Frustration_mag

Le magazine de la guerre des classes

  • Comment réussir sa grève de la performance ? – Sabotage au travail (1/2)
    https://www.frustrationmagazine.fr/sabotage-performance

    Depuis quelques mois, les grands médias s’emballent autour d’une tendance selon eux inquiétante et dangereuse : le « quiet quitting », ou « démission silencieuse », se serait emparé de nombre de travailleurs dans le monde, qui s’impliqueraient moins dans leur travail voire, comble de l’horreur, s’en tiendraient strictement aux horaires définis sur leur contrat […]

    • Emile Pouget était un secrétaire général de la CGT au début du siècle passé. À l’époque, la CGT avait une orientation anarcho-syndicaliste : elle prônait la grève comme moyen d’instaurer un rapport de force avec le patronat pour obtenir une amélioration de la condition des travailleurs, comme la journée de 8 h, mais aussi pour aller vers une révolution sociale. Mais la grève n’était pas le seul mode d’action encouragé par la CGT. Le sabotage en faisait également partie.


      Comme le montre Victor Cachard dans son Histoire du sabotage, l’imaginaire actuel du sabotage repose davantage sur son usage militaire, notamment durant la résistance aux nazis. Quand on pense sabotage, on pense destruction de voie de chemin de fer, explosion de bombes, etc. Mais à l’origine, le terme avait une signification plus accessible à n’importe quel travailleur : il s’agissait de travailler plus lentement, de ralentir le rythme, de ne faire que le nécessaire. Mais cela pouvait aller plus loin : Émile Pouget évoque plusieurs exemples de travailleurs qui ont enrayé la production en détournant ou abîmant leurs outils : les coiffeurs de Paris, entre 1903 et 1906, ont mis en œuvre des campagnes de “badigeonnage” des boutiques, c’est-à-dire de dépôt d’un shampoing amélioré par leurs soins (avec des œufs) sur les devantures, pour finir par obtenir un jour de fermeture et de repos hebdomadaire. Ou encore les boulangers dont l’un des modes d’action était de s’en prendre aux pétrins ou bien de réaliser du pain dur et immangeable… 


      Pour Pouget, le sabotage consistait ni plus ni moins à affirmer une morale de classe : ne pas se tuer à la tâche pour un patron, ne pas se laisser exploiter en faisant le dos rond, ne pas travailler plus que ce pour quoi je suis payé. Pour Pouget, la morale du travail “est à l’usage exclusif des prolétaires, les riches qui la prônent n’ayant garde de s’y soumettre : l’oisiveté n’est vice que chez les pauvres. C’est au nom de cette morale spéciale que les ouvriers doivent trimer dur et sans rêve au profit de leurs patrons et que tout relâchement de leur part, dans l’effort de production, tout ce qui tend à réduire le bénéfice escompté par l’employeur, est qualifié d’action immorale.” Saboter, c’est-à-dire au moins traîner des pieds au travail, au mieux empêcher la production en s’en prenant aux outils et à la bonne organisation du travail, est une façon de contrecarrer cette morale de classe, pour en affirmer une autre : ne pas être soumis au patronat et faire du zèle.

      Or, le sabotage au sens le plus ordinaire du terme, c’est-à-dire ne pas surtravailler, est terriblement d’actualité. En effet, la morale dénoncée par Pouget il y a plus d’un siècle s’est imposée dans toutes les entreprises et imprègne notre société. Les récents débats sur la “valeur travail”, invoquée à droite comme à gauche, le montrent, mais pas seulement : dans nombre d’organisations, le surtravail fait partie du fonctionnement normal de la structure. Le zèle n’est pas un petit plus, c’est une exigence de base que les employeurs formulent et contrôlent. De nombreuses stratégies managériales existent pour obtenir des salariés qu’ils donnent le maximum, bien au-delà de ce qui est écrit sur leur contrat de travail. La fixation d’objectif, par exemple, se fait de plus en plus à l’excès. Pour obtenir une prime, il faut désormais “sur-performer”, c’est-à-dire dépasser à la fois ses collègues et ses résultats précédents...

