• @raspa
    De la (non) convergence des luttes, avec l’utilisation inappropriée de certains mots. L’analyse est super intéressante, et puis il y a ce petit passage :

    J’admets également qu’il est difficile, dans un premier temps, de reconnaître le caractère offensant de certains propos ou certaines pratiques. C’est d’ailleurs là l’essence-même d’une positionnalité privilégiée : habitué·e·s que nous sommes à nos propres privilèges et n’ayant jamais fait l’expérience de l’autre côté du miroir, nous avons du mal à les identifier.

    (C’est moi qui graisse, tu sais que c’est le nom officiel de mon fameux jeu ?)

    Ceci n’est pas de la végéphobie | Antigone XXI
    https://antigone21.com/2017/10/11/ceci-nest-pas-de-la-vegephobie

    Ce week-end avait lieu la Veggie Pride à Paris. Un événement militant dont l’un des principaux objectifs est de lutter contre le spécisme. Un événement que je soutiendrais pleinement si son autre objectif avancé et, par ailleurs, sa raison d’être originelle n’étaient pas de combattre la “végéphobie”. La végéphobie, ou “l’oppression contre les personnes végétariennes ou véganes”. D’où le nom de “Pride”, qui reprend le nom des grandes marches organisées par le mouvement LGBT (type Gay Pride, Lesbian & Gay Pride ou LGBT Pride) et destinées à offrir de la visibilité aux personnes homosexuelles, bi, trans ou queer. “Pride”, pour “affirmer notre fierté de refuser de faire tuer des animaux pour notre consommation”, peut-on lire dans l’un des manifestes de la Veggie Pride (annexe 1).

    Comme chaque année, l’utilisation des termes “pride” et “végéphobie” n’a pas manqué de susciter la polémique. Comme chaque année en effet, de nombreuses personnes LGBT ont manifesté leur mécontentement devant le parallèle fait entre leurs marches et celles des véganes, entre les oppressions dont elles sont victimes et celles dont les véganes seraient victimes. Comme chaque année encore, partisan·e·s et détracteur·rice·s de l’événement ont débattu sur les réseaux sociaux, les premier·ère·s criant à la végéphobie à chaque tweet dénonçant la victimisation des véganes. Comme chaque année enfin, de nombreuses personnes, LGBT ou non, véganes ou non, sont restées amères face à ce refus affiché de questionner le caractère problématique du parallèle entre la végéphobie et les autres “phobies”.

    • @raspa avec dans les commentaires, celui-là de Lumiciole (j’arrive pas à mettre un lien directement vers son comm’, alors recopitage ici) :

      Excellent article, merci d’avoir pris le temps de remettre les choses bien au clair sur le sujet. Pour ma part, végane, trans et pansexuel.le, ça me débecte tous les ans de voir passer les pubs pour la “Veggie pride” et d’assister à ce qu’il me semble être une montée de l’usage de “végéphobie” (sans parler du “coming out végane”).

      Je ne peux pas me sentir en sécurité dans un groupe ou un mouvement qui refuse de voir le problème et qui continue à maintenir que c’est acceptable de nous voler notre vocabulaire de la sorte. Qu’on n’ait pas vu le problème parce qu’on n’est pas concerné.e c’est une chose, on peut toujours faire des erreurs et les corriger. Mais là c’est pas ce qui se passe avec cet évènement et avec une partie des gens qui parlent de végéphobie. Non seulement c’est déplacé comme vocabulaire, mais ça contribue carrément aux LGBTphobies puisque du coup, nous autres concerné.e.s sommes obligé.e.s de choisir entre rejoindre un groupe qui méprise nos combats ou de s’en voir exclu.e.s.

      Et puis franchement, la comparaison est tellement improbable. Je suis végane de puis trois ans et ouais c’est chiant. Faut toujours prévoir, faut toujours se la fermer, faut faire semblant de trouver rigolo la trois millième blague sur “lol tu veux pas des saucisses, ah bah non mdr mdr”, c’est le bazar pour voyager, pour toutes les invitations, au travail, à l’école, en famille… Mais ça n’a aucun rapport avec mon vécu sur mes autres oppressions. Être végane ne me fait pas craindre d’être harcelé.e à l’école ou d’être attaqué.e quelque part, être végane ne pollue pas mes relations sociales dans 100% des cas, je ne vais pas devoir demander à l’Etat ou à un médecin si j’ai le droit d’être végane ou non, des gens ne manifestent pas dans les rues pour dire que je suis contre-nature parce que je suis végane…

      Faut pouvoir entendre ça quand même et arrêter de confondre le vécu des cibles et celui de celleux qui soutiennent.

    • @georgia On en a déjà pas mal parlé du coup. Mais je trouve intéressant cet élément qu’elle amène, d’un côté la « concurrence victimaire » et de l’autre les questions autour de la notion d’allié. Dans ce qu’elle décrit, on voit clairement une posture d’allié autoproclamé, problématique parce qu’elle prétend partager le sort des victimes.

