La RATP, Kyo, Johnny, Manu Chao, Marco Pantani, le Dalaï-Lama… Le chanteur libertaire Didier Wampas publie « Punk ouvrier » dans laquelle il revient sur les grands moments de sa carrière. Entretien sans langue de bois, ça fait du bien.
« Les Wampas n’aiment pas Kyo, les Wampas n’aiment pas la variété pourrie. » Le 28 février 2004, lors des Victoires de la musique, il n’a pas pu s’empêcher… En descendant les marches du Zénith de Paris avant de chanter « Manu Chao », son tube le plus connu, un boa rose autour du cou, Didier Wampas a préféré asséner sa vérité en prime time plutôt que d’esquisser un sourire forcé dans un show aseptisé. Dans Punk ouvrier, sa biographie, le chanteur déchaîné à la voix éraillée revient sur ce moment et les autres grands souvenirs de sa carrière, en commentant les paroles de ses chansons. C’était la condition sine qua non assure Didier Chappedelaine, son vrai nom. « La maison d’éditions m’a appelé. Au début, je ne voulais pas trop parler de ma vie. Ça ne m’intéressait pas tellement. On a discuté avec Christian Eudeline (journaliste, NdlR) et j’ai accepté uniquement si le livre était plus basé sur la musique que sur ma vie. » Dont on apprend beaucoup, quoi qu’il en dise.
Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance en HLM à Villeneuve-la-Garenne ?
Ma mère est Bretonne, de Spézet, elle a appris le français à l’école. Ma grand-mère le parlait à peine, elle ne savait ni lire, ni écrire. C’est fou de se dire ça. Ma mère est partie à Paris comme Bécassine pour être bonne chez un docteur. Mon père est d’origine normande, mais il est né à Boulogne. Il travaillait chez Renault, c’était un vrai ouvrier, à l’ancienne. À Villeneuve-la-Garenne, je n’étais pas malheureux, mes parents étaient très très gentils, mais je m’ennuyais un peu. Je n’avais pas vraiment de copains. J’aurais aimé, mais je ne jouais pas au foot, je n’étais pas super bien dans ma peau, j’étais tout maigre. Les autres se moquaient un peu de moi. Heureusement, j’ai eu la lecture très tôt pour m’aider, j’ai lu beaucoup. Après est venue la musique.
Vous étiez très bon à l’école, puis vous avez décroché au collège. Comment l’expliquez-vous ?
Je ne me l’explique toujours pas. Je n’ai pas réussi à accrocher au système scolaire au collège. Je n’avais pas envie d’étudier. Je ne comprenais pas le pourquoi du comment, le rapport avec ma vie. On m’a mis en allemand première langue et je n’arrivais pas à m’intéresser au cours. Qu’est-ce que j’en avais à faire d’apprendre l’allemand ? Pourquoi ? J’ai fait une année en seconde à Gennevilliers et là c’était l’horreur. C’était la zone. C’était pour devenir tourneur-fraiseur, dans des grands ateliers. Je suis finalement allé à Clichy où j’ai décroché un bac en électrotechnique.
Vous avez travaillé toute votre vie à la Régie autonome des transports parisiens (RATP). Pourquoi y êtes-vous resté malgré le succès ?
J’avais bossé un an et demi à l’usine avant. Je ne sais pas comment font les gens. Quelle drôle de vie quand même. C’est démago de dire que les politiques devraient aller bosser à l’usine, mais ce n’est pas loin de la vérité. Si les gens allaient une fois à l’usine, ils verraient ce que c’est la vie. C’est pas facile. Cette expérience m’a permis de me rendre compte que c’était beaucoup plus cool à la RATP. Au tout départ, quand j’ai commencé, il n’y avait pas d’intermittents du spectacle. À partir des années 90, j’aurais pu avoir le statut, mais je n’avais pas envie de rentrer là-dedans. La RATP m’a permis de me moquer pas mal des maisons de disques, des contrats, des ventes, de ne pas être obligé de faire des dates pour avoir le statut. J’ai pu faire de la musique comme j’en rêvais quand j’avais 15 ans. Un truc noble, beau, pur, où on s’en fout de gagner de l’argent. Par amour du rock et de l’art.