    • Sur la question du sabotage, le mouvement ouvrier a heureusement évolué.

      Quant à la question « morale », le texte rédigé par #Griffuelhes et #Pouget, connu sous le nom de #Charte_d'Amiens, la dépasse, n’opposant pas l’action syndicale à l’action politique — comme le prétendront des décennies plus tard nombre de dirigeants syndicalistes pour justifier leur volonté de réduire la lutte des travailleurs à des revendications tolérables par la bourgeoisie. Cette charte était une véritable proclamation révolutionnaire :

      [...] Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.

      Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale. [...]

      #CGT

    • @recriweb

      Concernant la « charte d’Amiens », je me permets de proposer la version complète (qui assez courte) :

      La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

      Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière. Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique : dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme : d’une part il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste, et d’autre part, il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

      Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.

      Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale.

      Pour moi donc, ce texte s’organise sur trois axes indissociables, que je reformule ainsi :

      1) L’objectif révolutionnaire : l’affirmation comme objectif de « la disparition du salariat et du patronat » et la reconnaissance de la lutte de classe permettant aux travailleurs de combattre toutes les formes d’exploitation et d’oppression de la classe capitaliste. « L’émancipation intégrale [...] ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ».

      2) La « double besogne » , consistant à théoriser l’action syndicaliste au travers de l’articulation entre les revendications immédiates et « l’émancipation intégrale », notamment par la grève générale. Le type d’organisation spécifique permettant d’atteindre ce but – le syndicat – représente « la base de réorganisation sociale », autrement dit, une sorte de préfiguration de la société à construire.

      3) Le syndicat n’est pas la courroie de transmission d’un parti politique (pour le dire avec les mots d’aujourd’hui). Le syndicat regroupe tous les travailleurs, sans aucune discrimination philosophique, politique ou religieuse. « En réciprocité, [il est demandé au syndicaliste] de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. [...] les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. »

      Il m’est souvent arrivé de constater que la « charte d’Amiens » est utilisée ou citée sans prendre en compte la totalité des arguments. Ainsi, on peut reconstruire le sens de ce texte, en prenant tel ou tel morceau et faire valoir un point de vue qui ne correspond pas toujours aux intentions d’origine. En dépit de ces diverses déformations, la « charte d’Amiens » est souvent dotée d’une valeur quasi biblique. Un comble.

      Le caractère aggravant à ces "mutilations" d’un texte, pourtant très court, vient du fait que certains mots n’ont plus le même sens aujourd’hui qu’à l’époque de la charte d’Amiens. Plus exactement, parce que le sens des mots, tels que « politiques » ou « lutte économique », ne sont plus exactement les mêmes, il faudrait éviter d’employer ces termes sans les expliciter et les contextualiser.

      Voyons rapidement les principales omissions opérées sur la charte d’Amiens. J’en ai repéré trois :

      Première omission : le contenu révolutionnaire. Les réformistes d’aujourd’hui ne reprendront, effectivement que le contenu « apolitique » du texte (indépendance des syndicats vis à vis des partis) et, associé à cette mise en exergue décontextualisée, ils évacueront complètement le contenu révolutionnaire. Beaucoup de confédérations syndicales tiennent cette ligne.

      Il me semble évident que, s’ils professaient la plus vive méfiance quant aux risques d’inféodation et de noyautage des syndicats par les partis socialistes (comme cela se faisait dans d’autres pays), les syndicalistes révolutionnaires français de 1906 se donnaient clairement un but « politique », tel qu’on l’entend aujourd’hui : renverser l’exploitation capitaliste. Sur ce point, je pense que nous serons d’accord, @recriweb.

      Au moment de la charte d’Amiens, pourtant, les syndicalistes révolutionnaires n’auraient jamais utilisé le mot « politique » pour exprimer leur objectif révolutionnaire : à l’époque (comme, au moment de la première internationale) le mot « politique » faisait essentiellement référence au parlementarisme.