  • @raspa Tu te souviens de ce fameux article / interview du directeur de l’Observatoire des Inégalités ? http://www.slate.fr/story/141983/declassement-diplomes-inegalites
    On avait pas mal échangé sur ce qui fait qu’on n’est pas précaire malgré des revenus de la catégorie « Pauvre », grâce aux filets sociaux, capitaux sociaux, culturels qu’on possède etc.
    J’ai l’impression que ce bouquin qui vient de sortir documente bien tout ça :
    https://agone.org/lordredeschoses/lesclassessocialeseneurope

    Les classes populaires européennes ont été touchées de plein fouet par la crise : l’expérience du chômage et de la précarité fait partie de leur quotidien et constitue un marqueur qui les distingue des autres classes. Un autre trait récurrent est la pénibilité physique au travail, qui touche davantage les actifs peu ou pas qualifiés dans la quasi-totalité des pays européens. Pourtant, ces inégalités dans le monde du travail n’ont guère été prises en charge politiquement : la délégitimation du monde ouvrier s’est accompagnée d’une occultation de la déstabilisation des classes populaires.

    Visiblement, ça remet bien les pendules à l’heure sur le fait que ce sont les classes populaires qui subissent le plus, même si c’est pas elles qu’on entend...

  • @raspa Anthropologie du soir, bonsoir... La fameuse émission sur l’enquête d’anthropologie sociale des années 70 : [https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-l-histoire/l-enquete-et-son-histoire-24-retour-minot]

    D’un point de vue plus théorique, l’enquête de Minot est extrêmement novatrice dans la mesure où les chercheuses vont utiliser les cadres de l’anthropologie sociale telle qu’elle se pratique alors sur les terrains exotiques (la parenté, le système matrimonial, la mémoire familiale, les espaces cérémoniels ou les figures tutélaires) pour les appliquer à un terrain français.

    Ou comment tu innoves grâce aux contraintes, comment ton statut de mère et d’épouse qui ne peut pas tout lâcher pour étudier les Papous pendant des mois sous peine de sanction sociale forte te conduit à faire des choses auxquelles les Grands Anthropologues n’avaient pas pensé (même si ce n’est pas reconnu comme tel...)

    Et la sorcellerie en Mayenne, c’est aussi les années 70. A revoir les titres des bouquins, je suis sûre d’avoir eu des exposés de TD là-dessus à la fac. L’autrice en parle ici : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/l-ethnologue-jeanne-favret-saada-raconte-la-sorcellerie-en

    (et puisqu’on est dans la radio : magnifique émission d’histoire de la vie quotidienne que ce documentaire : la vie d’une famille à travers 3 carnets de compte, 1949, 1950 et 1964. https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-l-histoire/consommation-24-1949-1964-une-vie-tous-comptes-faits

    )

  • @raspa Si on parlait modèles de gouvernance pour changer ? Avec cet article sur la stigmergie :
    http://www.lilianricaud.com/travail-en-reseau/la-stigmergie-un-nouvelle-modele-de-gouvernance-collaborative
    Plein de choses intéressantes et inspirantes, mais aussi plein de côtés « magiques » dans cet article, du type « une information utile sera forcément transmise », sans exemple concret, ça me laisse un peu dubitative... Mais sur les questions de subsidiarité dans nos organisations, ça ouvre des perspectives !

  • @raspa Le sport est politique :

    Enfin, parmi les grands héros de la lutte contre la discrimination, Dave Zirin n’oublie pas Tommie Smith et John Carlos qui, sur le podium des Jeux olympiques de Mexico en 1968, levèrent un poing ganté aux premières notes de l’hymne. « Je n’allais tout de même pas rester là la main sur le cœur tandis qu’on jouait la “Bannière étoilée” puis retourner à la vie normale, en citoyen de seconde classe, comme si de rien n’était », expliqua Tommie Smith.

    Sur Mediapart : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/071017/politiques-et-passions-musculaires-aux-etats-unis

  • @raspa A balancer à tes pioupious juste avant qu’ils fassent leur jeu de la barge rousse (ou du puffin fuligineux as you want) ? :-D
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Puffin_fuligineux
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Barge_rousse

    Pourquoi partir à l’étranger pour chercher de « l’authenticité » ne sert à rien - VICE
    https://www.vice.com/fr/article/a3dqk8/authenticite-voyage-mythe

    Le « voyageur de l’authentique » s’émerveille de ceux qui, « alors qu’ils n’ont rien, vous donnent tout », de l’hospitalité généreuse et gratuite – mais ne s’interroge presque jamais sur le pourquoi nous en serions arrivés à cette société que, souvent, il méprise. S’il est enclin à dénoncer l’égoïsme de sa terre natale, en contraste avec la générosité du pays visité, il rentre plus fréquemment avec « les batteries chargées » qu’avec l’ambition de rejoindre une organisation politique, ou syndicale. Son attitude a, alors, tout du consommateur qui prend – et ne donne pas.

    Or, là se trouve la clé du problème : si le voyageur va admirer superficiellement des sociétés, comme on va au zoo observer des espèces en voie de disparition, il n’en extraira jamais le suc révolutionnaire – seulement une petite satisfaction individuelle. Pis : il ne sera, le plus souvent, qu’un agent actif de la libéralisation du monde et de la généralisation de la transaction marchande comme mode relationnel principal.

    (Franchement, ça attaque dur, mais sur cette problématique de "revenir citoyen du monde", ça pose de vraies questions... sans apporter de réponse miracle, évidemment. On a encore du boulot à faire !)

  • @raspa Une mise au point qui sonne comme un (r)appel à la vigilance par rapport aux débats (et rapprochements militants) sur la question des violences policières auxquels on a assisté cet été (et, pour moi, par rapport à mes autres engagements militants sur lesquels la question de la convergence avec les luttes des quartiers populaires se posent...) : surtout, ne pas faire nawak.

