Les #médecins et le rapport aux #corps : #pouvoir, #sexisme et #racisme
Dans le cadre d’un entretien par courriel autour de l’affaire de la « fresque » de Clermont-Ferrand, une journaliste m’écrit :
Dans mon intuition, ce rapport [des médecins] au corps facilite une affirmation de sa sexualité de manière plus débridée, avec moins de gêne et de tabou, ce que confirment les entretiens que j’ai eus avec différents médecins, internes, externes... Ce qui explique aussi en partie, outre le sentiment d’impunité que vous soulignez, comment on se retrouve avec des fresques porno dans les salles de garde. Or mon interrogation porte sur le lien entre cette sexualité plus débridée et le sexisme présent à l’hôpital. Il n’y a pas de lien logique entre les deux mais cela facilite peut-être un certain sexisme très sexualisé (blagues grivoises, attouchements etc.)
Effectivement, le rapport au corps qu’ont les médecins est particulier : ils les étudient en théorie, les observent, les touchent, les manipulent, les pénètrent avec des instruments, les « objectivisent » au moyen d’appareillages divers.
Autrement dit : il y ont accès de manière (relativement) plus libre que toute autre personne. Par ailleurs, chacun réagit différemment devant le corps d’autrui : certains sont attirés, d’autres repoussés, d’autres encore les voient avec empathie, comme des corps à panser. Et tout ça peut arriver chez une même personne, successivement.
Ce qui peut créer des réactions très différentes selon les individus. Personnellement, je suis facilement tenté de voir les corps comme attirants et souffrant, rarement comme repoussants ou source de malaise. Ma pudeur personnelle est telle que je ne toucherai jamais quelqu’un sans lui avoir demandé la permission de le faire Mais je connais d’autres médecins qui sont très attirés par les corps (féminins ou masculins) et veulent les toucher à tout bout de champ. D’autres encore qui sont relativement insensibles à la douleur qu’ils peuvent provoquer chez autrui (par manque d’empathie, inné ou défensif). Par conséquent, il me semble que cette « exposition au corps » n’a pas des effets univoques mais variables chez les individus ; c’est ce que j’observe aussi ici, au Canada - à ceci près que dans les pays anglo-saxons, cette dimension relationnelle, d’interaction entre soignants et soignés est discutée, débattue, décrite, pensée - en particulier dans le cadre de la réflexion éthique. En France, elle ne l’est pas.
Le fait que le sexisme s’exprime plus en France qu’ici est social et culturel. Le fait que le sexisme s’exprime plus chez les médecins que chez les notaires est lié à cette proximité des corps mais surtout à la position de pouvoir, encore une fois, qui « autorise » les médecins sans pudeur, respect ni empathie, à des brutalités verbales (concernant l’aspect corporel ou le comportement) ou physiques (attouchements, douleurs provoquées, viols) - parce que leur position leur permet de penser qu’ils resteront impunis. Et, dans les faits, c’est souvent le cas. Comme la sélection des médecins est beaucoup moins égalitaire en France qu’au Québec, par exemple (puisque la société l’est moins également), on peut penser que la proportion de personnalités abusives est très importante parmi les médecins français. Les maltraitances seront alors plus nombreuses et fréquentes. Ce n’est pas seulement le rapport au corps (qui n’a pas de raison d’être différent pour un médecin français ou américain ou hollandais) qui est différent, mais le rapport hiérarchique entre le patient exposé et vulnérable et un médecin qui se sent en position de supériorité et d’impunité et qui n’a pas de barrières personnelles à dresser entre ses désirs ou sa perversité et le corps du/de la patient.e. Les fresques seraient alors l’une des manifestations de ce sentiment de « supériorité », d’" exception". Non pas une manifestation d’angoisse face à la mort (qui est la même pour tout le monde) mais celle d’une ivresse - née d’être en position (fantasmatique) de « sauver des vies » et donc, d’avoir tous les droits sur elles - or, il n’y a pas de pulsion plus fortes que le désir de survie et le désir de se reproduire - tous deux s’exprimant ici par la domination des autres : en imposant, dans un lieu à la fois « privé » et public la représentation de médecins fiers de se montrer librement avec leurs érections et leurs conquêtes sexuelles, réelles ou non, au milieu de leurs maîtres et patrons, eux aussi sexuellement conquérants. D’ailleurs, l’une des « fresques » visibles dans un article de Slate qui en fait la promotion ne représente-t-elle pas un « Sacre » de « patron » en Napoléon - où toutes les femmes sont nues et où Joséphine (ici, avec la peau noire, alors qu’elle était blanche - erreur historique ou lapsus significatif ?) agenouillée devant l’empereur pour lui faire une fellation ! Le commentaire déclare que la fresque « se moque gentiment » du patron en question. Un médecin respectueux de tous aurait demandé immédiatement qu’on l’efface, tant elle est insultante et ici, en particulier, sexiste et raciste.
Marc Zaffran/Martin Winckler