• À propos de témoins de Jéhovah

    Quand, en juin 1962 - au lendemain immédiat de la guerre d’Algérie et à la suite d’une campagne antimilitariste, débutée en 1958 - Louis Lecoin se met en grève de la faim, à 74 ans, pour obtenir le statut d’objecteur de conscience, il s’ adresse naturellement aux réfractaires au service militaire, emprisonnés pour cette raison. Parmi ces « objecteurs » avant l’heure, figurent en majorité des témoins de Jéhovah.

    Les témoins de Jéhovah avaient eu à subir la persécution du pouvoir nazi, ce qui les rendait a priori plutôt sympathiques. Ils font, certes, figure d’illuminés mystiques, mais ils affirment une forme de non-violence radicale, qui, sans faire illusion aux « pacifistes » et anarchistes rassemblés autour autour de Lecoin, peut au moins sembler compatible avec le but immédiat de la grève de la faim : obtenir le statut d’objecteur de conscience.

    il n’y a, à cette époque, pas beaucoup de réfractaires antimilitaristes dans les prisons. Le mouvement libertaire est dans un état de quasi disparition (avant qu’il ne se réveille quelques années plus tard). Lecoin et ses amis sont bien obligés de s’accommoder de ce voisinages mystique, sachant que, par ailleurs, le Dieu de l’abbé Pierre « était avec lui » (Louis Lecoin - Le cours d’une vie, p. 239, p. 265). Il faut bien reconnaître, d’ailleurs, que la plupart des cultes et sectes religieuses de l’époque s’affichent au côté de Lecoin dans son action « pacifiste », ce qui, de mon point de vue, représente une des ambiguïtés centrales du « pacifisme » (mais ceci est une problématique qui nécessiterait d’être traitée à part entière, dans un autre billet).

    Grâce à l’action de Lecoin et de ses amis, neuf témoins de Jéhovah sortent de prison en 1958. ils leur expriment spontanément la plus vive reconnaissance. (ibid. p. 243).

    Après plus de 20 jours de jeûne, alors que ses amis s’inquiètent de l’état de santé de Lecoin, on apprend la libération de vingt-huit réfractaires au service national et la mise en place officielle d’un statut d‘objecteur de conscience (ibid. p. 275). Le vieil anarchiste arrête sa grève de la faim mais il faudra encore plus d’une année d’actions pour que les promesses s’inscrivent dans les faits. De 1958 à 1963, grâce à l’antimilitarisme mené par le petit réseau constitué autour de Lecoin, plus d’une centaine de réfractaires à la conscription – dont une large majorité de témoins de Jéhovah – sortent de prison.

    Une fois le statut adopté– très imparfait, puisque transformant le service militaire en service civil d’une durée de deux ans – Lecoin eu la désagréable surprise de découvrir que les témoins de Jéovah lui faisait un enfant dans le dos en envoyant une lettre au président de la république, dans les termes suivants :

    […] Les Témoins de Jéhovah ne seront jamais solidaires des actions qu’il [Lecoin] pourrait entreprendre en vue de l’adoption d’un statut de l’objection de conscience.
    Monsieur Louis Lecoin n’a donc jamais été et ne sera jamais notre porte-parole, car ses convictions philanthropiques ne correspondent pas à nos convictions chrétiennes. En fait, les Témoins de Jéhovah sont toujours des citoyens respectueux des lois justes de l’État. Ils considèrent celui-ci comme l’Autorité Supérieure et ne se laisseront jamais entraîner dans un mouvement anarchiste, pacifiste ou subversif. La conscience qu’ils mettent à payer scrupuleusement leurs impôts prouve leur soumission au gouvernement. Cependant chacun sait qu’en tant que ministres chrétiens ils ont reçu pour unique mission de l’Autorité Suprême la prédication du Royaume de Dieu et ne peuvent s’en éloigner volontairement. Il se borneront toujours à réclamer leur entière liberté de prêcher. Nous engageons tout homme à se tourner vers Dieu et son Royaume et à se réconcilier avec Lui par le Christ.[...] »

    (ibid. p. 320)

    Lecoin estimera que, contrairement aux Témoins de Jéhova libérés en 1958, ceux qui ont envoyés cette lettre obéissaient aux ordres de leur organisation.

    La tuerie de Hambourg nous rappelle qu’en matière de « non-violence » ou de « pacifisme », il ne faut pas se fier aux apparences, aux discours et mêmes aux comportements guidés par les discours, surtout lorsque tout ceci est structuré par des logiques sectaires.

    https://seenthis.net/messages/994196

    https://prisons-cherche-midi-mauzac.com/des-hommes/louis-lecoin-1888-1971-pacifiste-et-antimilitariste-128

    Au moment où l’affaire fut engagée, quatre-vingt-dix objecteurs étaient incarcérés. Les plus nombreux étaient des Témoins de Jéhovah. On comptait deux athées, deux catholiques et deux protestants. L’Alsacien Edmond Schaguéné, le plus ancien, totalisait déjà neuf ans de prison !

    L’autobiographie de Lecoin, si vous arrivez à le trouver d’occasion : Le cours d’une vie - Louis Lecoin Édité par l’auteur, en supplément du journal « Liberté » 1965 @socialisme_libertaire : je ne l’ai pas trouvé sur le site de Publico, vous avez peut-être d’autres plans ?