    Inspecteur Ruffin mène l’enquête : chronique de la divergence des luttes | Le Seum Collectif
    https://leseumcollectif.wordpress.com/2017/09/24/inspecteur-ruffin-mene-lenquete-chronique-de-la-divergenc

    Et quand tu as fait tout ça, ne t’attends pas à des félicitations : on ne dira jamais « merci patron » à des égos sur pattes qui nous prennent pour de la chair à convergence quand ça les arrange.

    • @georgia Oui, la position de Ruffin est symptomatique de celle de pas mal de monde dans nos milieux. Les luttes nées dans les quartiers populaires restent dans l’angle mort, dans le prisme médiatique. On n’est pas si loin des tirailleurs sénégalais et autres troupes coloniales, que la France de droite comme de gauche a enrôlé dans sa propre « convergence des luttes » à l’époque.

      D’ailleurs je trouve que la « convergence des luttes » est un terme trop usé, trop manipulé pour dire encore quelque chose d’intéressant. On pourrait commencer par dialoguer, s’expliquer les uns aux autres, se faire connaître et reconnaître. Ensuite, on verra si on peut converger. Je pense que des moments comme celui de la ZAD sont des moments pour ces rencontres. Celui d’ATTAC, en revanche, était un échec de ce point de vue.

      Un peu d’humilité, pour commencer, ce serait bien.

    • @raspa Oui, moi aussi ces appels à la convergence en mode « rejoignez-nous sous NOTRE bannière » ont tendance à m’irriter de plus en plus... D’autant que la convergence, à mon sens, ne sera jamais globale : on peut converger sur des points précis (exemple de ce qui s’est vécu à la ZAD effectivement), après un temps de dialogue forcément long, mais on ne convergera pas sur tout tout le temps : si on suit notre exemple, au-delà de la lutte commune contre les violences policières, les mouvements pour la justice des jeunes tués par les flics dans les banlieues continueront de se battre contre le racisme d’État, pour plus de justice sociale etc, les mouvements de blessés des manifs continueront de se battre sur les questions climatiques, environnementales, sociales etc.
      On peut espérer un soutien mutuel pour les temps forts de mobilisation de part et d’autres, grâce à une meilleure compréhension et interconnaissance née de cette convergence ponctuelle. Mais une convergence totale et permanente, ça me paraît illusoire, et même pas forcément souhaitable (et, soyons réaliste, pas souhaitable pour les moins privilégiés qui risquent d’y perdre le peu de visibilité et de crédit médiatique de leurs objectifs de lutte).

  • @raspa L’article sur Enjoy Phœnix et ses troubles alimentaires donc.
    Lâche tes comm’ !
    http://www.slate.fr/story/151742/enjoyphoenix-youtubeuse-malade-commentaires

    Ensuite, il est bien évident que si elle a été critiquée sur son apparence physique, c’est par rapport à une norme sociale du corps féminin acceptable. L’image du corps féminin type que nous avons tous en tête, on sait qu’elle n’existe pas. Elle est une image qui ne se rapporte à aucune réalité physiologique.

    C’est dommageable en soi, mais le pire c’est que son pendant, le corps réel de chaque femme, devient une déviance par rapport à cette image. On ne voit pas son corps tel qu’il est, on voit chaque endroit où il dévie de l’image idéale. Pour beaucoup de femmes, leur corps est un échec. Un râté. Une foirade. Simplement parce qu’il ne correspond pas à quelque chose qui pourtant n’existe pas. Ce qui fait que les femmes deviennent des étrangères à elles-mêmes. Le corps féminin qu’on leur expose partout fait de leur propre corps une étrangeté, une incongruité.

  • @raspa Mes recherches du jour sur le « travail émotionnel » : visiblement, ça recouvre deux choses, fort intéressantes mais aussi fort différentes :
    1 - Le travail émotionnel comme "la partie du travail (dans le sens « activité professionnel ») consacrée à la gestion des émotions dans ce cadre professionnel" : voir cette référence fondatrice : http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_prix_des_sentiments-9782707188960.html
    Ou comment notre milieu professionnel nous dicte les émotions que l’on doit ressentir (ou tout du moins laisser paraître : avoir l’air absolument ravie de voir entrer un client par exemple...), ce qui est un vrai travail en soi, qui peut avoir des conséquences assez cata sur notre gestion émotionnelle en tant que personne.
    Illustration ici chez les coiffeurs-coiffeuses : (oui, c’est encore de la socio : https://nrt.revues.org/2149)

    Du patron à l’apprenti, chacun doit y aller de sa petite attention pour donner le sentiment au client qu’il est unique, singulier et lui faire oublier cette situation délicate. Sourire, tenir la porte, se souvenir du nom de famille des clients réguliers, anticiper les demandes, apporter deux sucres au lieu d’un à Monsieur Patrick, ou encore se faire le plus discret possible si le client ne souhaite pas converser, voilà qui constitue une grande part du travail des coiffeurs. Le service technique (la réalisation d’une coupe ou d’une coiffure) se pare alors d’une série de « petits plus » venant agrémenter et personnaliser la prestation jusqu’à parfois donner l’illusion d’une relation non marchande. Ces « à-côtés » du service visent à redonner l’illusion d’un espace clos et privé, bien loin de l’effervescence de la rue. Ce travail réalisé par le coiffeur fait partie intégrante de la prestation. L’économiste Jean Gadrey (1994) a été l’un des premiers à souligner la dimension fortement relationnelle des prestations de service.

