Ceux-ci ouvrent des perspectives nouvelles pour la recherche fondamentale en biologie. Ils mettent aussi en lumière l’une des grandes lacunes de la réglementation des produits chimiques, notamment ceux appartenant à la catégorie des perturbateurs endocriniens – ces substances capables d’interférer avec le système hormonal et présentes dans de nombreux produits et objets d’usage courant (pesticides, solvants, plastiques, etc.).
« Le principe général est que deux substances, prises isolément, peuvent être inoffensives ou très faiblement actives, mais qu’elles peuvent devenir toxiques une fois mélangées », explique William Bourguet, chercheur au Centre de biochimie structurale de Montpellier (CNRS, Institut national de la santé et de la recherche biomédicale, université de Montpellier) et coauteur de l’étude.
Dégâts collatéraux
Aujourd’hui, les produits mis en circulation sont, dans l’écrasante majorité des cas, autorisés après avoir été testés un par un, et non en mélange avec des polluants ubiquitaires par exemple, auxquels l’ensemble de la population...
« Cet effet est observé depuis longtemps, mais les mécanismes, c’est-à-dire ce qui se produit au niveau de la cellule, n’étaient jusqu’à présent pas connus », précise M. Bourguet. Pour les élucider, les chercheurs ont sélectionné 40 substances – pesticides, polluants environnementaux, médicaments – et ont testé leur affinité pour un récepteur du noyau des cellules humaines.
Ce récepteur, dénommé PXR (pour Pregnane X Receptor), « est une sorte de senseur des substances étrangères à l’organisme », précise M. Bourguet. « Celles-ci, lorsqu’elles parviennent à une certaine concentration, se lient à ce récepteur et, ainsi, l’activent », explique le chercheur. PXR joue en somme le rôle de la serrure, et les polluants chimiques – les xénobiotiques, disent les scientifiques –, celui de la clé. Activer PXR, c’est donc un peu comme déverrouiller une porte.
Pour quoi faire ? « Une fois ainsi activé, PXR va interagir avec le génome pour lui faire fabriquer toute une cascade d’enzymes et de transporteurs, qui vont participer à la détoxification de l’organisme », dit M. Bourguet. Cependant, ce système de détoxification mis en branle conduit aussi à des dégâts collatéraux : il peut inhiber l’action d’un médicament, ou encore faire chuter le niveau de certaines hormones dans l’organisme.
Les auteurs ont testé les 40 produits sélectionnés un par un, puis deux par deux, en étudiant tous les mélanges possibles – soit 780 possibilités ! Le fameux effet cocktail a été observé entre deux molécules, l’éthinylestradiol, l’hormone de synthèse des pilules contraceptives, et le chlordane, un pesticide interdit au début des années 1980 mais très persistant et toujours fréquemment détecté dans la population. Et également, dans une moindre mesure, entre les composés très proches de ces deux substances.
« Travail important »
« On voit que séparément, il faut à ces deux substances des niveaux de concentration élevés pour activer PXR, mais que le mélange des deux active le récepteur à des concentrations 10 à 100 fois plus faibles », détaille M. Bourguet. Les auteurs ont ensuite analysé la structure des molécules en jeu et ont montré comment la réunion des deux substances testées est capable de s’insérer dans le récepteur PXR.
« C’est un travail important, estime René Habert, professeur à l’université Paris Diderot et chercheur au laboratoire cellules souches et radiation (Inserm/CEA), auteur de nombreux travaux sur les perturbateurs endocriniens, qui n’a pas participé à cette étude. C’est un peu comme si vous aviez deux clés qui ne peuvent ouvrir une serrure, mais qui, lorsqu’elles y sont mises ensemble, parviennent à la crocheter. C’est la première fois que ce mécanisme est mis en évidence. »
Ce dernier est-il fréquent ? Est-il plutôt rare et marginal ? « En testant 40 produits, nous en trouvons deux, ainsi que leurs composés proches, produisant un effet cocktail, répond William Bourguet. Cela peut paraître peu, mais il faut se souvenir qu’il y a 150 000 substances chimiques en circulation dans l’environnement. Il y en a donc certainement beaucoup d’autres ! Il reste un travail énorme à faire. »
Surtout, les chercheurs n’ont pour le moment testé leur échantillon de 40 substances que sur un unique récepteur, le PXR. Or jusqu’à présent, 48 récepteurs hormonaux ont été identifiés dans le noyau des cellules, et chacun a une fonction et une structure particulières : deux molécules ne produisant aucun effet cocktail sur l’un peuvent en produire sur d’autres.
« Il y a d’autres récepteurs très importants qui sont également susceptibles d’être activés par des mélanges de molécules, explique M. Bourguet. L’un d’eux, par exemple, appelé PPAR-gamma, induit le stockage de graisses lorsqu’il est activé. On pense que l’épidémie d’obésité observée dans les pays développés pourrait ne pas être uniquement due à un excès d’alimentation, mais également à des polluants environnementaux. »
D’autres applications que l’évaluation des risques chimiques sont également en vue. Une prochaine étape du travail des chercheurs français consistera ainsi à tester des combinaisons de médicaments couramment prescrits pour détecter des synergies ou des incompatibilités qui n’auraient pas été détectées par la pharmacovigilance.
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