Smith a mis au jour au XVIIIe siècle la fabrique de la richesse économique, Marx en a dévoilé au XIXe siècle les rouages inégalitaires, Keynes a fait de l’Etat, au XXe siècle, le grand mécanicien de l’ordre social. Trois siècles de perfectionnement de la mécanique économique qui débouchent sur la destruction de la biosphère.

    L’économie d’Elinor Ostrom, centrée sur la coopération sociale-écologique, est organique, en prise directe avec notre siècle où les humains se redécouvrent vivants parmi les vivants.

    #Communs #Elinor_Ostrom