    2 - Le travail émotionnel comme « l’accompagnement de la gestion des émotions de son entourage » : évidemment fait majoritairement par les femmes. La bonne oreille à qui raconter ses malheurs typiquement, sans que souvent on se pose la question de qui les écoute elles. Travail que font aussi les discriminé⋅e⋅s entre eux⋅elles, travail qui est rarement voire jamais assumé par les privilégié⋅e⋅s (qui ne prennent pas le temps de ce travail d’écoute, n’en percevant pas la nécessité. Et se privent du même coup du récit des expériences quotidiennes de discriminations, et donc d’une compréhension plus fine desdites discriminations).
    Sur ce sujet, un éclairage sur ce travail émotionnel dans le milieu militant (et comment prendre soin de soi est aussi un acte révolutionnaire) :
    Triste à en pleurer : le travail émotionnel dans le militantisme – Pieds de Biche
    https://feministesjusticeclimatique.wordpress.com/2016/08/11/triste-a-en-pleurer-le-travail-emotionnel-dan

    Une partie de l’organisation politique doit être dédiée à la reconnaissance et la valorisation du travail émotionnel et social. Il ne suffit pas de reconnaître que certain-e-s activistes passent beaucoup de temps à s’assurer que les personnes prennent soin d’elles-mêmes. Nous devons accorder autant de valeur à ce travail qu’aux actions directes. Parce qu’il n’y a aucun intérêt à formuler une analyse marxiste parfaitement claire si nous ne tirons pas les conclusions de la division du travail qui a lieu dans nos propres espaces politiques.

    Peut-être qu’une partie du problème est que nous pensons que nous préoccuper de notre confort, de celui de nos ami-e-s, de nos sœurs et nos camarades est égoïste ou une distraction. Comment pouvons-nous penser à nous-mêmes quand nous essayons de lutter pour la libération de la Palestine ou la fin de la brutalité policière ? Pourtant, comme le dit Audre Lorde, “prendre soin de moi-même n’est pas de la complaisance mais de la préservation, ce qui constitue en soi un acte de guerre politique.” Cette célèbre citation est devenue un antidote important pour celles et ceux, souvent les femmes, qui font passer leurs besoins après ceux des autres, après leur travail, après leur activisme, après la cause. C’est un rappel important qu’il n’est pas individualiste de prendre soin de soi quand son quotidien est parsemé de racisme, de sexisme, d’homophobie, et que le monde dans lequel on vit n’est pas fait à notre image ou pour nous.
    [...]
    La politique du self-care reconnaît que les personnes traversent le monde différemment. Il est plus épuisant, plus déstabilisant, et plus aliénant de vivre le monde en tant que femme, que personne racisée, que personne LGBTQ+, que personne invalide, que personne des classes populaires ou du Sud. L’énergie que l’on dépense pour simplement exister quand notre identité même est contraire à ce qui est présumé “normal” signifie que prendre soin de soi est un acte révolutionnaire. Nous ne pouvons attendre la révolution pour prendre soin de nous mêmes et des autres, en fait, ça fait partie de la révolution.
    [...]
    Et bien que cela puisse faire partie du combat, la révolution ne sera pas une ultime confrontation avec la police municipale. Elle sera l’accumulation des efforts de millions de petits actes révolutionnaires, qui très lentement changeront nos façons d’être au monde. En changeant nos comportements pour essayer de mettre en pratique le monde utopique que nous voulons créer, nous pouvons commencer à créer des petits espaces de refuge pour échapper aux structures oppressives, même l’espace d’un instant. Dans un monde hyper-individualisé et néolibéral, des petits actes d’entraide et d’amour radical pour nous-mêmes et pour les autres deviennent des actes révolutionnaires.

    • C’est très intéressant. Mais je ne trouve pas que ces deux « formes » de travail émotionnel soient si différentes. Ce serait plutôt le contexte qui, lui, est différent, mais seulement parce qu’on est habitué à ne pas considérer sur le même plan les activités professionnelles et les activités militantes. Pourtant c’est ce qu’on vit tous les jours (du moins tous les jours ouvrables) non ?

      Ce qui est décris pour les coiffeurs est vrai pour pas mal d’autres professions où il est « attendu » une certaine relation humaine : tout ce qui tourne autour du soin, du bien-être, mais aussi le petit commerce, le service (bars, restaus...), les services de proximité, le tourisme, l’accueil, même dans une certaine mesure les guichetiers... à des degrés divers (laisser ses cheveux ou ses organes entre les mains d’un inconnu n’est pas la même chose que de lui demander un billet pour le prochain film), une certaine chaleur humaine, une certaine ouverture, convivialité, attention à l’autre (même parfaitement feinte) sont attendues et font même partie de la panoplie professionnelle, des « compétences ». Rien de nouveau là-dedans, si ce n’est qu’effectivement, devoir sourire ou être avenant (et selon les personnes, ce n’est pas le même sourire qu’il faut avoir), être au service y compris des cons, être... dans une position de soumission finalement, c’est psychologiquement usant.

