• Dématérialiser pour mieux régner : dématérialisation et non-recours | Hubert Guillaud
    https://hubertguillaud.wordpress.com/2022/11/16/dematerialiser-pour-mieux-regner-dematerialisation-et-non-

    La modernisation et la simplification tiennent surtout d’écrans de fumées dont il faut comprendre les logiques et les finalités.

    (...) La #dématérialisation est exclusive. Toutes les procédures d’accès au droit des étrangers sont dématérialisées. Mais pire encore, explique-t-il, impossible désormais d’avoir accès au droit sans passer par des associations ou des avocats. La dématérialisation est devenu un frein à la régularisation des sans papiers et à l’accès au droit. Et malgré les promesses de la mise en place de l’ANEF (l’Administration numérique pour les étrangers en France), un site qui concentre toutes les démarches, rien n’y est à jour.

    Il y a 7 à 8 ans, quand on faisait une demande de titre de séjour, on pouvait déposer un dossier physiquement en préfecture. Il fallait faire la queue très longtemps, mais on pouvait accéder au service sans rendez-vous. Peu à peu, les préfecture se sont fermées, avec la mise en place du rendez-vous obligatoire par internet. Le problème, c’est que la prise de rendez-vous est impossible du fait du système mis en place, comme l’a montré la Cimade avec son enquête, À guichets fermés. Entre 2018 et 2022, il n’y avait que deux solutions pour obtenir un rendez-vous pour un dépôt de titre de séjour en préfecture : l’acheter à des revendeurs sur internet pour 800 à 900 euros, revendeurs qui bookait les outils de rendez-vous des préfectures grâce à des robots, ou passer par un avocat pour contraindre les préfectures à proposer un rendez-vous après être passé au tribunal administratif et avoir fait la preuve que le prise de rendez-vous était impossible. Une magistrate qui s’en amusait disait que les tribunaux administratifs étaient devenus les Doctolib des préfectures – ou, comme le disait Le Monde, de transformer les juges en secrétaires de préfecture ! Le Secours Catholique, la Cimade et d’autres associations ont lancé un contentieux systématique contre ce système. Mais c’est très long. Il faut constituer la preuve que la prise de rendez-vous est impossible : c’est-à-dire pendant 2 à 3 mois, documenter de captures d’écrans l’impossibilité d’en obtenir un par des démarches répétées. Passer devant le tribunal, attendre la réponse de la préfecture… En juin 2022, la préfecture donnait des rendez-vous pour juillet 2023 ! Le contentieux contre la dématérialisation exclusive a été entériné par le Conseil d’Etat, mais c’est encore aux associations d’apporter la preuve !

    Désormais, c’est en train de changer. Les préfectures sont en train de s’adapter au processus démarches simplifiées. C’est encore compliqué parce qu’il faut un identifiant France Connect et un acte de naissance de moins de 6 mois, mais depuis l’avis du Conseil d’Etat, on obtient des rendez-vous. Reste que ça ne règle pas le problème. Le nombre de rendez-vous proposés chaque semaine n’arrive jamais à combler le retard et la demande.

    La folie de la démarche qui s’est mise en place, c’est Habib qui en parle mieux. Habib est sans papier. Il vit en France depuis 2007. Y travaille. Paye ses impôts. Est marié. A des enfants. Quand il a voulu régulariser sa situation, en 2019, il s’est retrouvé pendant des mois à tenter de prendre un rendez-vous sans jamais y parvenir. Alors il finit par faire son dossier avec le Secours catholique. En octobre 2021. Il vient d’avoir un rendez-vous. Il est pour dans un an et 3 jours ! 4 ans donc pour avoir un rendez-vous, on ne parle même pas d’obtenir un titre de séjour auquel, à la vue de son dossier, il devrait avoir largement droit !

    Les conditions implicites de l’accès au droit demande des preuves qu’il faut produire et des compétences numériques qu’il faut mobiliser, alors qu’elles ne sont pas forcément très bien distribuées parmi les administrés. La charge de l’administration revient de plus en plus aux administrés.

    #toctoc #RSA #CAF #séjour #étrangers #allocataires