      On remarque, d’ailleurs, le terme « lutte économique », employé au début du texte qui désigne les termes de la lutte de classes.

      Aujourd’hui, le mot « politique », dans son acception révolutionnaire, est réhabilité par beaucoup de libertaires et par la gauche extraparlementaire (terme, là aussi, utilisé depuis la dépréciation de l’expression "antiparlementaire", employée pourtant par les anarchistes du 19e puis par l’extrême droite).

      On pense au « tout est politique » soixante-huitard. On utilisera, par exemple, l’expression « le » politique (révolutionnaire) au lieu de « la » politique (réformiste). Donc le fait d’évoquer « l’apolitisme » de la charte d’Amiens en 2022 sans apporter ces précisions conduit aux plus grandes confusions.

      Il est évident que, par exemple, la lutte sur les retraites est une lutte politique mais cela ne signifie pas - en tout cas, selon moi - qu’elle doit conduire à un « débouché politique » (terme souvent utilisé) qui serait nécessairement l’élection d’un président ou de députés. Le syndicaliste est conduit en permanence à proposer ces explications pour essayer de clarifier les choses : combattre « l’apolitisme », au sens de combattre l’idée selon la quelle « il ne faudrait pas faire de politique » et combattre la récupération politicienne et partidaire.

      Deuxième omission : indépendance vis à vis des partis. Beaucoup de membres de partis politiques (PCF et extrême gauche, rencontrés à la CGT d’aujourd’hui) auront, quant à eux, tendance aujourd’hui à évacuer de la charte d’Amiens sa dimension clairement « apolitique », au sens où on employait ce mot à l’époque, c’est à dire, pour marquer l’opposition au parlementarisme et au noyautage des syndicats par les partis socialistes.

      Je pense que la notion « d’action directe », théorisée à cette époque, renvoyait directement à cette volonté de construire, par le syndicat, les propres modalités d’organisation de la classe ouvrière contre l’État et les capitalistes, de façon totalement indépendante des partis politiques ; ces derniers étant considérés par nos cégétistes de la belle époque, comme tout juste bons à prendre les rênes du pouvoir d’État et ne rien changer à l’exploitation capitaliste.

      Je me permets de te faire remarquer que, dans ton résumé, cet aspect « apolitique » de la Charte d’Amiens – l’indépendance vis à vis des partis – n’y figure pas. Probablement un oubli. Voilà pourquoi il me semblait important de mettre le texte en entier.

      Troisième omission : l’organisation syndicale, préfiguration de la société à construire. Enfin, la plupart du temps, qu’ils soient réformistes ou membres de partis politiques révolutionnaires, très peu de ces personnes évoquent ce point théorique du syndicalisme révolutionnaire - importante (à mes yeux) - que j’ai indiqué à la fin du 2e point : « le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale ». Pour le dire autrement, le syndicat est considéré comme la préfiguration de l’organisation sociale, débarrassée du capitalisme et sans État, à construire immédiatement.

      Je tiens à repréciser que je ne considère pas que la charte d’Amiens doive être prise, tel un texte sacré, comme une référence absolue. Elle ne correspond pas d’ailleurs totalement à ma vision politique ou sociale.

      La charte d’Amiens est une référence théorique incontournable qui a marqué l’histoire du mouvement social mais elle ne doit pas être considéré autrement qu’un moment de construction de cette histoire. Elle est datée. Ce n’est pas une fin en soi. J’ai la plus grande sympathie pour ces militants ouvriers qui ont essayé de construire de façon empirique et par eux-mêmes une organisation révolutionnaire, au lendemain de la période des attentats mais, malheureusement, si la CGT avait été réellement syndicaliste révolutionnaire elle n’aurait jamais pu être « décapitée » par Clemenceau en 1908 et anéantie par les terrifiants retournements de veste des plus ardents révolutionnaires dans l’union sacrée de 1914.