      Pour le milieu militant, ça rejoint tout ce qui n’est pas directement l’activité, mais qui soutient les activistes. Les fonctions support, la légal-team, les street-médic, comme dans le domaine militaire le cuisinier du sous-marin, la logistique qui assure que les soldats dorment au sec, les prostituées qui suivent toujours une armée en campagne... on sous-estime rarement le moral des troupes (mais parfois on se plante sur la façon d’en prendre soin). C’est une préoccupation que j’ai trouvée très forte chez des gens qui avaient vécu le dur des manifs de Carrés-Rouges ou de Occupy Montréal. C’est aussi au Québec que j’ai découvert la notion d’"épuisement militant". Ca va au-delà de la simple « oreille compatissante », de penser au café pour la réunion ou de donner le bon conseil de « tu devrais peut-être aller te reposer, après ce que tu as vécu », on va vraiment vers une gestion collective des forces (la réserve, dans le contexte militaire) et d’inscrire une lutte dans une durée, avec ses apprentissages. Je pense que les Carrés Rouges de même que les manifs de la Loi Travail, même si elles ont échoué sur le moment, on été des des moments d’apprentissage forts et profonds (incluant les valeurs, les représentations, les émotions) commun à une génération.

      Pour revenir à ce que tu évoques, qui serait plus du travail émotionnel « domestique » : non encadré, non réciproque, non reconnu, et effectivement, surtout attendu des femmes (comme tout travail domestique). On n’échappe pas à la division genrée des activités militantes, les hommes au front, les femmes dans les cantines et dans les infirmeries de campagne. Il y a aussi probablement les prétentions à l’héroïsme de ces jeunes hommes en rut, pardon, en lutte, et il leur faut bien un auditoire féminin (sinon ça valait pas la peine de se prendre de la lacrymo). Dans la vie quotidienne aussi, oui sans doute, les hommes s’épanchent plus facilement auprès d’une femme (significant other ou bien celle qui passe par hasard dans le coin) qu’auprès d’un homme, fierté masculine oblige.

      Est-ce que c’est lié à la position de privilégié ? Je ne sais pas. Un des privilèges de cette position est de pouvoir se présenter en saint sauveur des opprimé.e.s, et de recevoir des fleurs (et des cookies) pour la moindre bonne action que l’on consent. Je ne crois pas que cette position dominante (et même hégémonique) rende sourd et aveugle aux besoins des autres, et même aux discriminations qui les accablent. Par contre, on est limité dans la compréhension de la dimension systémique et systématique de ces discriminations. Aucun problème pour sauver la veuve et l’orphelin, tant qu’ils restent des victimes anecdotiques - de bonnes occasions pour de bonnes actions, en somme. Et si par malheur ils veulent se sauver eux-mêmes, merdalors, ça renverse tout ce beau monde bien droit qu’on s’était construit.

      Par contre, la construction des genres est très claire : les émotions, c’est un truc de meuf, un truc de faible. Un homme, un vrai, ne pleure pas, ne rit pas, il se contient. Donc il peut faire un effort, mais il ne faut pas lui en demander trop. A la limite, vite fait pendant qu’il débloque un pot de cornichons, qu’il passe la tondeuse ou qu’il tranche ses ennemis à coup de hache.

      Bon, je crois qu’il ne faut pas être caricatural non plus...

    • @raspa
      L’article sur les coiffeuses (que je n’ai pas encore fini) part des concepts de l’étude de la sociologue états-unienne de référence pour montrer comment justement cette compétence du travail émotionnel s’acquiert, dans l’apprentissage puis au long cours avec les collègues (avec, aussi, des stratégies au quotidien pour résister... ou de gros craquages). Mais oui, ce n’est qu’un exemple dans les nombreux métiers de service, qui sont visiblement décryptés par la sociologue (j’ai réservé son bouquin à la bibli, plus d’infos en octobre ;-) ).

      Le travail émotionnel « domestique » est peu reconnu en milieu militant (ailleurs aussi, mais c’est toujours plus choquant dans un milieu soit-disant safe et qui veut bien faire...), c’est bien ce que dénonce l’ensemble du texte des féministes pour la justice climatique : tant mieux si au Québec il a commencé à être visibilité et « institutionnalisé » durant certaines luttes.
      Si tu lis l’article en entier, tu verras que ça recouvre aussi la gestion émotionnelle des actes discriminants commis au sein de l’organisation militante (typiquement : réconforter et soutenir la militante violée par un camarade de lutte si-gentil-et-si-gauchiste-que-c’est-pas-possible...). Et là dessus, je pense qu’on est encore moins sorti des ronces que pour la reconnaissance du travail « domestique » réalisé pour le maintien du moral des troupes !

    • Alors ça tombe bien (non ça tombe pas bien du tout, en vrai, mais c’est pour la formule) parce que justement, un des trucs qui m’avait frappé au Québec c’était aussi la réactivité des milieux militants (enfin, certains milieux... je les ai pas tous fait) face aux cas de viol et de harcèlement sexuel par le fameux camarade de lutte. Du genre, même à moi (un homme, qui débarque 2 ans après les faits, qui n’a pas participé aux luttes, en gros le touriste en périphérie du milieu militant) on a assez vite identifié les personnes problématiques. J’ai pu constater que des agresseurs étaient définitivement exclus des mouvements, qui d’ailleurs communiquaient entre eux à ce sujet. En gros, une prise de conscience du problème + la mise en oeuvre de mécanismes pour gérer le problème + une vigilance pour qu’il ne se reproduise plus à l’avenir. Donc, c’est possible !

      Mais bon, le Québec a quelques longueurs d’avance sur ces sujets par rapport à la France.

    • @raspa En fait, le bouquin phare sur le sujet vient juste d’être traduit en français, donc pas étonnant qu’on en entende un peu plus parler. C’est ce que m’apprend cet article : https://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/nos-vies-intimes/20171108.OBS7115/les-femmes-sont-bonnes-parlons-maintenant-de-la-charge-emotionn
      Et elle dit ça :

      Pour Hochschild, le gros problème du travail émotionnel n’est pas qu’il existe, car il est nécessaire. C’est qu’il est capté par le capitalisme d’une part, et qu’il n’est pas pris en compte ni rémunéré d’autre part. Car, c’est bien connu, les femmes sont douceur et amour, non ?

