• Ultraviolence policière à Sainte-Soline
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    Une médecin urgentiste présente à la manifestation raconte

    (...) Un homme est installé par des manifestants juste à ma gauche. Il a le visage déformé. Il s’est pris une grenade dans le visage. Je l’examine. Il a une plaie de la paupière hémorragique. L’œdème de la paupière ne me permet pas d’examiner l’œil, sa vision, sa motricité. Il a une très probable fracture du maxillaire gauche, je ne peux rien dire pour son œil.

    Des personnes viennent me voir pour me dire que les ambulances sont bloquées par les gardes mobiles en amont. Je commence à m’énerver. Je transmet dites leur « Nous avons appelé le SAMU, nous avons des blessés graves. Ils doivent laisser passer les ambulances. Nos appels sont enregistrés sur les bandes de la régulation du SAMU. Si ils entravent le passage des ambulances, ils seront pleinement responsables du retard de soins. On ne se laissera pas faire. Y compris sur plan juridique » « Mettez-leur la pression, c’est pas possible autrement. »

    D’autres blessés arrivent entre temps, ils ont l’air stable. Je n’ai pas le temps de les voir. Certaines personnes s’occupent d’eux. Des complicités de bord de route.

    L’« URGENCE ABSOLUE »

    Quelqu’un vient me chercher pour me demander d’intervenir plus en amont sur le chemin.
    Mon amie reste avec les blessés.
    Je remonte vers la zone où un homme est au sol. Du monde autour de lui. Je m’approche de sa tête. Un « medic » réalise une compression du cuir chevelu. Des gens essayent de le faire parler. Du sang coule sur le chemin. Il est en position latérale de sécurité. Je me présente auprès des autres personnes qui prennent soin de lui. « Je suis médecin urgentiste, est-ce qu’il a déjà été évalué par un médecin ? Est-ce que quelqu’un a déjà appelé le SAMU ? » Le SAMU est prévenu. Pour l’instant aucun moyen ne semble engagé. Je l’évalue rapidement. L’histoire rapporte un tir tendu de grenade au niveau temporal droit (juste en arrière de l’oreille ). Il se serait effondré. Extrait par des manifestants. Au début il aurait été agité. Là il est en position latérale de sécurité. Il est trop calme.
    Je fais un bilan de débrouillage :
    -- une plaie du scalp de plusieurs centimètres en arrière de l’oreille. La plaie est hémorragique.
    -- un traumatisme crânien grave avec un score de glasgow initial à 9 ( M6 Y1 V2), une otorragie qui fait suspecter une fracture du rocher
    -- pupilles en myosis aréactives
    -- vomissement de sang avec inhalation
    -- les premières constantes qu’on me transmet sont très inquiétantes. La fréquence cardiaque serait à 160, la tension artérielle systolique à 85. Le shock index est à presque 2.

    Je demande à ce qu’on rappelle la régulation du 15 et qu’on me les passe au téléphone.
    Mon petit matériel ne va pas suffire. Quelle impuissance...

    Je prend la régulation du 15 au téléphone. Je demande à parler au médecin. Je me présente en tant que médecin urgentiste : je demande un SMUR d’emblée pour un patient traumatisé crânien grave, avec une plaie du scalp hémorragique, et des constantes faisant redouter un choc hémorragique. Le médecin me répond que la zone ne semble pas sécurisée et qu’il est impossible pour eux d’intervenir au milieu des affrontements. J’explique que nous sommes à distance des zones d’affrontement. Qu’il y a des champs autour ou il est possible de faire atterrir un hélicoptère. Il me dit qu’un Point de Rassemblement des Victimes est en cours d’organisation, qu’il va nous envoyer des pompiers pour extraire les victimes. J’insiste sur le fait que cet homme à besoin d’un SMUR d’emblée, qu’il s’agit d’une urgence vitale immédiate et qu’il n’est pas en état d’être transporté vers un PRV. L’appel téléphonique prend fin, je n’ai pas l’impression que ma demande ait été entendue.
    Un traumatisme crânien grave peut aboutir à la mort cérébrale, ou à la présence de séquelles extrêmement lourdes.

    Je retourne auprès de la victime. Je le réévalue. Son score de glasgow est tombé à 7. Le coma est de plus en plus profond. Une équipe médecin infirmier des gardes mobiles arrivent. Je suis en colère. Ils viennent apporter les bons soins à ceux qu’ils ont presque tué. Je ravale ma colère, il faut penser à cet homme à ce qu’il y a de mieux pour lui. Je fais une transmission médicale. Je propose que le médecin rappelle la régulation pour appuyer ma demande de SMUR dans le cadre d’une urgence vitale immédiate. En attendant j’aide l’infirmier à poser une perfusion. Traitement de l’hypertension intracrânienne. Traitement pour l’hémorragie. Le médecin des gardes mobiles me demande si j’ai de l’oxygène. Je ris nerveusement. Non moi j’ai des compresses et de la biseptine, j’étais là pour manifester initialement.
    Leur matériel est limité. Ils n’ont pas de quoi faire des soins de réanimation. Je ressens leur stress. Nous sommes dépendant du SMUR.

    Des pompiers en pick-up arrivent, ils nous demandent pourquoi le SMUR et les VSAV ne sont pas là. Je craque et leur hurle dessus, je dis que les ambulances sont bloquées par les gendarmes mobiles en amont.