Vous faisiez la première partie de la Mano Negra et vous alliez directement au travail. Ce n’était pas déstabilisant d’enchaîner les deux ?
Oui, mais ça fait du bien. Ça permet d’en rajouter sur scène, de jouer la rock star parce qu’on sait que ce n’est pas vrai. On retourne bosser et on sait que c’est faux. Ça aide à ne pas prendre la grosse tête.
Le rock vous a permis de ne pas sombrer durant votre jeunesse ?
C’est le premier truc qui m’a donné vraiment envie. Quand j’ai eu 15 ans. Je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Je voulais être marin, vivre des aventures, mais sans savoir comment. Quand le rock est arrivé, je me suis dit « ouah », enfin quelque chose à quoi m’accrocher. Ça m’a donné un but dans la vie et de savoir qu’on pouvait être différent des autres, sans aimer le disco, le foot et ce n’était pas grave. J’ai rencontré des gens, rien qu’en écoutant des disques. J’écoutais David Bowie et je me rendais compte qu’il y avait d’autres gens comme moi.
Comment s’est construite votre culture musicale ?
Je n’en avais pas… J’écoutais le hit-parade d’Europe 1 avec Johnny, Il était une fois et Mike Brant. « Qui saura » a été ma première émotion musicale. À dix ans. La première fois que j’écoute une chanson et que ça me touche aux tripes. Johnny reprenait les chansons d’Elvis et d’Eddie Cochran, je l’ai beaucoup écouté dans les années 70. J’ai quand même un peu appris le rock’n’roll avec lui… C’était un exemple, car il a montré qu’on pouvait chanter du rock en français. Je lui ai écrit une chanson intitulée « Christine », mais je ne lui ai jamais envoyée.
Vous rencontrez Francis Cottaing à l’école d’électricité. Une révélation ?
Oui, c’est mon premier copain punk qui écoutait la même musique que moi. Je pouvais enfin en parler avec quelqu’un. On a traîné ensemble et on a rencontré d’autres punks sur le lac d’Enghien. On était quatre, et on s’est dit : on va faire un groupe. Le 14 juillet 1981, on peut dire que c’est la date de naissance des Wampas.
Et vous prenez directement le micro ?
Francis faisait un peu de batterie, les deux autres de la guitare. On s’est mis dans la cave d’un des deux guitaristes et on s’est mis à répéter. J’ai essayé de jouer de la basse pendant trois répétitions, mais comme je ne savais vraiment pas en jouer, je me suis mis en chanteur. En général, c’est le plus mauvais dans un groupe. Dès le début, on a répété trois fois par semaine. On s’est dit que c’était important et qu’il fallait s’y tenir. On l’a fait pendant 30 ans. J’adore toujours les répètes.
Vous avez vu The Cramps à Bobino, The Coronados au Golf Drouot. Ces deux groupes vous ont fait comprendre que vous pouviez faire pareil ?
En 1978, je suis allé voir David Bowie à Paris et j’ai été déçu. Il ne se passait rien, il était loin, tout petit sur une grande scène, j’étais assis. Et je me suis dit : c’est pas ça le rock’n’roll. Les Cramps et les Coro dans des endroits plus petits, là, j’ai découvert qu’il y avait des vrais concerts de rock’n’roll. La première fois que tu montes sur une scène, tu ne sais pas quoi faire. Petit à petit, c’est venu, je me suis senti à l’aise, mais c’est long, mine de rien.
Au départ, vous sniffiez de la colle, vous buviez, mais vous avez tout arrêté à 25 ans ?
On a commencé à répéter avec des packs de bières. Cela ne m’aidait pas du tout à avancer. Entre les concerts, les trois-huit, je n’avais pas la santé pour tout. Et puis, c’est compliqué les concerts, il y a à boire à volonté, le frigo est rempli. Tu fais la balance à 14 heures pour jouer à 22 heures. Non, non. C’est plus simple de ne pas boire du tout, sinon, c’est compliqué à gérer.