      Parce que professionnellement, c’est une vraie question : la composante charge/travail émotionnel.le de mon métier est importante (en quantité) et essentielle (sur le fond et dans l’éthique), mais la valoriser économiquement est loin d’être simple.

      (et la suite de l’article est super intéressante aussi. A la fin, ya une liste d’exemples, dont beaucoup font bien bien écho...)

    • Sur « Chez Nous » : me semble qu’on avait pointé ces éléments lors de notre décryptage post-séance (surtout le côté « en fait les seuls trucs qui la font agir et sur lesquels elle agit, c’est sur les trucs liés à sa relation amoureuse »). Pas grand chose à redire, c’est sûr que le film ne figurera pas au panthéon des œuvres féministes.
      A ceci près qu’un personnage fort, ayant des valeurs morales bien ancrées, lucide, capable de défendre son individualité, de contrôler l’utilisation de son image... n’aurait pas du tout collé avec le film et son objectif. Et je pense que ce personnage aurait été trop « héroïque » pour être crédible. N’en déplaise à la critique, le personnage de Pauline est assez crédible, y compris grâce à ses limites et ses côtés sombres. Bon, il se trouve que c’est une femme... pas de bol, c’est pas une femme forte. Il se trouve qu’il y a des tas de gens qui se sont fait plus ou moins avoir de la même façon. Cold fact : la plupart des gens sont banalement faibles.

    • Sur « I am not your negro » : intéressant, ça enrichit bien le film.
      Où on apprend que Baldwin parlait déjà d’intersectionnalité en 1984 :

      Dans un entretien avec Richard Goldstein paru en 1984 [6] , Baldwin évoque longuement la place de l’homosexualité dans son travail et dans la lutte contre le racisme. A Goldstein qui suggère que l’homosexualité constitue un terrain commun trans-racial dans l’expérience de la discrimination, Baldwin rétorque que le sentiment d’être « à part » en raison de son homosexualité vient du fait que celle-ci entraîne la perte d’une certaine « sérénité », c’est-à-dire la perte d’un privilège dont on s’attend à profiter en tant que blanc. Il souligne qu’il en va tout à fait différemment pour les personnes qui sont à la fois noires et homosexuelles : dans ce cas, la question sexuelle « vient après la question raciale ». Pour un noir homosexuel la discrimination sexuelle est « une discrimination de plus » ; pour un blanc homosexuel, elle est une « anomalie » éprouvée par quelqu’un qui se pensait naturellement au « sommet de la pyramide ». Cette démonstration toute simple, si elle avait été incluse dans le film de Peck, aurait permis de mieux comprendre comment Baldwin concevait son combat politique. Non pas comme une lutte contre la « haine raciale », mais comme une lutte contre un ordre social hétérosexuel et patriarcal confisqué par les Blancs, dans lequel le racisme naît de leur refus de renoncer à leurs privilèges.

  • @raspa Donc, ma découverte de la semaine : la mixité choisie. Le terme m’a énormément intriguée, parce que dans ma petite tête, la mixité c’est forcément homme-femme, alors j’imaginais un temps mixte homme-femme avec des règles bien particulières pour que ça parte pas en cacahuète.
    MAIS j’ai donc appris à cette occasion qu’on peut aussi arrêter de se limiter à ces petites cases étriquées homme-femme, étant donnée la palette de gens qui ne se reconnaissent pas là-dedans : la mixité choisie étant donc un temps sans hommes cisgenre, mixité au sens de « toutes les possibilités d’étiquetage ou de non-étiquetage en fonction de son genre tant que l’étiquette n’est pas homme cisgenre ».

    Comme j’ai découvert ça via une militante des ateliers vélo, un exemple ici, à Grenoble : http://www.ptitvelo.net/Permanence-en-mixite-choisie-sans-hommes-cisgenres.html
    La définition donnée est

    Un espace d’auto-réparation entre femmes, trans, intergenres, ou personnes s’auto-identifiant différemment mais autrement qu’un homme cisgenre*

    On retrouve des marches féministes avec le même principe à Lyon : https://www.facebook.com/events/1019666954779379
    Ou des ateliers chants à Marseille : https://equitablecafe.org/tag/mixite-choisie

    Tout ça me fait dire que c’est très quart sud-est de la France, je ne sais pas si c’est le hasard de ma recherche Qwant ou une propagation du concept via une association locale... A creuser !

    Et pour finir, parce que Christine Delphy c’est toujours bien, un texte court qui repose les bases de la non-mixité choisie... http://lmsi.net/La-non-mixite-une-necessite

    Les femmes, exclues, ne souhaitent pas la non-mixité qui leur est imposée : elles souhaitent, comme tous les dominés, se rapprocher du groupe dominant. Elles souhaitent aussi, en général, le convaincre qu’il les traite mal.

    Devant l’échec de cette stratégie de persuasion amicale, le mouvement de libération des femmes, en 1970, dans tout le monde occidental, a choisi la non-mixité pendant ses réunions. Mais justement, une non-mixité choisie, et non imposée.

