Sont-ils fous ?
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Les psychĂ©s des dominants ne cessent donc dâenregistrer, et dâexprimer, lâĂ©volution des structures de la domination. Câest pourquoi lâidĂ©e quâen dire quelque chose reviendrait Ă « psychologiser » est particuliĂšrement faible. Outre que lâĂ©noncĂ© « Macron est un forcenĂ© » est aisĂ©ment comprĂ©hensible (pour ne pas parler de ses capacitĂ©s de « traction » dans lâopinion), les prĂ©cepteurs structuralistes devraient y regarder Ă deux fois avant de prĂ©supposer que les individus sont incapables dâaller de lĂ Ă : « les dominants sont devenus fous », et pour finir Ă : « le capitalisme est fou », sĂ©rie dâĂ©tapes qui partant dâun Ă©noncĂ© en apparence Ă caractĂšre « psychologique », conduit Ă un autre qui ne lâest plus du tout.Câest pourquoi, Ă©galement, lâobjection « ils ne sont pas fous, ils calculent stratĂ©giquement » nâest pas plus robuste que le reste. En particulier de ne pas voir que « Ils calculent » est encore un Ă©noncĂ© « psychologique », doublement mĂȘme. Dâabord parce que « calculer » est une disposition, donc lâeffet dâun Ă©tat mental. Ensuite (surtout) parce il nây a de calcul quâaux services de finalitĂ©s, qui, elles, nâont pas Ă©tĂ© posĂ©es par calcul. Alors interrogeons : quelles sont-elles donc en lâoccurrence ? Maintenir un ordre quoi quâil en coĂ»te (le vrai « quoi quâil en coĂ»te »). Provoquer, intimider, terroriser, si ce ne sont pas des inclinations immĂ©diates chez certains (Lallement, Nuñez), ne sont que des moyens. Or il revient Ă des dispositions psychiques dâĂȘtre capables dâenvisager tel moyen ou de se lâinterdire.
En tout cas, la classe dominante, dans la diversitĂ© de ses composantes, en y incluant ceux des dominĂ©s qui lui servent de garde, est en Ă©tat de sĂ©cession morale dâavec le reste de la sociĂ©tĂ©, et vit autour de nouvelles normes que nul ne partage en dehors de son cercle Ă©troit. Mais lâĂ©tat moral dâun groupe est nĂ©cessairement exprimĂ© dans lâĂ©tat psychique de chacun des individus qui le composent. La sĂ©cession morale a donc nĂ©cessairement pour corrĂ©lat une reconfiguration psychique collective.
Quitte Ă prendre un exemple amĂ©ricain (mais il est parlant), il faut des dĂ©placements considĂ©rables, insĂ©parablement moraux et psychiques, pour faire, comme Larry Summers, une vidĂ©o en chemisette Ă fleurs, sous les palmiers, afin dâexpliquer aux salariĂ©s que la hausse du chĂŽmage sera nĂ©cessaire pour contenir lâinflation et quâils doivent y consentir. Lâappel mĂ©canique aux structures ne donnera pas le fin mot ni ne permettra de saisir vraiment de quoi il y va dans la kyrielle des faits Ă©quivalents qui font lâĂ©poque.
« Les structures », par exemple, ne suffiront pas Ă parler du rapport (de dĂ©molition) de Macron aux mots et au langage. Elles ne suffiront pas Ă qualifier le degrĂ© de mensonge et lâinversion systĂ©matique de toute rĂ©alitĂ© dans les Ă©noncĂ©s gouvernementaux. Orwell nâest pas devenu pour rien une rĂ©fĂ©rence obsĂ©dante pour parler de lâĂ©poque, et se contenter de dire « structures » ne fera pas le compte. Elles nâĂ©claireront pas Ă elles seules le degrĂ© dâobscĂ©nitĂ© sans prĂ©cĂ©dent, lâeffondrement de toute dĂ©cence, la perte de toute limite auxquels, mĂ©dusĂ©s, nous assistons.
Les structures ne diront pas la dĂ©rive du corps prĂ©fectoral, dĂ©sormais dominĂ©s par des brutes, Lallement et Nuñez bien sĂ»r, mais Ă©galement Stzroda, alias « M. Flashball », ex Ă©borgneur de la rĂ©gion Bretagne pendant la loi Travail, dĂ©sormais directeur de cabinet de Macron ; dâHarcourt, brute managĂ©riale dans de nombreuses agences rĂ©gionales de santĂ©, responsable de la mort de Steve Maia Caniço ; et aujourdâhui DubĂ©e, prĂ©fĂšte des Deux-SĂšvres qui aura sur la conscience (non, rien ne pĂšsera sur sa conscience) la mort ou la vie vĂ©gĂ©tative de deux manifestants auxquelles elle aura refusĂ© lâĂ©lĂ©mentaire humanitĂ© de lâassistance Ă personne en danger.
On ne comprendra pas avec les structures seulement le dĂ©chaĂźnement pulsionnel de la police. Quand la BRAV-M se vautre en commentaires sexuels contre des interpellĂ©s, « Je peux dormir avec toi si tu veux ; le premier qui bande encule lâautre » (extraits prudemment « oubliĂ©s » dans toutes les reprises audiovisuelles), quand, Ă Lyon, un policier Ă©prouve le besoin de dĂ©nuder complĂštement un interpellĂ© dans la rue, quand les forums de messagerie regroupant plusieurs milliers de policiers sont un Ă©gout Ă ciel ouvert, dĂ©bordant de commentaires sexuels, masculinistes et orduriers, ce ne sont pas juste « les structures » qui parlent : ce sont les psychĂ©s, et la pulsion y est dĂ©gondĂ©e.
Un structuralisme bornĂ© ne saisira rien de ces caractĂšres de lâĂ©poque, sinon par affirmations tautologiques. Quant Ă une politique qui sâen tiendrait lĂ , elle risque pour sa part de sĂ©rieuses dĂ©convenues, mais pratiques cette fois — donc promises Ă ĂȘtre plus douloureuses. Car « les structures » ne disent pas avec une trĂšs grande prĂ©cision Ă qui on a affaire. Câest pourtant une information utile. Savoir qui est Macron permet de ne pas se jeter dans les absurdes stratĂ©gies de la « dĂ©cence dĂ©mocratique » — oĂč lâon escompte ĂȘtre entendu aprĂšs sâĂȘtre rassemblĂ©s nombreux pour demander. Savoir oĂč en est le corps prĂ©fectoral Ă©pargne de se raconter des salades quant aux ancrages de lâ« Ătat de droit ». Savoir ce qui meut la police, mesurer la force pulsionnelle qui tient les policiers Ă leur matraque, envers et contre leurs propres intĂ©rĂȘts matĂ©riels, Ă©vite de se perdre Ă les appeler « avec nous ». Etc.