Vous écrivez dans le livre : « Je ne fais pas de rock pour écrire des paroles, je ne suis pas un poète. » C’est toujours ce que vous pensez ?
Au départ, je détestais que l’on me dise que je faisais de la poésie, mais je pense aujourd’hui qu’il n’y a pas de bonnes chansons sans bonnes paroles. Et en fait, la poésie, c’est ce qu’on fait quand même. Je déteste retoucher mes paroles, j’ai envie qu’elles sonnent vraies, comme la musique. Je trouve qu’il faut garder le premier jet. Après, Brassens faisait le contraire et c’était bien.
Par exemple, « Rimini », très beau texte écrit en hommage au feu cycliste Marco Pantani, est sorti d’un seul jet ?
Quasiment. J’écris très vite. Je l’ai écrite sous le coup de l’émotion. Quand j’ai appris qu’il était mort à Rimini. J’y étais passé l’été avant son décès, j’avais déjà trouvé la ville glauque. Je me suis dit, en hiver, tout seul dans une chambre d’hôtel. Le pauvre… Ça m’a foutu un coup.
Vous évoquez aussi les suicides de Marc Police, ancien guitariste des Wampas et du chanteur Jean-Luc le Ténia. Vous écrivez : « le monde était trop petit pour eux ». C’est-à-dire ?
Marc et Jean-Luc étaient des gens qui aspiraient trop à quelque chose de grand, de beau, et justement le monde ne le leur donnait pas. Ils vivaient dans un monde qu’ils trouvaient petit et mesquin et ils ne pouvaient pas supporter d’y vivre, ils voulaient plus de beauté.
Vous composez d’abord la musique, avant d’écrire ?
95 % du temps. Je fais des chansons en yaourt et après je mets des paroles dessus. C’est plus facile. Même si ce n’est jamais facile. Là, je dois écrire pour le prochain album des Wampas, j’ai plein de chansons, je n’ai pas de paroles, je ne sais pas par où commencer. Je n’ai rien à dire. J’en suis encore à me demander par où je commence. C’est toujours la même histoire. C’est toujours aussi dur.
Vous chantez : « C’est pas moi qui suis trop vieux, votre musique c’est de la merde ». Quel est votre regard sur la musique actuelle ?
C’est un badge que j’avais vu aux USA. Je me suis dit qu’il fallait en faire une chanson car c’est trop vrai. Des fois, on se dit : c’est moi qui suis vieux, mais je crois que si j’avais 15 ans aujourd’hui, il y a plein de musiques que je n’aimerais pas. Pas plus que les Bee Gees à l’époque. J’écoute un peu de tout, pourtant, je comprends que le rap existe, c’est parfois drôle et vivant. Mais la variété française, le RnB et la dance, même si j’essaie, je ne peux pas. La vie est trop courte. Je lis les magazines rocks aussi pour trouver des trucs bien. Je ne veux pas être comme tous ces gens de mon âge qui écoutent uniquement ce qu’ils écoutaient à 15 ans. J’écoute beaucoup de musique classique, ça soulage. Aujourd’hui, Brahms me nourrit plus que les Sex Pistols.
« Je m’en fous de ce que les gens disent. Je danse sur la Lune ». C’est un peu votre mantra ?
Oui… C’est tellement jouissif de s’en foutre de ce que les gens pensent. Je n’arrive pas à faire un disque en me disant : tout le monde va l’aimer. Ma copine regardait un reportage sur Clara Luciani, l’autre jour. Elle était toute contente de remporter les Victoires de la musique, je n’ai rien contre elle, mais tout ce qu’elle disait, c’était le contraire de ce que je pense. Si tu as une Victoire de la musique, c’est que tu as fait une musique de merde. Ce ne sont pas les Victoires de la musique, ce sont les Victoires de la thune. Après, les gens font ce qu’ils veulent, c’est tellement bien de pouvoir faire ce dont on a envie. On me demande de passer à la télé, mais je n’ai pas envie. Je n’ai pas envie d’y aller, c’est tellement faux, hypocrite comme milieu, que je ne peux pas y aller.