      Je n’évoquerai pas ici la question du sabotage qui me semble essentielle sur le plan théorique et politique. Là aussi, cela demanderait de contextualiser le sens que donnait Pouget, par exemple, à ce mot (qui, de mon point de vue, est en fait assez proche de celui de la grève). Ce n’est plus le même sens qu’on donne au mot « sabotage » aujourd’hui ; ce dernier me semblant tout à fait intéressant, néanmoins. Peut-être qu’une autre fois il sera possible d’échanger ici sur ce thème.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Charte_d%27Amiens

    • Merci à toi pour ton post très précis.

      Oui, la question du sabotage, on pourrait en rediscuter. Il me semble que l’histoire du #mouvement_ouvrier a tranché, mais ses acquis théoriques ne percolent malheureusement plus dans les consciences...

      Sur l’"apolitisme", je me permets de « préciser » ces 2 références :)

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      1906-2006 : cent ans après la Charte d’Amiens - Le combat pour enraciner la conscience de classe dans le monde ouvrier
      https://mensuel.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/1906-2006-cent-ans-apres-la-charte
      – Pour gagner l’avant-garde ouvrière aux idées révolutionnaires
      – Le #syndicat comme outil pour développer la conscience de la classe ouvrière
      – Les dérives du socialisme officiel
      – la charte d’Amiens : garantir l’ancrage révolutionnaire de l’avant-garde ouvrière face au #réformisme et au #corporatisme
      – Force et limites du #syndicalisme_révolutionnaire

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      Ce commentaire de #Trotsky dans un courrier à #Pierre_Monatte (13 juillet 1921) :

      [...] La charte d’Amiens constitue la pratique officielle du syndicalisme révolutionnaire.

      Pour formuler le plus nettement possible ma pensée, je dirai qu’invoquer la #charte_d'Amiens, ce n’est pas résoudre, c’est éluder la question. Il est évident pour tout communiste conscient que le syndicalisme français d’avant-guerre était une tendance révolutionnaire très importante et très profonde. La charte a été pour le mouvement prolétarien de classe un document très précieux, mais la valeur de ce document est historiquement limitée. Depuis, il y a eu la guerre, la Russie des Soviets s’est fondée, une immense vague révolutionnaire a passé sur toute l’Europe, la III° Internationale a grandi et s’est développée, les anciens syndicalistes et les anciens social-démocrates se sont divisés en trois tendances hostiles. De nouvelles questions immenses se sont posées devant nous... La charte d’Amiens ne contient pas de réponse. Quand je lis la Vie Ouvrière, je n’y trouve pas plus de réponse aux questions fondamentales de la lutte révolutionnaire. Est-il possible qu’en 1921 nous ayons à retourner aux positions de 1906 et à « reconstruire » le syndicalisme d’avant-guerre... Cette position est amorphe, elle est conservatrice, elle risque de devenir réactionnaire.

      Comment vous représentez-vous la direction du mouvement syndicaliste dès l’instant où vous aurez la majorité à la #CGT ? Les syndicats englobent des communistes affiliés au parti, des syndicalistes révolutionnaires, des anarchistes, des socialistes et de grandes masses de sans-parti. Naturellement, toute question d’action révolutionnaire doit être examinée par l’ensemble de l’appareil syndical qui englobe des centaines de milliers et de millions d’ouvriers. Mais qui dressera le bilan de l’expérience révolutionnaire, qui en fera l’analyse, qui en tirera la conclusion nécessaire, qui en formulera les propositions, devenant les mots d’ordre, les méthodes de combat, et qui les appliquera dans les larges masses ? En un mot, qui dirigera le mouvement ? Pensez-vous accomplir cette tâche en qualité de groupe de la Vie ouvrière ? En ce cas, on peut dire avec certitude que d’autres se formeront à côté de vous qui, au nom du syndicalisme révolutionnaire, contesteront votre droit de diriger le mouvement. Et enfin, quelle attitude aurez-vous à l’égard des nombreux communistes syndiqués ? Quels seront les rapports entre eux et votre groupement ? Il peut se faire que des communistes affiliés au parti soient en majorité à la tête d’un syndicat et que des syndicalistes révolutionnaires non affiliés au parti soient à la tête d’un autre. Les propositions et les mots d’ordre du groupe de la Vie ouvrière peuvent ne pas s’accorder avec les propositions et les mots d’ordre de l’organisation communiste. Ce danger est très réel, il peut devenir fatal et nous ramener, quelques mois après notre victoire, à un nouveau règne des Jouhaux, des Dumoulin et des Merrheim.

