Manuella
Elle habite une petite maison étroite comme un couloir, comme écrasée entre ses deux voisines encombrantes. Du coup, on la trouve régulièrement qui prend l’air et la température du monde sur le trottoir, juste entre la porte et la fenêtre de sa façade, assise sur une petite chaise de bistrot en bois. Ces yeux occupent toute la place dans ses petites lunettes rondes qui glissent souvent le long de son nez. Des fois, on a l’impression qu’ils descendent eux aussi sur ses joues fripées. Elle porte toujours des blouses de travail bleu plus ou moins clair, avec des petites fleurs et des manches qui s’allongent quand les jours raccourcissent.
Elle est sans apprêt, sans âge et comme sans histoire, mais tout le monde la connaît dans le quartier. Souvent, tu fais un petit crochet en rentrant des courses pour passer dans sa ruelle, et immanquablement, elle est là. Parfois, tu penses la rater, mais le rideau de la fenêtre borgne bouge et l’instant d’après, elle écarte les franges de plastique qui protège son intérieur des mouches qui seraient assez minces pour s’y glisser. Elle a toujours une menthe à l’eau trop diluée ou un biscuit plus trop sec pour les enfants et surtout son sourire qui étirent ses lèvres mangées par les rides.
Les saisons passent, les gens s’en vont et Manuella est toujours là, avec ses châles frangés et ses poupées aux costumes en crochet assortis ramenés de ses dernières vacances à Alicante qui datent de l’époque de la photo en noir et blanc de son mari mort depuis toujours.