Le titre « Manu Chao » a eu du succès en 2004. Comment est-il né ce titre ? Qu’a-t-il changé ?
« Manu Chao » a accru ma notoriété. Je n’aurais peut-être pas fait un livre aujourd’hui sans ce tube. Je ne suis ni fier, ni pas fier de l’avoir fait. J’avais vu une interview dans laquelle Manu Chao critiquait le capitalisme. Et je m’étais dit : si tu es contre le capitalisme, tu n’es pas obligé de vendre tes disques chez Carrefour. Il ne l’a pas très bien pris. On l’avait invité pour apparaître dans le clip, il n’était pas venu. Les membres de Louise Attaque, par contre, ont dit « oui » avec plaisir. Ils nous ont notamment aidés en nous invitant au Zénith pour faire « Chirac en prison ».
On allait y venir. Ce titre qui figure sur l’album suivant « Manu Chao » vous a un peu « cramé » ?
Je n’avais pas envie de faire comme tout le monde et de rentrer dans le grand cirque médiatique. À l’époque, tout le monde me disait : vous vous tirez une balle dans le pied. Il y a « Rimini » sur le même album, toutes les radios, nous ont dit : s’il n’y avait pas eu « Chirac en prison », on l’aurait diffusée. On n’est plus passé en radio par après. Mais je suis très content d’avoir fait ce titre, je peux me regarder dans une glace.
Vous avez joué dans des studios et des lieux mythiques, collaboré avec le producteur des Hives, assuré la première partie d’Iggy Pop ou de la Mano Negra, croisé le Dalaï-Lama, voyagé un peu partout… Quand vous vous retournez sur vos 43 ans de carrière, vous vous dites que la vie a été belle non ?
Oh oui… Quand on regarde d’où je viens, le petit Didier en banlieue qui n’a pas de copains, si on m’avait dit tout ce que je ferai, je ne l’aurais jamais cru. C’est pour ça, avoir plus de succès, vendre plus de disques, je m’en fous, j’ai déjà vécu des choses exceptionnelles. Tous les soirs, quand je rentre sur scène, c’est incroyable. Ça m’amuse toujours autant. Je n’en ai pas marre. Je ne sais rien faire d’autre au fond. Je n’arrive pas à m’exprimer autrement. Faire des nouveaux disques et écrire des bonnes chansons, je ne pense qu’à ça tout le temps. C’est tellement important pour moi. Si je suis là, c’est parce que j’écoutais des disques seul dans ma chambre. Si les gens peuvent écouter les disques des Wampas et être touché comme je l’ai été, c’est ce qui me fait continuer.
Y a-t-il un moment particulier dans cette carrière ?
La sortie de mon premier 45 tours. Je me souviens d’avoir pris le train de banlieue pour rentrer chez moi avec mon disque sous le bras. Je me dis : ça y est, j’ai réussi. Je peux mourir. Je lisais Best (magazine musical français, NdlR) depuis des années et là, le disque avait été chroniqué en disant qu’un des morceaux était un des meilleurs titres de l’histoire du rock français. J’étais tellement content. Ça a été le summum de ma réussite, le reste, c’était du bonus. Quelque part, j’aurais pu m’arrêter là.
Vous roulez toujours dans une vieille Daewoo ?
Non, je l’ai vendue pour 400 euros… Terminé la voiture. J’ai acheté un appartement pour la première fois de ma vie. J’ai un crédit jusqu’à 70 ans. J’ai toujours été en location et à Sète où je me suis installé, personne ne voulait rien me louer. Je suis allé voir ma banque et ils ont été d’accord. Ils ont été très gentils. Je n’ai jamais été propriétaire avant, parce que je m’en fous. On me disait : tu balances ton argent par les fenêtres. Quand je serai mort, ça changera quoi pour moi que je sois propriétaire ou locataire ? Et puis, les réunions pour parler savoir s’il faut refaire, ou pas, la cage d’escalier, ça me rend fou…