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    Après le 49-3, des étudiants cherchent « de nouvelles formes de lutte »

    Des étudiants ulcérés par le passage en force du gouvernement et par la répression policière veulent déborder l’intersyndicale avec des méthodes plus spontanées. La Coordination nationale étudiante appelle à « une journée de blocage des universités et de manifestations de la jeunesse » le 21 mars.

    Mathieu Dejean

    19 mars 2023 à 19h51

    La furie des brigades de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) n’a pas eu raison d’elles. Samedi 18 mars, à presque 22 heures, deux jeunes manifestantes narguaient encore les forces de l’ordre, place d’Italie, d’où était parti quelques heures plus tôt le cortège parisien à l’appel de la CGT Île-de-France, en dansant et chantant : « On est là ! » Comme dans tous les rassemblements, blocages et manifestations qui s’enchaînent depuis le 49-3 déclenché par Élisabeth Borne le 16 mars, la jeunesse était largement mobilisée, sans bannières ni drapeaux, dans cette marche brutalement réprimée par la police.

    À leur manière, plus fluide et spontanée que celle des syndicats, les étudiant·es joignent leurs forces un peu plus massivement aux grèves en cours, accentuant la pression sur le gouvernement sans attendre la mobilisation nationale décidée par l’intersyndicale le 23 mars. Comme si le passage en force de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale avait été la goutte de trop, après les coups portés ces dernières années aux jeunes – la réforme de Parcoursup, l’isolement dû au Covid, le Service national universel (SNU) que le gouvernement voudrait rendre obligatoire.

    « Cette date du 23 mars permettra un grand moment de masse dans les rues, mais entre-temps on ne va pas attendre sagement chez nous », annonce Éléonore Schmitt, porte-parole de L’Alternative, présente place d’Italie le 18 mars. « Nos organisations se mettent en contact au niveau local avec les blocages de ronds-points, de périphériques ou de sites industriels pour bloquer l’économie. Il faut durcir la mobilisation, passer un cap en termes de radicalité. Puisque 3,5 millions de personnes dans la rue ne suffisent pas, il faut y aller plus fort », développe l’étudiante en sciences politiques.

    Une répression qui ne trompe pas

    Quelque 60 établissements d’enseignement supérieur étaient mobilisés ces trois derniers jours, et pas seulement à travers des manifestations classiques. Reprenant le slogan des lycéen·nes et étudiant·es au Chili, qui ont joué le rôle de détonateur dans l’explosion sociale de 2019, la jeunesse mobilisée prône « des nouvelles formes de lutte ».

    En cas d’échec de la motion de censure transpartisane lundi, un éventuel recours au Conseil constitutionnel ou un référendum d’initiative partagée la laissent très réservée : « Ce serait une voie de garage, et puis le référendum a déjà eu lieu, vu le soutien de la population au mouvement social. Il faut accentuer la pression dans la rue, c’est elle qui a contraint le monde parlementaire à passer par le 49-3, qui est un signe de faiblesse », affirme ainsi Mathis, 23 ans, étudiant en physique à l’université Paris-Cité et militant au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) Jeunes, rencontré lors du premier rassemblement place de la Concorde, le 16 mars.

    « Le 49-3 montre l’isolement de Macron, par en haut mais surtout par en bas. On ne gagnera pas par des motions de censure mais par un climat de grève qui doit se généraliser dans les universités », abonde Simon, étudiant à Paris III et militant au Poing levé, venu apporter son soutien aux éboueurs grévistes du centre d’incinération d’Ivry (aussi appelé « Tiru », pour « traitement industriel résidus urbains »), le 17 mars.

    Le soutien aux travailleurs et travailleuses en grève dans des secteurs clés fait notamment partie de la stratégie de ces jeunes militant·es, pour beaucoup engagé·es à l’extrême gauche. Depuis quelques jours, le piquet de grève du centre d’incinération d’Ivry reçoit la visite de groupes d’étudiant·es, doctorant·es et enseignant·es – plusieurs universités, dont celle de Tolbiac, sont géographiquement proches.

    « Une nouvelle forme de lutte est possible. On est peut être à l’aube d’une mobilisation de type “gilets jaunes”, avec des manifestations moins ordonnées, plus fluides, sauvages, qui peuvent créer les conditions d’un engouement jeune, étudiant et populaire », estime Mathis.

    La constitution de foyers de convergence entre étudiant·es et travailleurs et travailleuses effraie-t-elle le pouvoir ? Depuis le premier rassemblement place de la Concorde après le 49-3, où des centaines de jeunes s’étaient retrouvé·es à l’appel de l’Inter-facs (qui rassemble des universités d’Île-de-France en lutte) et d’organisations de jeunesse, les fermetures administratives d’établissements, le passage des cours en distanciel et la répression policière se multiplient (217 personnes ont été interpellées le 16 mars, 122 le 18 à Paris).

    « Les fermetures administratives arbitraires, annoncées le matin pour la journée, tout comme l’usage systématique du distanciel quand il y a des mobilisations prouvent une chose : leur priorité est que l’université ne soit pas un espace d’organisation politique », assène Marla, doctorante en sociologie, croisée à l’incinérateur d’Ivry le 17 mars.

    La CNE appelle à de nouvelles actions

    Ce même jour, deux membres du service d’ordre (SO) du NPA Jeunes et du Poing levé ont été arrêtés après une manifestation non déclarée pour protester contre la fermeture administrative de l’université de Tolbiac (XIIIe arrondissement), connue pour être traditionnellement très mobilisée. « Le symbole est fort : on a un 49-3, et le lendemain un campus mobilisé est fermé », constate Mathis. Selon nos informations, le premier des interpellés a été libéré sans poursuites ; l’autre, Léo, étudiant à Paris VIII, a été déféré au tribunal après 48 heures de garde à vue. Ce 19 mars à 18 heures, il attendait de passer devant le juge des libertés.

    « La répression est beaucoup plus violente depuis le 49-3, il y a beaucoup d’interpellations. Ça montre qu’ils ont peur », estime Tom, étudiant à Paris III, et membre du SO du NPA Jeunes présent lors de cette manifestation.

    Ce week-end, Tom était présent à la deuxième réunion de la Coordination nationale étudiante (CNE), qui fédère les universités mobilisées. À l’issue de cette réunion, les délégations venues de 31 universités (dont celles de Rouen, Caen, Lille, Nantes, Besançon, Limoges, Strasbourg ou encore Reims) ont décidé d’appeler à « rejoindre, dès lundi, toutes les initiatives de manifestations, actions, blocages, qui vont dans le sens de renforcer le mouvement et la grève reconductible » et à « une journée de blocage des universités et écoles, d’assemblées générales et de manifestations de la jeunesse en direction des travailleur·euses » le mardi 21 mars.

    « C’est peut-être l’embryon de quelque chose de nouveau », juge Tom, pour qui l’engagement des jeunes « dépasse les retraites » : « C’est contre les violences policières, les perspectives économiques incertaines du futur, le racisme, le sexisme, pour le repas du Crous à 1 euro qui a été rejeté par l’Assemblée nationale... Il y a une frustration générale, et le 49-3 a fait basculer beaucoup de jeunes du cynisme à l’émulation dans la lutte. »

    Mathieu Dejean