      Je connais bien l’aversion des milieux ouvriers français passés par l’école du syndicalisme anarchiste à l’égard du « parti » et de la « politique ». Je conviens volontiers qu’on ne peut heurter brusquement cet état d’esprit, que le passé suffit parfaitement à expliquer, mais qui est pour l’avenir extrêmement dangereux. En cette matière, je peux très bien admettre la transition graduelle de l’ancienne séparation à la fusion totale des syndicalistes révolutionnaires et des communistes en un seul parti, mais il faut nettement et fermement nous donner ce but. S’il y a encore dans le parti des tendances centristes, il y en a aussi dans l’opposition syndicale. L’épuration ultérieure des idées est nécessaire ici et là. Il ne s’agit pas de subordonner les syndicats au parti, mais d’unir les communistes révolutionnaires et les syndicalistes révolutionnaires dans les cadres d’un seul parti ; il s’agit d’un travail concerté, centralisé, de tous les membres de ce parti unifié, au sein des syndicats demeurés autonomes, une organisation indépendante du parti. Il s’agit pour l’avant-garde véritable du prolétariat français de former un tout cohérent en vue d’accomplir sa tâche historique essentielle : la conquête du pouvoir, et de poursuivre sous ce drapeau son action dans les syndicats, organisation fondamentale, décisive, de la classe ouvrière dans son ensemble.

      Il y a une certaine difficulté psychologique à franchir le seuil d’un parti après une longue action révolutionnaire en dehors d’un parti, mais c’est reculer devant la forme au plus grand dommage de la chose. Car, je l’affirme, tout votre travail antérieur n’a été qu’une préparation à la fondation du parti communiste, à la révolution prolétarienne. Le syndicalisme révolutionnaire d’avant-guerre était l’embryon du parti communiste. Retourner à l’embryon serait une monstrueuse régression. Au contraire, la participation active à la formation d’un parti communiste véritable suppose la continuation et le développement des meilleures traditions du syndicalisme français.

      Chacun de nous a dû, au cours de ces années, renoncer à une partie vieillie de son passé, pour sauver, pour développer et assurer la victoire des éléments du passé qui supportaient l’épreuve des événements. Ces sortes de révolutions intérieures ne sont pas faciles, mais on n’ acquiert qu a ce prix le droit de participer efficacement à la révolution ouvrière.

      Cher ami, je crois que le moment présent décidera pour longtemps des destinées du syndicalisme français, du sort de la révolution française. Dans les décisions à prendre, un rôle important vous incombe. Vous porteriez un coup bien cruel au mouvement dont vous êtes l’un des meilleurs militants si, maintenant qu’il faut un choix définitif, vous tourniez le dos au parti communiste, mais je suis convaincu qu’il n’en sera pas ainsi.

      Je vous serre bien cordialement la main et suis votre dévoué.