    La non-mixité choisie

    La pratique de la non-mixité est tout simplement la conséquence de la théorie de l’auto-émancipation. L’auto-émancipation, c’est la lutte par les opprimés pour les opprimés. Cette idée simple, il semble que chaque génération politique doive la redécouvrir. Dans les années 1960, elle a d’abord été redécouverte par le mouvement américain pour les droits civils qui, après deux ans de lutte mixte, a décidé de créer des groupes noirs, fermés aux Blancs.

    • @raspa en poursuivant mes recherches, je tombe sur le groupe affinitaire queer-féministe de la dernière action Ende Gelände : https://feministesjusticeclimatique.wordpress.com/2017/08/01/ende-gelande-2017-nous-creerons-un-climat-de-

      En tant que collectif, nous voulons rendre visible le rôle des femmes et des minorités de genre dans les luttes contre le changement climatique, par exemple en relayant les luttes des femmes impactées, en particulier celles des femmes du Sud et des femmes des Premières Nations, en première ligne de la lutte contre les industries extractives et polluantes.

      De plus, le mouvement climat est souvent vu (et représenté comme tel) comme porté par un super-héros mâle, cis, blanc et valide. Nous voulons changer cette représentation du mouvement ainsi que les comportements sexistes et excluants qui persistent au sein du mouvement. Nous sommes aussi légitimes, tel-les que nous sommes, à participer, et nous souhaitons le faire en respectant nos limites et celles des autres.

      C’est pour mettre en action des formes de lutte inventives et inclusives que nous allons nous joindre à l’action Ende Gelände qui aura lieu du 24 au 29 août 2017 dans la région de la Rhénanie (dans l’ouest de l’Allemagne) et aux camps (camp climat et Degrowth school ainsi que Connecting Movement Camp, camp for [future]) du 18 au 29 août en amont et pendant les jours d’action !

      Nous défendrons un espace safe pendant le camp et pendant les actions, où nos identités peuvent s’exprimer librement, et où on pourra sans problème critiquer un comportement/une parole oppressive. Les camps climat sont des espaces de vie et il est primordial que tou-te-s participent également au travail de care et se sentent en sécurité.

      Et ici pour un texte plus complet sur féminisme et climat : https://feministesjusticeclimatique.wordpress.com/2017/07/16/nos-echos-feministes/#more-354

  • @raspa
    On veut contraindre nos vieux militants à respecter les procédures de parole... c’est sans doute pas gagné ! :-D
    (article de 2 de mes anciennes profs de fac sur l’arrivée de nouvelles élues au Conseil régional d’Ile de France dans les années 2000. Par ailleurs super intéressant sur l’analyse de l’origine des difficultés rencontrées : ce qui relève du genre, ce qui relève du premier mandat, ce qui relève des capitaux scolaires, militants, politiques, professionnels (ou de leur absence)).

    Comment devenir un(e) professionnel(le) de la politique ? | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2007-2-page-251.htm#re12no12

    Nos observations font tout d’abord apparaître que, quel que soit leur capital politique, et à rebours des stéréotypes genrés, les hommes bavardent beaucoup plus que les femmes avec leurs voisins lorsque les autres « commissionnaires » s’expriment. Certains, les plus aguerris, se lèvent même pour pouvoir parler avec un camarade assis plus loin – alors qu’aucune femme ne s’autorise à le faire. Si l’on ajoute à cela que les hommes coupent beaucoup plus souvent la parole que les femmes et qu’ils la prennent davantage avant qu’on ne la leur ait donnée (même si les moins expérimentés d’entre eux sont plus respectueux des règles de procédure), on constate que les hommes, notamment les plus dotés en capital politique, manifestent comme un droit « naturel » à s’exprimer en commission. Tout dans leur comportement révélant combien il leur est plus difficile qu’aux femmes de respecter le cadre contraignant et artificiel des règles de procédures relatives à la distribution de la parole.

    Inversement, tout dans le comportement des femmes (a fortiori des nouvelles élues) manifeste leur sentiment d’illégitimité à s’exprimer dans ce type d’enceinte. D’abord, elles renoncent beaucoup plus facilement que les hommes à prendre la parole, après l’avoir demandée, au motif qu’un intervenant précédent aurait déjà dit ce qu’elles avaient à dire. Leurs interventions, ensuite, sont beaucoup plus courtes que celles des hommes, et ce parce qu’elles posent plus de questions qu’elles n’expriment une opinion. Leurs prises de parole visent, en effet, beaucoup plus souvent que celles des hommes, à obtenir des précisions, des informations, voire des confirmations. Et à l’inverse, même lorsqu’ils posent des questions, les hommes ne manquent jamais de faire précéder leur intervention d’une analyse qui, au fond, affirme, rappelle et pour tout dire consolide avant tout leur propre position politique.

