Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Les « Frankenvirus » au cœur des débats, après l’émergence du Covid-19
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/11/07/le-covid-19-ravive-le-debat-autour-de-la-manipulation-des-virus_6148855_1650

    Les expériences visant à rendre plus dangereux des pathogènes au prétexte d’anticiper leur émergence se multiplient, alors que les experts sont divisés sur les bénéfices et les risques liés à ces manipulations. La discussion est d’autant plus vive que de telles expérimentations avaient cours à Wuhan, épicentre de la pandémie de Covid-19, dont on ignore toujours l’origine.

    Jeu dangereux du « gain de fonction »
    Certes, en apparence, le débat n’est pas vraiment nouveau – d’autant que l’histoire de la virologie est émaillée d’accidents et de fuites de laboratoires, même parmi les plus sécurisés –, mais il a désormais changé d’échelle. Les expériences de recombinaison, de mutation et de « réécriture » de virus (sans même parler des infections de cultures de cellules humaines ou de souris « humanisées ») sont devenues en quelques années extrêmement banales ; et parmi elles, celles qui augmentent la dangerosité des pathogènes sont nombreuses. Les spécialistes qualifient pudiquement ces dernières d’expériences de « gain de fonction » pour indiquer que le pathogène modifié acquiert ou développe une propriété problématique : contagiosité, virulence, évasion immunitaire ou médicamenteuse. Lorsque ces virus aggravés ont un potentiel pandémique, ils sont souvent désignés par le terme moins euphémisé de « Frankenvirus ».
    L’une des premières conséquences du Covid-19 sur la recherche en virologie est qu’elle menace, paradoxalement, de générer encore plus d’expériences dangereuses. La « préparation pandémique » est en effet devenue un thème de recherche vendeur, sans forcément générer de réflexion suffisante sur ce que l’expression recouvre.

    Multiplication des laboratoires de haute sécurité
    On constate en parallèle la brusque accélération d’un vaste mouvement mondial d’équipement en laboratoires de haute sécurité, entamé avant le Covid. Gregory Koblentz, spécialiste américain de biosécurité à George-Mason University (Virginie), indique que la construction de vingt-sept nouveaux laboratoires de niveau BSL-4 (le plus haut niveau de protection, destiné aux pathogènes les plus dangereux, où les chercheurs opèrent en tenue de cosmonaute) a été annoncée depuis le début de la pandémie – alors qu’il en existe aujourd’hui une quarantaine. L’Inde, qui possède un seul laboratoire de ce type, veut en construire quatre autres. La Chine annonce un chiffre analogue. Singapour, le Kazakhstan et les Philippines, entre autres, ont décidé de s’équiper.
    « Il n’y a pas de mécanisme international pour imposer le respect de standards » – Gregory Koblentz, spécialiste de biosécurité à George-Mason University (Virginie)
    Beaucoup de chercheurs se réjouissent de la possibilité de travailler avec les virus localement, et dans de bonnes conditions de sécurité. Mais Gregory Koblentz note aussi que « plus de labos constitue un risque d’accident accru », ajoutant que « les standards internationaux pour gérer de telles structures ne sont pas largement adoptés, et il n’y a pas de mécanisme international pour imposer le respect de ces standards ».

    Epidémie « accidentelle »
    Mais, surtout, le débat sur la virologie dangereuse a été électrisé par le Covid-19, qui a confirmé spectaculairement que le risque d’épidémie déclenchée par la recherche est bien réel. Au fil du temps, l’hypothèse qu’un accident de laboratoire soit à l’origine de la pandémie a discrètement fait son chemin dans les milieux scientifiques. Pourfendue comme complotiste dans une tribune indignée du Lancet publiée en février 2020, vilipendée durant les premiers mois de la pandémie par toutes les sommités de la virologie, cette hypothèse n’a fait que progresser depuis lors. Au point qu’un grand nombre de chercheurs la tiennent désormais, généralement en privé, pour la plus probable.
    Certes, la communauté est divisée, et il est toujours possible que le SARS-CoV-2 soit passé aux humains par l’intermédiaire d’animaux sauvages ou d’élevage infectés, comme cela avait été le cas pour les deux émergences précédentes de coronavirus, le SRAS en 2003 et le MERS en 2012.
    Lire aussi Article réservé à nos abonnés Origines du Covid-19 : l’hypothèse d’un accident à l’Institut de virologie de Wuhan relancée après la divulgation de travaux inédits
    Mais tout de même. Selon les deux principales autorités scientifiques qui ont enquêté sur la question, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’une part, et la commission de haut niveau formée par la revue médicale The Lancet, qui a livré ses conclusions en septembre 2022, de l’autre, en l’absence de la moindre trace d’animal infecté, l’hypothèse de l’accident de laboratoire reste entièrement plausible, bientôt trois ans après le début de la pandémie. Dès juillet 2021, Tedros Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, déclarait à la presse, en réaction à l’opacité des autorités chinoises : « Les accidents de laboratoire arrivent. J’en ai vu et j’ai moi-même fait des erreurs. Donc (…) vérifier ce qu’il s’est passé (…) est important et nous avons besoin d’informations. »

    Dans ce climat délétère, y a-t-il une chance qu’émerge une vision commune sur la façon de réguler ces expériences dangereuses ? Le problème est que l’étendue des désaccords entre chercheurs est considérable. Pour l’illustrer, revenons aux coronavirus chimériques de Boston. D’un côté, leur fabrication a été sévèrement critiquée par de nombreux biologistes, qui ont parlé sur Twitter de « folie » ou d’« irresponsabilité totale ». Plus mesuré, Marc Eloit, de l’Institut Pasteur, n’en considère pas moins qu’une telle expérience est risquée, « puisqu’on sait qu’elle peut changer de manière imprévisible le phénotype [les caractéristiques] du virus résultant ». Et il ajoute qu’à son avis elle n’aurait jamais été autorisée à Pasteur, ni d’ailleurs dans aucune institution de recherche française. « Il ne serait même venu à l’idée de personne de la proposer », assure-t-il, pointant qu’il y a en France une culture de la biosécurité et une aversion au risque différentes de ce que l’on rencontre aux Etats-Unis.
    Désaccords profonds
    Mais Marc Eloit indique également que l’expérience avait une utilité scientifique indiscutable pour comprendre les propriétés des différentes parties du génome du virus. Et à la question de savoir si, au sein d’une institution américaine qui l’autoriserait, il l’aurait lui-même tentée, il a l’honnêteté de répondre qu’il l’ignore. Du reste de nombreux virologues de haut niveau ont énergiquement pris la défense de leurs collègues bostoniens, témoignant d’une profonde division au sein de la communauté.

    #Covid #Origine #Gain_de_fonction #Biosécurité