      #anarchisme #communisme #socialisme #Léon_Trotsky #parti_révolutionnaire #marxisme #militantisme #communisme_révolutionnaire

    • Vous savez pourquoi les Bouches-du-Rhône sont le seul département où il n’y a pas eu de réquisition pendant la grève des raffineurs ?
      C’est simple 🔥✊ :

      Déclaration d’Olivier Mateu de la CGT Bouches-du-Rhône : "On a fait un truc très simple, on est allé voir le préfet. On lui a dit « A la première réquisition : c’est la guerre. [...] Jusqu’au dernier CGTiste, vous devrez nous crever. »

      La vidéo est ici : https://twitter.com/realmarcel1/status/1631008648506777601?cxt=HHwWgoCx_a3uwKItAAAA
      #greve7mars #Blocage7mars #ReformeDesRetraites

    • @marielle en d’autres termes : « comment menacer de leur péter les dents pour ne pas se faire bouffer. »

      Effectivement, je suis convaincu que c’est l’attitude à prendre en ce moment pour se faire respecter et, au-delà pour construire un rapport de force plus offensif de remise en cause du capitalisme, qui serait à la hauteur de la situation.

      Plus concrètement le mot d’ordre de blocage est aujourd’hui à l’ordre du jour dans la confrontation avec l’État sur les retraites et plus il y aura de monde – notamment sur les secteurs stratégiques lés à la circulation des flux marchands, tels que les carburants – plus on sera en mesure de les faire plier. Attention, toutefois à ne pas tomber dans l’erreur de « la grève par délégation » des dits secteurs stratégiques car, dans ce cas c’est plantage assuré.

      Bon, sinon, faut reconnaître qu’il y a quand même une tonalité viriliste (ou macho, comme on disait dans les années 70) dans l’attitude bravache du camarade mais d’un autre côté il est probablement difficile de montrer de la fermeté (du « tempérament » comme on disait aux siècles passés) sans avoir recours à ce type de postures stéréotypées.

      @recriweb Je souscris à nombre de points développés dans tes textes, à l’exception de la question centrale du parti, qui vient, notamment dans celui de Trotsky, comme point d’aboutissement de l’analyse.

      Le mot « parti » pris au sens d’une organisation politique structurée, telle que le parti Bolchevik (pour faire simple), correspond à une vision de l’action politique et de l’organisation sociale qui n’est absolument pas la mienne et dans laquelle je ne me suis jamais inscrit. J’y suis totalement réfractaire. Désolé. Et pourtant je n’ai fait que côtoyer dans diverses pratiques sociales ou militantes d’ardents partisans de cette conception du parti politique, quelle que soit leur tendance. Je les ai côtoyé même plus que des camarades libertaires qui partageraient davantage ma vision politique.

      Je te le dis en toute franchise et de façon dépassionnée : il faut admettre qu’il puisse y avoir ce type de désaccord – quelle que soit l’importance qu’on accorde à ces désaccords – et ce n’est pas dans un espace de partage sur le web, tel que ce très sympathique seenthis, qu’on parviendra à les « régler », si tant est que cela soit possible. En tous cas, je ne me sens pas la capacité de m’engager sur ce terrain et, même, je n’y vois pas beaucoup d’intérêt à s’y essayer.

      Je me permettrais juste de suggérer que le mot « parti », lui aussi, nécessite quelques précisions quant au sens qu’on lui donne.

      Pour revenir à notre précédent échange, Émile Pouget a écrit des textes, dans sa période syndicaliste révolutionnaire, sur le « parti du travail ». Je pense que le mot parti, dans ce cas, est une expression dont le sens est assez proche de celle qu’on retrouve dans le « Manifeste du parti communiste » ou même dans votre « camp des travailleurs » (mais peut-être que je me trompe).

      Le mot « parti » doit alors être pris au sens de « partisan de » et dans ce cas, moi aussi, je suis partisan d’un rapport de force social contre le capitalisme et contre l’État (pour faire simple) et pour cela, il faudra nécessairement un mouvement de masse, avec plein de gens dont je ne partage pas nécessairement les options politiques, philosophiques, religieuses, etc.

      Dans mes pratiques militantes, même si ce n’est pas un mystère, je ne suis quasiment jamais conduit à énoncer ce que serait ma vison politique (les buts et les moyens, etc.) sauf après une manif, autour d’une bouteille mais, dans ce cas, il m’est arrivé de constater que même les plus farouches staliniens se décrivent comme d’authentiques anarchistes.