    • Effectivement on a du boulot.
      Pendant ma dernière formation, j’ai constaté qu’il y aussi un gros fossé générationnel. Les plus âgé.e.s, aussi bien les hommes que les femmes, sont plus enclin.e.s à couper la parole et à répondre en ping-pong dans des débats de groupe. Ils.elles ne semblent tout simplement pas comprendre la logique de telles discussions. Ce sont les plus réfractaires aussi quand on propose la mise en place de règles de distribution de la parole, même de très simples (ne parlons même pas d’une alternance f/h). Et quand ces règles sont posées, elles peuvent ne pas suffire. Il y aura toujours cette prétention que « mais il faut bien que je réponde » ou « ce que j’ai à dire est vraiment important ».
      En revanche, tout pareil pour le contenu de la prise de parole. Ca m’avait jamais frappé avec autant d’évidence.
      Dans un groupe auquel je participais au Québec (tu sais de quoi je parle...), on avait fait intervenir un observateur qui a comptabilisé nos prises de parole, la répartition, la distribution compte-tenu du temps et du nombre de personnes, la longueur de certaines interventions, leur utilité relative... le simple énoncé de ces statistiques avait fait changer pas mal de choses dans les têtes (en tout cas dans la mienne) et c’est par la suite qu’on a mis en place des règles plus rigoureuse de distribution de la parole. Et après quelques rounds de mise en place, c’était mieux pour tout le monde et le niveau des discussions (selon l’avis général) était nettement plus élevé. Nos réunions étaient plus efficaces.
      Du coup, à mon avis, si ce n’est pas déjà acquis par les membres d’un groupe dès le début, c’est sur la longue durée qu’il faut espérer faire changer des pratiques. Imposer des règles de distribution de la parole sans constater et exposer le problèmes ne suffit pas et ça laissera toujours certain.e.s penser que « les règles, c’est bien joli, ça les amuse, mais j’ai quelque chose d’important à dire. »
      Je vais essayer de lire l’article en entier (un jour)

    • @raspa Dans ce que tu dis, la raison d’être des règles de prise de parole (au-delà de limiter le bordel), à savoir laisser potentiellement à chacun⋅e la place de s’exprimer parce que quand c’est en mode foire d’empoigne, ça laisse les plus faibles / timides / discriminé⋅e⋅s sur le carreau, n’est en fait vraiment pas une évidence pour tout le monde... Ça me fait cogiter sur la façon dont je présente les règles d’animation lors d’une intervention (et quand tu es intervenant⋅e externe sur demande du groupe, l’avantage est que les règles posées sont globalement pas si mal respectées... Ou alors on fait particulièrement peur pour les faire respecter :-D )

      Votre observation québécois, il venait d’une asso ? Il avait des grilles d’observation qui sont trouvables quelque part ? Parce que ça peut être drôlement intéressant à reproduire ce genre de choses, soit pour des collectifs auxquels je participe, soit que j’accompagne.

    • @raspa Et autour de toutes les discussions du moment sur la place des hommes dans le féminisme, voilà un bel article de Denis Colombi : https://web.archive.org/web/20160402000131/http://uneheuredepeine.tumblr.com/post/53693897240/moi-%C3%A7a-va

      J’ai vu beaucoup d’hommes qui se posent la question de leur place dans le féminisme. J’en ai même fait partie. On réfléchit à qu’est-ce qu’on fait là, on se plaint que c’est pas facile, on discute de nous, de nous, de nous. On essaye de montrer qu’on est gentil. Et on occupe beaucoup d’espace. Surtout de l’espace de discussion. On devrait peut-être moins se demander quelle est notre place dans un mouvement féministe qui ne nous a pas attendu, et un peu plus quelle est notre place dans le patriarcat. Et la réponse, c’est que nous sommes l’oppresseur.

      “Moi, je suis pas oppressé”.

      Non, vraiment, moi, ça va. Alors si on parlait un peu de vous ?

  • @raspa Encore de la socio vulgarisée, avec de vrais morceaux de Durkheim. C’est un thésard qui travaille sur les auteurs de BD, et qui là parle de la division du travail.

    Emile, on bande ? : Ma thèse vue par... Émile Durkheim
    http://socio-bd.blogspot.com/2017/08/ma-these-vue-par-emile-durkheim.html

  • @raspa
    Intro / contexte :
    Ça débat ces jours ci sur Twitter du dégoût autour des règles, le déni, le tabou qui va avec etc, suite à un débile et gerbant article de Biba. Ça a donné ce fort intéressant fil Twitter : ▻https://twitter.com/Moossye/status/894241945068982272)

    Là où je veux en venir :
    Et au milieu de ça, une très belle métaphore d’Elise Thiébaut sur la question du patriarcat, issue de cet article :

    Ce que cache le dégoût des règles | Le Club de Mediapart
    https://blogs.mediapart.fr/elise-thiebaut/blog/070817/ce-que-cache-le-degout-des-regles

    A ceci près que, même quand il s’agit du sujet le plus féminin qui soit, comme l’excision ou les règles, le débat finit souvent par dériver, et on se retrouve à parler de circoncision masculine ou de sexe pendant les règles avant même d’avoir compris ce que ce pénis faisait là. On dirait un chat qui vient toujours jouer entre nos jambes pour réclamer sa pitance. On croit qu’il nous aime en frottant son museau sur nos mollets, mais en réalité il marque son territoire. Sans parler du fait qu’il risque de nous faire trébucher à chaque pas.

    • Intéressant. L’argument hygiéniste est souvent utilisé, et depuis très très très longtemps, pour imposer des choix collectifs, éloigner des indésirables, réprimer (voir éliminer) des minorités... ce n’est pas pour rien s’il y a tant de médecins chez les députés.

  • @raspa #JeudiLecture, la suite : « Le retour au pays de Jossel Wasserman », d’Edgar Hilsenrath. Une immense maîtrise de l’art du récit (et de l’humour) pour conter la vie d’une petite ville juive d’Europe centrale, avant la déportation de toute sa population par les Nazis.
    Immersion dans la culture de ses habitants, dans l’antisémitisme ordinaire toujours présent, dans les traditions, petits tracas, anecdotes... De la belle ouvrage qui donne envie d’aller ouvrir les autres oeuvres d’Hilsenrath !